Parfois, elle riait toute
seule.
Une sorte de
gloussement sec, de couinement haché, moitié rentré dans son menton. Il lui
échappait, il fusait, comme une constatation intime.
Pourtant, il était
sans objet. Ou avait peut-être trop d'objets. Trop d'objets...en un seul et
unique objet qui, dans le fond, n'était autre que le monde.
Mais lorsqu'elle
éternuait ainsi son petit rire, elle était heureuse. Elle avait l'impression
d'être d'une légèreté suprême, sans pareille. Et cependant, elle ignorait d'où
lui venait ce sentiment. Elle ne savait ni pourquoi elle riait, ni surtout
pourquoi le fait de cracher ce rire l'allégeait de la sorte.
Il lui arrivait
même, certaines fois, de hausser les épaules en riant. Presque de façon
spasmodique. Comme si cela devait nécessairement aller ensemble : secouer
l'épaule et rire.
Elle se mettait à
considérer les choses qui se tenaient immobiles, bien sagement, en face d'elle.
Et puis le poids du silence amassé en elles lui sautait aux yeux. Et ça venait.
Cela venait. Tout
naturellement. Du fin fond de sa tête vide. De sa tête vide et juste légèrement
inclinée, penchée de biais. Plus elle regardait les choses, plus elle avait
l'impression de ne pas les voir. Plus elle les fixait, moins elles lui
semblaient d'une nature propre à être examinées.
Allez savoir si ce
n'était point cela qui déclenchait la petite salve de rire discordante !
On pouvait certes
rire de tout.
Alors pourquoi pas
de l'inertie ambiante et de son absurdité diffuse ? Pourquoi pas des choses une
à une, et/ou de l'ensemble qu'elles formaient ?
Pourquoi pas de la
concentration du silence, en elles, hors d'elles...par elles ?
Était-ce une façon
de répondre à cette forme de défection grandiose ?
A vrai dire,
essayer de réfléchir plus avant ne servait à rien.
Il suffisait de
voir - et de prendre note, sans fanfare ni trompettes - du fait que, dans son
compact, dans l'expression de sa masse même, le monde - cette
"collection" de choses, d'objets (d'objets à observer) plus ou moins
reliés, cimentés entre eux, coiffés et comme parachevés par cette émanation
globale, invisible, mystérieuse qui résultait de leur addition, du tout
qu'elles formaient (peut-être)- était lourd, en fait, d'un silence (d'un vide
?) qui en disait bien long sur l'absurdité, sur l'espèce d’absence, voire de
dérision secrète, qui l'habitait .
Oui, peut-être.
Peut-être qu'elle gloussait, parce cela sautait aux yeux. Tout en continuant
envers et contre tout à ne pas vouloir se révéler en pleine lumière.
Parce que la Vérité
est toujours une entité qui joue à cache-cache. Une sorte de suintement
interstitiel qui, par intermittence, se faufile.
Mais on n'en sait
jamais vraiment quoi faire, de la Vérité.
Elle rôde,
aérienne, diaphane, dans le tissu des choses. Tel un hiéroglyphe.
On voudrait
l'attraper, à pleines mains, s'en saisir une bonne fois pour toutes. Toutefois
dès qu'on en tient ne serait-ce qu'une miette au creux de ses paume, une pépite
entre ses doigts refermés, comme elle nous encombre !
Alors mieux vaut la
laisser à distance...comme on le fait des bêtes. Comme ces lutins, ces trolls
qui, quelquefois, s'approchent un peu trop près, quoique, cependant,jamais plus
qu'il ne faut; juste histoire de faire un clin d’œil. Un sourire-flash...et
puis s'en va.
Oui, la laisser,
simplement, pointer son museau entre les hautes herbes ....tiens, par exemple,
comme on le ferait, l'été, en promenade le long d'un pré désert engorgé de
soleil et de graminées en désordre, de silence grésillant, lorsque l'on
surprend la présence furtive et inattendue d'un renard, à demi dissimulé à
quelques pas de vous et totalement immobile juste à l'orée du petit bois le
plus proche, où se massent les ombres.
P.Laranco.