Dans cet essai qui compte environ 180 pages, le romancier
congolais, maintenant bien connu du public hexagonal et francophone et en tout
cas bien « adoubé » par le « top » du milieu littéraire
parisien, s’attaque à une problématique très délicate et très passionnelle, qui
suscite, parmi les « afro »-quelque chose mais pas seulement, des
monceaux de débats.
On a parfois un peu de mal à le suivre, peut-être parce que, si
nombre de ses perspectives se révèlent très intéressantes et nombre de ses
constats fort véridiques, il n’esquisse aucune éventuelle proposition de
solution aux problèmes (actuellement brûlants et lourds de conséquences
internationales, tel le fameux « drame des migrants ») qu’il touche
du doigt.
Que faire de l’Africanisme ? Que faire de la
francophonie ?
Comment gérer le rêve
du Nord qui taraude toutes les jeunesses de l’Afrique noire – et,
encore plus généralement, des pays émergents et pauvres ?
On sent qu’il veut prendre du recul, en bon intellectuel, en bon
« Black bobo » qu’il est devenu et qu’il reste.
Et pourtant, on ne peut nullement lui donner tort lorsqu’il
pourfend certains mythes de l’Africanisme des années 1960/1970 en soulignant
combien le concept même de « Noir »,
d’ « afro »-quelque chose est sommaire, réducteur (c’est le Blanc qui a inventé le Noir,
décoche-t-il, ce qui est on ne peut plus exact) et en mettant, pour illustrer
son propos, l’accent sur la composition
hétéroclite [de la] population
noire vivant en France et même sur les tensions qui peuvent exister entre
« Noirs » des Amériques ayant subi la brutale transplantation
négrière ainsi que la condition d’esclave et « Noirs » d’Afrique, au
vécu totalement différent, en dépit de l’oppression coloniale – de même que sur
la grande diversité qui caractérise les cultures, les langues et les mœurs à
l’intérieur de la seule Afrique noire.
Une pigmentation de peau peut-elle constituer, à elle seule, une
identité ? Non, c’est absurde. L’Africanisme est donc un produit
réactionnel (« en creux ») de la pensée européenne, lequel s’est, au
demeurant, pour une bonne part nourri de mythes, voire de délires. Cependant,
ne s’agissait-il pas là (et ne s’agit-il pas là toujours, d’ailleurs) d’un problème
– urgent – de restauration de l’image de soi ? Le Blanc n’a-t-il pas
inculqué, martelé – et ce depuis le XVIe siècle – la non-valeur de toute
culture, de toute forme de religiosité et de tout aspect physique autres que
les siens ?
La quête de restauration de l’estime de soi, de
l’ « être enfin bien dans sa peau » n’est-elle pas, pour tout
homme, pour toute femme, quelque chose de fondamental et de central ? Le
cerveau humain n’a-t-il pas, par nature, on le sait maintenant, horreur du vide,
des hiatus cognitifs, et n’a-t-il pas tendance à les combler aussitôt, au
besoin par le ressort de l’imagination et du mythe, dont il n’est jamais
avare ?
Autre débat : écrire sans
la France ? Alain MABANCKOU plaide pour une langue française
réappropriée par les Africains « noirs », tout en tournant autour de
la question-clé de l’indépendance littéraire des pays très pauvres.
Ici, à nouveau, je pense qu’il fait sans conteste preuve de bon
sens, dans la mesure où, comme l’Anglais au plan international, la Français,
sur tout le territoire de l’ancienne Afrique dite « française » ou
« belge », permet à des ethnies parlant des langues différentes de se
comprendre et donc, de mieux communiquer entre elles. Cela, me semble-t-il,
n’empêche en rien l’épanouissement de littératures écrites en langues locales
ou non-françaises, comme par exemple c’est le cas en ce qui concerne Madagascar
et l’Île Maurice.
Quant à l’indépendance littéraire, elle me parait un problème
autrement plus crucial (s’entend…tout de même moins crucial que la famine, les
guerres, les viols). Comment empêcher un écrivain ou une écrivaine africains,
ou haïtiens par exemple, quant ils ont un certain talent, d’échouer
immanquablement dans les salons parisiens ou montréalais, pour cause de pays
d’origine non seulement voué à la misère et à un large analphabétisme mais, de
plus, extrêmement peu riche (là aussi !) en maisons d’édition et en revues
littéraires qui « tiennent la route » et soient en mesure d’exister à
l’échelle planétaire – sans parler de la presse, souvent soumise à la censure
de régimes autoritaires à l’excès ?
Mabanckou, par ailleurs, aborde ce que, très heureusement, il
appelle colonisation de la conscience.
Celle-ci est encore bien vivace, liée, en ce qui concerne l’Afrique
dite « francophone », à l’obsession que l’état français (depuis le
général DE GAULLE) a du « rayonnement de la France », et à celle que
l’intelligentsia des bords de Seine a du « prestige de Paris ». Le
paternalisme français est un phénomène bien connu, qui, dans le cas qui nous
occupe, sert par-dessus le marché à merveille les intérêts économiques de l’ex
puissance coloniale : dirigeants-marionnettes, contrôle vigilant des
diverses (et nombreuses) richesses de l’Afrique « noire » en matières
premières, bourses d’étude octroyées aux étudiants africains qui, par la suite,
ne rentrent plus chez eux – même combat !
Dans le même temps que le « Noir » continue de ne se
voir reconnue aucune réelle place dans « l’identité française » telle
qu’elle est communément vécue, au plus intime d’eux-mêmes, par les hexagonaux
« bon teint » (sans doute à cause du « poids de l’Histoire »,
qui est celui d’un vieux pays à la conscience de lui-même largement antérieure
à la première comme à la deuxième colonisations).
Du livre d’Alain Mabanckou – au titre finalement assez trompeur
– il ressort, même si ce n’est pas formulé des plus brutalement, que tout se
tient : loin d’être, ainsi que l’on serait fort enclin à le prétendre en
Europe de l’ouest, une « page tournée », la colonisation est, plus
que jamais, à l’ordre du jour.
LE problème, c’est, de nos jours encore, en tout dernier
ressort, l’écrasante domination (cachée sous le vocable « modernité »
et présentée volontiers par ses propres promoteurs comme inéluctable) que
l’Occident, tant sur le plan économique que militaire et culturel, fait peser
sur une Afrique « noire » qui, entièrement « déboussolée »,
se cherche ; dans le désespoir, la rage plus ou moins larvés.
FANON n’est pas « passé de mode », et c’est fort bien
que Mabanckou le dise.
P.
Laranco.
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