Trop de sévérité ne peut qu’être traumatisant et destructeur. Cela
dit, à l’autre bout du spectre des comportements, je suis et reste persuadée qu’une
indulgence trop poussée est tout, sauf un service à rendre à quelque individu
que ce soit (y compris à soi-même).
Les humains aiment chanter l’amour. Mais qu’est-ce d’autre qu’une
idée fixe ? Mon propos n’est-il pas parfaitement illustré par la fameuse
maxime Un seul être vous manque, et
tout est dépeuplé ?
En vous attachant à, en vous focalisant sur une seule et unique
personne, l’amour (tel qu’on l’entend communément) peut être aisément comparé
au fameux arbre qui, à lui tout seul, réussit à vous cacher la forêt entière,
et sa vastitude.
Etant « amoureuse » de la vastitude, je ne suis plus
guère accessible à l’amour-éros, pas plus qu’à l’amour de moi-même.
Aussi longtemps que l’Homme obéira à la loi du plus fort et du
plus puissant, il restera un animal (malgré tout le reste).
L’Homme est peut-être encore un être inachevé. Qui tend vers des
métamorphoses supplémentaires.
La réponse, c’est du provisoire.
La question, c’est de l’éternel.
Toute réponse peut être retournée en une nouvelle question, en
une nouvelle salve de questions.
Je est plusieurs.
Toute question est, déjà, le commencement de sa propre réponse.
Cela, Socrate l’avait pressenti.
Se supprimer n’est en rien lâche ; cela implique une chose :
avoir réussi à passer au-dessus de deux « entités » de notre corps-conscience-psyché
particulièrement fortes et ancrées : l’instinct de survie (la persévérance
brute de l’être dans son propre être – pour paraphraser Spinoza) et l’égo, attaché
à toute identité consciente et individuelle.
A partir du moment où l’on réalise que l’on est présent, que l’on
EST, l’on s’attache à sa propre présence.
Si l’Homme, on l’a assez souligné, a une nette préférence pour
qui lui ressemble, il ne faudrait pas en conclure pour autant qu’il ne se méfie
pas de qui lui ressemble trop. Car qui lui ressemble trop pourrait bien, aussi,
menacer de lui ravir sa « place », de se substituer à lui.
Complexités du mimétisme !
Chercher des généralités, des causes uniques aux évènements
émergents n’aboutit qu’à dresser des thèses soi-disant « concurrentes »
les unes contre les autres.
Pour prendre un exemple : de quoi le surgissement des
premières civilisations humaines (connues) résulte-t-il ?
Les uns avancent : « de la tendance à la
sédentarisation favorisée par de nouvelles conditions climatiques », d’autres,
« de l’invention de l’agriculture », d’autres, « des échanges
et du troc » qui auraient « cristallisé » les premières cités en
tant que lieux de rassemblement, points névralgiques « commerciaux »,
d’autres « d’un boom démographique à la fin du paléolithique supérieur et
au néolithique », la dernière thèse en vogue étant, même, à partir des
fouilles de GÖBEKLI TEPE, en Turquie, « de la religion », qui aurait
regroupé les gens autour de ses édifices propres, et cimenté, entre les groupes
villageois présents sur les lieux, un sentiment (fort) d’identité partagée.
Et si toutes ces propositions étaient, dans la même proportion,
pertinentes ? Et s’il ne servait pas à grand-chose de chercher à vouloir les mettre en opposition, ou en
concurrence ?
Pourquoi cette réticence à envisager les choses dans une
perspective complexe et multifactorielle ?
Pourquoi le concret se prête-t-il (au travers des sciences
physiques) à des descriptions abstraites (même partielles et incomplètes)
élaborées par de la matière pensante (nos paquets de neurones) ? Et, d’abord,
qu’est-ce que l’abstraction ?
La véritable liberté ne consiste pas à acquérir la possibilité d’assouvir
tous ses désirs courants (liés aux jouissances, au pouvoir, à l’orgueil, à la
volonté de donner sens à son être, à sa vie).
Elle consiste à se libérer encore et encore de sa condition
animale, et même humaine.
Loin d’être une fin en soi, l’Homme est, sans doute, une étape
intermédiaire, une passerelle entre deux états, deux échelles de « conscience »,
deux « transitions de phase ». La structure de son cerveau à « trois
étages » (reptilien, limbique et néocortical) n’en témoigne-t-elle pas ?
L’Homme, s’il ne se détruit pas entre-temps par pure stupidité
animale ou liée à sa nature « hybride »,
évoluera, s’affranchira. La meilleure preuve de son affranchissement sera à
trouver non seulement dans l’augmentation de sa vivacité neuronale (donc, de
ses capacités cognitives) mais encore – et peut-être surtout – dans sa
libération de la tyrannie des pulsions et des désirs. Il finira (peut-être) par
comprendre qu’il n’a même plus à poser la question « pourquoi ? ».
Il utilisera réflexion et abstraction d’une façon qui nous est encore
inconcevable. Il se libérera des murs que constituent les diktats de la chair
(qui résultent d’une pure programmation biologique) autant que des (fausses)
subtilités de l’affectif.
S’il y a sens à nos vies, raison, pour nous, d’être, ne sont-ils
pas déjà inscrits dans la structure même de notre encéphale ?
Cet encéphale, nous l’avons. Mais nous le comprenons encore mal.
Ne nous étonnons-nous pas encore que des « génies » comme Albert
EINSTEIN aient pu exister, se manifester ?
Toutes les chaînes de l’Homme – groupales, individuelles – c’est
à lui de les dépasser. C’est en lui, et en lui seul que se joue le triomphe –
ou le non- triomphe – de sa propre « intelligence ».
Peu de gens sont vraiment capables de se regarder dans un miroir
(non déformant –je le précise).
Notre destin est souvent (sinon très souvent) le reflet de notre
tempérament, de nos propensions, de nos blocages, de nos aptitudes, de nos
manières de réagir propres.
On peut le voir comme une sorte de point de confluence entre
notre nature personnelle et les aléas que place sur son chemin le cours de
notre existence.
Ce sont les autres qui nous permettent de nous faire une idée de
ce que nous sommes en nous renvoyant – quoique de façon parcellaire, car
biaisée par leur propre perception, voire leurs propres buts – le reflet de
notre propre image.
Mais, parmi ces autres, celui qui, sans conteste, nous
connait le mieux, c’est l’ « autre » qui est logé en nous et
nous observe de l’intérieur ; seule, l’intériorité introspective est à même
de se targuer d’avoir le contact le plus proche (autant que faire se peut) avec
notre ressenti le plus intime, le plus sincère.
Les gens ne détestent rien tant qu’être observé, sondés, percés
à jour. Par-dessus tout lorsqu’un observateur muet, attentif et immobile, inconnu
donc bien distancié, les « surprend » dans des manifestations
patentes de leur mesquinerie, de leur dépit, de leur basse frustration et de
leur méchanceté crasseusement « ordinaire », qui se « lâche »,
se défoule.
Dans la science, nous cherchions, au départ, des réponses –
simples, nettes – aux questions, elles aussi simples et nettes que nous nous
posions (pour la bonne raison que nous sommes des êtres curieux et avides de
SENS).
Mais l’approfondissement de notre étude de l’Univers et de notre
propre cerveau, par le biais de la même science, ne fait que nous confronter à
une complexité ahurissante.
C’est tant pis pour nos questions initiales (sans doute trop
rigides, trop orientées par nos présupposés culturels) et tant mieux pour la
philosophie (qui s’en trouve régénérée).
Toute piste de réflexion est bonne à prendre.
Je n’ai guère d’idées. Je cherche.
Les idées, en un sens, ça ferme ; cela verrouille l’horizon.
Il faut toujours demeurer disponible, ouvert à la complexité et à la mobilité
extrême des choses ; toujours, demeurer fasciné par leur – subtile –façon de
se dérober (et, donc, de nous entraîner plus loin). Les idées, cela ne fait qu’abolir
la stimulation de l’esprit.
L’oubli est maître de ce monde.
Le passé est toujours présent. Et l’avenir est déjà là.
Ce que nous instituons « présent » n’est autre que
leur – fugace – point de rencontre. Leur articulation, en somme.
Si je dis tout et son contraire, c’est que je suis (vraiment)
saine d’esprit.
« Vivre dans le présent », c’est prendre l’évolution
en flagrant délit.
« Ici et maintenant » ne nous « sauvera » ni
du passé, ni de l’avenir. Cela est lié autant au cours des choses qu’à la
nature humaine (qui a besoin de mémoire – même déformée, peu fiable - et qui
est anticipatrice).
P. Laranco.
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