jeudi 26 septembre 2024

Sedley ASSONNE chronique le film de Simon MOUTAÏROU, "NI CHAINES, NI MAÎTRES", sur le marronnage à l'Île Maurice.

 




Ni Chaines, ni maîtres
Un goût de pas assez…




En regardant « Ni chaînes, ni maîtres », naïvement j’ai pensé que la chanson « Le Morne » seyait bien à la fin du film. Simon Moutaïrou calque bien les paroles (en wolof) sur ce poignant et triste dénouement, qui renvoie à l’Afrique, aux sources des peuples Wolof, Malinke, Bambara, Malgache, de tous ceux qui furent emmenés de force ici. Et les paroles de « Le Morne » auraient constitué la rencontre entre le passé et le présent. Comme une continuité intemporelle.
Et je me suis dit soit le réalisateur ne connaît pas cette chanson, ou ceux qui ont « encadré » ce tournage ne lui ont pas parlé de « Le Morne ». Même si, bien sûr, l’épopée de Cicéron tend justement vers cette montagne mythique. Mais que voulez-vous, le sceau du secret, de la haine et de l’ignorance qui entoure chaque tournage de film à Maurice perdure. Et tant que des étrangers débarqueront ici pour tenter de nous raconter notre propre histoire, mais avec la plume révisionniste portée par certains, le combat pour que l’histoire soit montrée de manière dépassionnée ne sera jamais gagné.
Cela dit, "Ni chaînes, ni maîtres" vaut le détour. Premier film français à parler de l’esclavage et du marronnage, c’est un spectacle qui oscille entre onirisme et cruelle réalité. Celle de 1759, quand l’Isle de France est aux mains des Français. Nous sommes sur la propriété d’Eugène Larcenet, aussi propriétaire d’esclaves. Dont Cicéron et sa fille Mati.
Ici, on ne badine pas avec les règlements du Code Noir, petit livre rouge que brandit d’ailleurs le maître. Et si on ose vouloir s’échapper, c’est le châtiment des oreilles et du jarret coupés qui attend le fugitif. Et si on y additionne les coups de fouet, aucun esclave ne songerait donc à fuir cet enfer.
C'est ce que pense d’ailleurs Cicéron. Lui a perdu sa femme lors du voyage sur le négrier. Et il se courbe, pour que Mati ne devienne pas victime, ne soit pas violée. Mais le destin va décider autrement. Et de nègre de maison, Cicéron va se transformer en Massamba, et renouer avec son pouvoir de féticheur. C’est ce rite de passage qui rend ce film si beau, si touchant. Et les séquences d’onirisme entre l’esprit de sa femme et Massamba sont les plus belles. Avec Moutaïrou s’attardant sur ce bleu tant rêvé de la peau noire. Mais si cette quête d’un Eldorado mythique pour marrons pousse Massamba à cette introspection intime et spirituelle, on peut reprocher au cinéaste d’aller trop vite dans sa narration. Voire de prendre trop de libertés avec l’histoire.
Il est dit que l’historienne Vijaya Teelock a servi comme consultant sur le film (ou le scénario),mais il y a des couleuvres difficiles à avaler. Nous ne sommes pas sûrs, par exemple, qu’un Gouverneur (lequel ?) viendrait chez un petit propriétaire d’esclaves, qui en plus n’est même pas propriétaire de sa concession. De plus, à cette époque, il aurait été assez difficile de trouver un enfant de colon qui épouserait la cause des esclaves. Même si Bernardin de Saint-Pierre fit ce choix dans « Paul et Virginie », pour mieux « vendre » son autre livre « Voyage à l’Isle de France ».
Si la figure de Madame Françoise ne nous gêne pas, quoi que Camille Cottin l’incarne de manière trop « catholique », nous ne comprenons pas en quoi parler du passé de cette chasseresse d’esclaves et de marrons la rend plus « humaine ». D’ailleurs, quand on parlait « d’encadrement » plus haut, on pense que pour pouvoir tourner dans des lieux quasi inaccessibles de nos jours, Simon Moutaïrou a dû mettre beaucoup d’eau dans le vin qu’il voulait proposer au public. Et quand en plus, il n’est pas aidé par la nature, tout le décor naturel actuel étant différent de l’an 1759, on a donc comme un goût de pas assez avec « Ni chaînes, ni maîtres ».
Si le réalisateur garde le cachet authentique de la langue wolof pour l’expression des esclaves et des marrons, notre déception est grande de n’entendre qu’une phrase en créole, et ce pratiquement avant le dénouement du film. Or, déjà en 1773, dans « Voyage à l’Isle de France », Bernardin de Saint-Pierre parle de cette langue, parlée et chantée par les esclaves. Si le créole avait déjà cours en cette année-là, il ne serait donc pas faux de dire qu’en 1759, elle était déjà née. Et vu que les Français prennent possession de l’île en 1715, on peut dire que 44 ans plus tard, les esclaves venus de Madagascar, du Mozambique, de la Tanzanie et du sud de l’Inde communiquaient déjà entre eux dans cette lingua Franca qui deviendra le créole. Malheureusement, ce constat est absent tout le long du film.
En fait, il est dit que le réalisateur s’est appuyé surtout sur le livre « Marronnages » d’Amédée Nagapen. Ce qui n’est pas une faute en soi. Mais avant Nagapen, qui s’appuie lui-même sur son travail de chercheur, nous avons la réalité véridique écrite par Bernardin de Saint-Pierre. Qui a voyagé, non pas à cheval comme dans le film, ce qui aurait été pratiquement impossible pour l’époque, vu les forêts touffues qui existaient sur l’île ! Nous avons donc le sentiment que Simon Moutaïrou, tout en faisant œuvre utile, n’a pas assez fait de recherches. Ou aura été mal conseillé, sur plusieurs sujets de l’époque. Comme cette chasse au marron dans les terres intérieures. Difficile d’imaginer des chevaux courant dans les forêts de 1759. Même Bernardin de Saint Pierre voyage à dos d’esclave, quand il se rend sur la côte sud-ouest !
Pour autant, on ne va pas crucifier Simon Moutaïrou pour ces erreurs. Il est bon que quelqu’un se soit penché sur l’histoire de l’esclavage et du marronnage, dans notre île. Et par extension éclairant aussi l’histoire de France, d’où vient l’horrible Code Noir. Rien que pour ce rappel, le réalisateur, et ses financiers, dont Canal+, méritent nos appréciations. Le film est à voir bien sûr. Et outre la chanson « Le Morne », nous avons aussi pensé à tous ceux qui se disent « cinéastes » ici. Et qui n’ont jamais pensé à raconter l’esclavage et le marronnage. Simon Moutaïrou l’a fait, à sa manière. Mais c’est notre histoire qu’il raconte. A nous de nous la réapproprier, et de la dire à notre façon !
Un mot pour Ibrahima Mbaye Tchie, qui incarne Massamba/Cicéron. C’est lui qui porte tout le film sur ses épaules. Son Golgotha nous fait penser que de tels acteurs méritent d'entrer un peu plus dans la lumière. Il mérite un César en tout cas. Et les figurants Mauriciens ne s’en tirent pas mal. Et c’est Zanane Lolo qui a l’honneur de nous faire entendre ce bout de créole. Merci pour ça !






Sedley ASSONNE.















































Crédit : Sedley ASSONNE.










































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