C’est le vide qui empoussière les trottoirs, glissé entre le sol
dur et les papiers gras. Il poudre le halètement ouvert des rues qui se
propagent en larges perspectives mauves d’espace mouvant qui ne semble mener
nulle part. Il accompagne les multiples dispersions, les envols éthérés,
blanchâtres des vieux sacs à provisions creux, quelquefois gonflés, enflés d’air,
abandonnés aux caprices du vent paresseux, nomade, flasque qui, à son gré, au gré de ses si imprévisibles hasards, les promène et les fait trébucher, tituber à l'occasion sur la chaussée.
C’est le vide qui préside au sillage sans répit de l’errance, à la marche continue, obligée, robotique qui se trace entre les deux lignes lisses et on ne peut plus parallèles que déploient les deux
trottoirs sales et obstinément indifférents à la vie.
C’est lui qui brille, miroite sourdement là-bas, tout au bout,
au plus loin, bombé dans l’échancrure de l’horizon, qui tremble, suinte, hésite.
C’est lui qui fait grincer, grogner la vieille fatigue des planches de bois, au
long des pans, des segments de galerie couverte aux auvents écrasés, plombés de soleil torve. Qui leur soutire, de temps à autre, un
couinement, une sorte d' aveu discret, proféré sous la forme d’un soupir sifflant, distant et peu audible.
C’est lui qui attend, en faction aux vastes espaces des carrefours, là où la
poussière épuisée monte, s’élève, quasi tourbillonnante; aussi blanche, aussi fine, aussi férocement désincarnée, presque aussi privée de substance réelle que pourrait l'être du talc. Si silencieuse qu’elle en vient, au final, à forcer le respect ; si rêche et fantomale qu’elle convoque, tout en même temps, l’hébétude.
C’est lui qui, consciencieusement, méthodiquement, frôle les processions cendreuses, volontairement en retrait de pâtés d'immeubles qui tentent avec constance de lui opposer leurs façades
défraîchies, leurs mornes et monotones successions de rideaux de fer où les
tags, n' en déplaise à leur décoloration, semblent avoir encore et toujours le dessein de vous avaler
tout cru dans leurs bouches béantes, entre leurs crocs exhibés, dignes de tyrannosaures, de portes ou autres volets de bois condamnés résolument par des croix de planches disposées en X et maintenues par des clous sanguinolents de rouille ténébreuse.
C’est lui qui me pousse à avancer, à marcher, à porter mon pas
dandinant d'éternelle intruse toujours plus loin. Dans la direction de tous les mirages qui m’attendent, mais ne m'illusionnent guère.
Texte et photographie : Patricia Laranco
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