dimanche 4 novembre 2018

Lecture (Histoire) : Pascal BLANCHARD et Sandrine LEMAIRE, « CULTURE COLONIALE – La France conquise par son empire – 1871-1931 », Editions Autrement, collection Mémoires, 2003 .



















Cet ouvrage, qui compte 255 pages, est un ouvrage collectif rassemblant un ensemble de textes écrits par une équipe de chercheurs spécialistes de la colonisation française (outre les deux auteurs susmentionnés, y ont participé Olivier BARLET, Gilles BOËTSCH, Sylvie CHALAYE, Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Eric DEROO, Gilles MANCERON, Alain RUSCIO, Steve UNGAR et Françoise VERGES).
De ces textes, de ces analyses et de ces recherches, il ressort clairement que l’identité française est indissociable du fait colonial, et que c’est autour de celui-ci et grâce à celui-ci qu’à partir de 1830 (conquête de l’Algérie) et surtout de 1871 (lendemains de la défaite, humiliante, devant la Prusse et de la perte de l’Alsace-Lorraine), ladite identité a achevé de se cimenter et de prendre sa forme définitive.
En tant que peuple, le peuple français, de tempérament plutôt « terrien », n’a, au rebours de la Grande-Bretagne, jamais éprouvé d’intérêt particulier pour l’Outre-mer, pas plus qu’il n’a eu de vocation coloniale particulièrement marquée (mis à part le cas du Québec, il ne fut guère porté à l’émigration massive et à la colonisation dite « de peuplement »). Telle qu’elle a été menée aux XIXe et XXe siècles (jusqu’aux  années 1930), l’entreprise coloniale française résulte, de toute évidence, d’une volonté d’état, d’une volonté d’élite, en lien avec des conditions historiques.
Ainsi s’éclaire le fait (pour le moins mystérieux, paradoxal) que l’inconscient collectif français soit – et demeure – si attaché à l’idée de « colonisation positive » ou, lorsque ce n’est pas le cas, soit frappé par une amnésie coloniale qui peut paraître étrange.
On réalise, à travers la lecture de cette série d’études, à quel point, aux XIXe et XXe siècles, la construction d’une véritable (et solide) légitimité coloniale française s’est officiellement articulée autour des notions (droit issues de l’esprit des Lumières) de progrès humain, de civilisation magnifiée (en particulier, par la référence à l’Empire romain et même à la Grèce antique) et d’humanisme ( l’abolition de l’esclavage ayant servi, à Madagascar et dans les pays d’Afrique noire musulmane, de prétexte direct à l’entreprise coloniale).
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en 1931, date de la fameuse Exposition coloniale de Paris montée au Bois de Vincennes, la totalité de l’opinion publique française était acquise à l’idée d’Empire colonial, suite à une véritable entreprise de propagande qui, dans cet ouvrage, est parfaitement mise au jour (organisation de nombreuses expositions et conférences dans tout l’hexagone, presse, radio, cinéma, enseignement scolaire, affichage publicitaire, action déterminante de l’Agence générale des colonies, mais également ethnographie). Nous voyons là combien il s’agissait de façonner une identité nationale autour de la foi en une France unique, grande nation civilisée et propagatrice des idéaux républicains. L’état détournait les hexagonaux de leurs clivages sociaux, politiques, voire ethniques (Basques, Corses, etc.) en les tournant vers l’Outre-mer, ce fabuleux projet commun. Tout Français devenait, de la sorte, un aventurier potentiel, doublé d’un sauveur et d’un magister.
Il va de soi (en toute logique) qu’en face, la culture du « sauvage » ne pouvait pas avoir la moindre valeur.
Voilà qui favorisa, bien sûr, l’émergence, en France (dans une France où l’accès à l’école et à ses manuels scolaires très colonialistes se démocratisait de plus en plus) d’un racisme populaire encore entretenu et conforté par les stéréotypes créés au XIXe siècle par l’autorité scientifique des anthropologues et autres ethnographes ainsi que par les premiers coloniaux, qui reposaient sur une authentique hiérarchie raciale : le « Jaune » discret et industrieux, produit de vieilles civilisations raffinées mais à jamais déchues, l’ « Arabe », lui aussi déchu, agressif, fier et fourbe…et puis le clou du tableau, l’Africain noir, rigolard, bienveillant, sensuel mais benêt, entre son Y’a bon de brave tirailleur sénégalais des tranchées et sa ceinture de bananes façon Joséphine BAKER.
Ici trouve-t-on les fondements de la supériorité et donc, de la suprématie (incontestable) de la race blanche.
Il est bon d’insister là-dessus : il y eut une taxinomie des populations coloniales, du Kanak au Kabyle.
En théorie, le devoir du colonisateur était de « civiliser » et donc, d’assimiler l’indigène, de le « convertir » à son mode de vie et de pensée. Impératif qui donne lieu à un double discours particulièrement vicieux, puisqu’en même temps, les colons redoutaient la « bougnoulisation » et le mélange (incarné par la figure dérangeante du métis, objet de suspicion sommé de s’assimiler le plus vite possible - enfin, quand il était quarteron de préférence). L’assimilation devait se faire, elle se ferait, mais « on avait le temps », « rien ne pressait », en quelque sorte. Il ne fallait pas qu’elle se fasse trop vite (en dehors d’une petite frange), car cela aurait automatiquement supprimé la raison même d’être (officielle) de l’occupation coloniale, et, avec celle-ci, du sentiment de la puissance, de la supériorité françaises.
En l’Asie, en l’Afrique (qu’elle soit « blanche » ou « noire ») et en l’Océanie, les Français prétendaient voir des sortes de « réservoirs » d’obscurantismes (sociaux et religieux) qu’il leur fallait éclairer des Lumières de la Raison. La colonisation était, dans cette optique, en somme, vue comme une continuation du combat révolutionnaire de 1789 !
Nous mesurons donc ici à quel degré la colonisation fut vécue, à cette époque, en France, comme « décomplexée ». Non seulement elle était présentée comme un « bien », un « service » majeur que l’on rendait à ces (nombreux) peuples, mais encore, surtout après la Grande guerre et grâce à l’utilisation croissante des médias de masse, on l’enrichissait d’une dimension de divertissement, de rêve ; On pourrait dire que c’est avant tout « innocemment » que se diffuse l’imaginaire colonial […]. Cela peut probablement éclairer notre propre embarras à déconstruire aujourd’hui  [en France] cette culture polymorphe […].
Quand on comprend cela, l’on comprend beaucoup de choses tout à fait actuelles, tels que le refus de toute « repentance », le « devoir d’ingérence » prôné par le « French doctor » héros de l’action humanitaire Bernard KOUCHNER, les interventions récurrentes de l’armée française dans divers pays d’Afrique francophone sous d’innombrables prétextes, le refus (non assumé) d’ « intégrer » la jeunesse française d’origine maghrébine, l’extrême crispation sur la « laïcité » couplée à l’extrême dramatisation du port du voile par des femmes de confession musulmane, la persistance des stéréotypes et mythes liés à l’aventure et à l’exotisme (fréquemment érotisé, au reste), toujours aussi véhiculés par les médias…sans oublier cette hantise (nouvelle venue) du « communautarisme » assortie d’une exaltation sans précédent du « métissage » et du « Vivre ensemble » portée principalement par les Bobos et les pouvoirs publics.
Qu’on le veuille ou non, Le passé colonial colle au présent […].
Sortir du double discours ne ferait-il pas déjà aux Français un bien immense ?
Un ouvrage tel que celui-ci, en tous les cas, est à saluer.









P. Laranco.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire