mercredi 23 décembre 2020

LA FUYARDE, une NOUVELLE de Patricia LARANCO.

 

 

Les rues de papier mâché. Bouchées et enfumées de camions. Flanquées de cul-de-sac tout gris aux pavés jonchés de formes humaines agglutinées en grappes sous des couvertures dégoûtantes ou, si ce n’était pas cela, de ruelles étroites, sombres, cabossées qui se terminaient volontiers par des escaliers montants et humides – parfois même dévalés par des cascatelles inattendues d’eau sale aux teintes de métal.

La ruée sauvage des camions fumants vers elle ; sa panique ; son esquive. Elle se voyait trop souvent obligée de se réfugier, presque d’un bond et de justesse, dans l’une ou l’autre de ces venelles puantes, suffoquées, en sus des monstrueux relents de fumée, de gaz toxiques et de rouille en provenance de l’artère principale, par les fumets d’humidité croupie, de chairs et de linges humains privés d’hygiène depuis des lustres.

Sous le coup de sa peur des vieux et dangereux tas de ferraille en furie, elle prit, pour finir, la fuite ; elle n’avait pas d’autre option que celle de s’enfoncer dans l’un de ces sordides boyaux. Tandis qu’elle foulait désormais le pavage irrégulier, gluant, glissant et malodorant au possible d’une démarche plus qu’ incertaine, des formes-ombres se redressaient vers elle, et elle voyait apparaitre, au milieu de montagnes de chiffons remués qui libéraient des nuages de poussière âcre, des faces qui n’avaient, à peu de choses près, plus grand-chose d’humain : immenses yeux jaunâtres, scintillants à l’expression rusée et méchante ; visages crouteux dont certains morceaux de peau pendaient sous des cratères pourpres ; bouches dénuées de lèvres ouvertes sur quelques rares chicots de guingois taillés en pointe. Voilà quel était le spectacle.

Mais cela ne s’arrêtait pas là : des bras, longs et maigres, se tendaient aussi, cependant que des mains, toutes osseuses, cloutées de nœuds, tentaient de se refermer sur elle. Le contact de leur peau moite, abjectement poisseuse, la révulsait. L’impression d’être saisie par quelque tentacule d’animal s’imposait à elle.

Elle se dégageait ; d’un coup sec ; dans un brutal mouvement de recul.

Mais bientôt, l’impasse ne fut plus qu’une petite forêt de mains dressées, insistantes et agrippeuses qu’elle faisait tout pour esquiver, ou pour repousser en se démenant. Son cœur s’emballa dans le même temps que ses jambes accélérèrent l’allure. Sa marche se changea en course et, mue par l’instinct, elle se mit à foncer résolument en avant, l’échine soudain courbée, fort contente que l’accélération de son mouvement parvint à repousser tous ces horribles bras et doigts gris, déformés qui se dardaient de plus belle vers sa silhouette comme l’eussent fait des oisillons voraces. Là encore sans autre alternative, elle  précipitait à toute vitesse son corps vers le fond de l’impasse, où elle venait de repérer un escalier aux marches d’un blanc livide qui tranchaient par leur caractère désert, exempt de la moindre présence et en lequel elle avait donc vu son unique planche de salut. Dès qu’elle l’eut atteint, ce fut au galop qu’elle l’escalada. Sa crainte majeure, à ce moment-là, était que les créatures vautrées dans l’impasse ne se lèvent et ne se mettent dans l’idée de la poursuivre.

L’escalier, pour étroit qu’il fût, était d’une hauteur respectable.

Souffle coupé, jambes flageolantes, elle en atteignit enfin le sommet, qui consistait, en fait, en un court palier de forme carrée à la gauche duquel l’attendait une nouvelle haute volée de marches ascendantes tandis que, du côté droit, les murs blancs se dressaient toujours, formant un angle abrupt. A ce moment-là, elle se retourna très vivement de trois quarts et, dans le même temps qu’elle reprenait son souffle, jeta un bref regard en contrebas afin d’examiner le cul-de-sac qu’elle avait laissé en bas, derrière elle. Ce qui lui permit de constater, non sans une indéniable satisfaction, que les répugnantes formes humaines ne s’étaient pas déplacées d’un pouce et qu’aucun bras, aucune main ne faisait plus saillie hors des misérables tas de haillons.

Toutefois, elle ne ressentait pas la moindre envie de redescendre, car c’eût été, bien évidemment, prendre le risque de s’exposer de nouveau au jaillissement de leurs bras et à leurs tentatives de préhension. « Pas question ! » se dit-elle à elle-même, dans un frisson involontaire. Voilà qui signifiait qu’elle ne disposait plus, en termes de choix, que de l’option seule et unique de se lancer à l’assaut des nouvelles marches.

Elle entra alors dans un monde étrange, baigné de lumière crayeuse : un labyrinthe à ciel ouvert de murs blancs, de minuscules ruelles, escaliers et passages couverts totalement nus et exempts de présences humaines qui se succédaient sans relâche. Parfois, la lumière frappait brusquement les parois de façon à les rendre quasi aveuglantes ; à d’autres moments, elle se voilait pour laisser place à un intermède plus ou moins prolongé d’éclairage cendreux qui rappelait l’inquiétant crépuscule des éclipses de soleil.

Bientôt, elle se sentit désagréablement prisonnière de ce dédale. Une vague sensation d’oppression commença à filtrer en elle. Elle avait beau se déplacer d’un pas vif, grimper des marches et encore des marches, se hisser et encore se hisser, elle ne voyait toujours pas venir la fin de ces parois vides, lisses, trop proches, de ces serpentements complexes et tortueux de sol blafard, large de deux mètres à peine qui, quelquefois, s’étranglaient encore au point qu’elle se voyait contrainte de se placer de profil et de rentrer le ventre si elle voulait arriver à les franchir.

Au fur et à mesure que la fuyarde avançait, elle voyait de plus en plus fréquemment les murs présenter de très grosses bosses pareilles à des ventres de femmes enceintes de neuf mois bien poussés en avant, lesquelles contribuaient à ces goulets d’étranglement pour une part non négligeable. Mais il y en avait également d’autres qui affichaient des trous vaguement circulaires à peu près de la dimension de hublots de navires ou de sous-marins et au travers desquels, à la faveur d’une courte halte, ses yeux plongeaient. Ce qu’ils lui permettaient de distinguer ? C’était selon : soit de vastes contrebas de terrain incroyablement autant qu’hideusement éventrés, défoncés, délimités de pans de murs ébréchés, hérissés comme des épines, jonchés au surplus de tas de gravats épars au-dessus desquels stagnaient des nuées de poussière de la même teinte ocre, mêmement antipathique qu’eux ; soit encore ce qui ressemblait furieusement à des carrières creusant de vertigineux cratères blanchâtres dont elle ne discernait même pas le fond. Qu’est-ce que tout cela voulait dire ?

A force de marcher, de bifurquer, de suivre le mastic des murs, la fille, à son étonnement, se prit à éprouver l’envie de rebrousser chemin. Elle se l’avoua : elle regrettait, désormais, le parti qu’elle avait pris voici quelques heures dans le but d’échapper aux épaves de l’impasse obscure.

Mais comment, à présent, pouvait -elle compter retrouver son chemin ? Contrairement au Petit Poucet, elle n’avait pas semé de gravillons.

De quelle manière se ré-engouffrer en sens inverse de façon précise, sûre dans un pareil fouillis serré de venelles désertes qui se ressemblaient toutes et (avec leurs coudes, leurs fourches, leurs vilains cul-de-sac sans issues, leurs méandres cauteleux, leurs murs sans signes distinctifs), recelaient une multitude de pièges, de sources possibles d’erreurs et de désorientations totales ?

Elle réalisait qu’hélas, elle s’était trompée de choix. Et que ce choix, au point où elle en était, était devenu irréversible.

Avec cela, et pour comble de malchance, elle réalisait aussi que ses jambes devenaient pesantes : la fatigue due à cette marche déjà bien trop longue leur faisait accuser le coup. Nonobstant ses angoisses, son puissant sentiment d’insécurité, elle dut admettre in petto qu’il fallait bien qu’elle se repose et qu’à cette fin, elle se contraigne à observer une petite halte, ne serait-ce qu’histoire de reprendre sa respiration.

Elle interrompit net sa marche, et voulut s’appuyer au mur. Pour ce faire, elle tendit son bras droit, paume largement ouverte. Ainsi qu’il paraissait logique, elle s’attendait à coup sûr à ce que celle-ci entre en contact avec une surface minérale consistante. Eh bien, non : elle fut fort surprise – pour ne pas dire estomaquée, de sentir, sous la dite paume et sous les doigts déployés, écartés au maximum  les uns des autres qui la prolongeaient, reculer nettement la matière. Sa sensation était que sa main entière s’enfonçait dans une pâte molle, laquelle, au demeurant,  sous sa pression, s’amollissait de plus en plus.

Lorsqu’elle retira sa main, la fille nota que cette dernière était toute gluante, souillée, recouverte par une sorte de mastic humide qui dégageait une odeur forte, à la limite nauséabonde.

Tandis que, les yeux écarquillés, incrédule, la fille examinait longuement sa main ramenée au niveau de ses yeux où elle se trouvait dressée, elle eut la (nouvelle) sensation que cette étrange pâte était en train de durcir.

Comme si elle avait une grosse boule fichée dans la gorge, elle déglutit, et se mit derechef à secouer sa main de toute urgence. Elle s’y prit avec une telle véhémence que la presque totalité de la gangue de pâte fut projetée par terre. Seul s’accrocha un résidu qui enserrait une bonne partie de son auriculaire droit. Elle avait beau continuer de secouer avec une violence rageuse, ce résidu ne bougea pas d’un pouce. Le touchant avec sa main gauche, elle constata, à son grand désarroi, qu’il avait encore durci jusqu’à acquérir une consistance impressionnante et qu’il avait, au surplus, coulé jusqu’à emprisonner l’entièreté de son plus petit doigt.

Furieuse au dernier degré, folle de contrariété, elle serra mâchoires et dents. Comme elle ne se maîtrisait plus, elle envoya violemment promener sa main droite « récalcitrante » contre la paroi rébarbative et nue qui lui faisait face, dans l’espoir que ce choc briserait enfin la prison de son auriculaire. Elle avait bêtement oublié la nature réelle de celle-ci, tant et si bien qu’en quelques minutes, elle fut envahie par l’impression que le tranchant de sa main s’abattait dans une motte de beurre qu’on n’avait pas laissée au frigidaire; une main s’enfonça là-dedans, puis, vite, ce furent le poignet, l’avant-bras qui suivirent. Voilà qu’elle se sentait happée, littéralement aspirée par cette paroi. Par bonheur pour elle, son instinct vint à la rescousse, et prit les commandes ; le reste de son bras droit commençait à son tour à s’engager dans un très vilain bruit de succion, comme vigoureusement tiré vers l’intérieur du mur par elle ne savait quelle force : il y avait lieu de se hâter !

Mobilisant la totalité de ses ressources physiques et mentales, elle se mit à bander son corps, qui s’arqua autant qu’il le put et tira à mort, dans le sens inverse.

Résultat ? Non sans mal, elle ressortit son membre dans un grand « smack » sonore assorti rapidement d’un « pop » de bouchon de champagne qui saute.

Ouf !

Elle fixa longuement son avant-bras copieusement gainé d’une épaisse couche de pâte molle et luisante d’humidité huileuse dont l’odeur lui montait au nez et lui communiquait une nausée qui ne fut pas loin de la faire rendre. Elle fut secouée de sales haut-le-cœur, mais se maîtrisa au plus vite, sans doute du fait qu’elle se souvenait de ce qui était arrivé à son doigt. Ses craintes étaient, hélas, fondées puisqu’elle sentait la pâte se solidifier de minute en minute.

Nouvelle séance de secouements, où elle n’y alla pas, non plus, de main morte.

De nombreuses croûtes et paquets churent. Les paquets mous formaient, au sol, autour d’elle, de grosses bouses répugnantes, dont la puanteur montait, vaseuse  au point de lui arracher des hoquets, des spasmes et autres torsions gastriques. Pourtant, son bras ne se libéra pas entièrement de l’emprise de cette bizarre boue. La matière qui y restait, certes par tronçons, s’était durcie et, comble de malchance, elle avait, ce faisant, bloqué très fermement l’articulation de son coude.

En scrutant, épouvantée, l’œil hagard, son bras raide, elle haleta.

Que se passait-il ? Un pareil phénomène était-il possible ?

Saisie d’une bouffée d’affolement à tous points de vue irraisonnée mais aussi forte qu’une déferlante, elle jeta une ultime œillade aussi vive que  brève à la muraille qui avait bien failli  l’engloutir et, oubliant pour le coup sa fatigue, prit ses jambes à son cou.

En prenant bien soin de se déplacer le plus à distance possible des deux parois de la ruelle de façon à ne même plus pouvoir les effleurer, elle courut, se rua en avant, tel un animal pris au piège. Elle ne pensait qu’à s’éloigner, probablement en proie à un traumatisme. Bouche et yeux béants jusqu’à en paraître déformés, son masque ne réverbérait plus que l’effroi ; son bras englué dans la croûte de mastic solidifié pendouillait le long de son corps, pesant  et encombrant : un vrai poids inerte !

Toujours sans s’arrêter de galoper le long de la mince ruelle, la pauvre fille réussit à abattre je ne sais combien de kilomètres, sans même, presque, en avoir conscience. L’adrénaline, cette force aux pouvoirs souvent étonnants, insoupçonnables, la stimulait, la fouettait, elle-même commandée par la peur brute. De part et d’autre d’elle, cependant, le paysage ne changeait pas. Le sol nu de la venelle, flanqué de deux très hautes murailles interminables sur lesquelles tombait un soleil malsain, brutal, d’une blancheur de craie qui pouvait, à certains moments, se montrer insupportablement aveuglante. Aucune plante, même la plus menue touffe d’herbe, ne poussait sur le sol de l’étroit canyon, ni, nulle part, ne faisait saillie au fil des parois. On eût dit que le soleil poussiéreux n’admettait pas la moindre trace de vie. L’ombre était, elle aussi, pour ainsi dire bannie, ce qui était pour le moins insolite. Les deux murs, par endroits, se bosselaient, se boursoufflaient plus que jamais. Pour ne pas dire, même, qu’ils se gondolaient, décuplant la crainte de la fuyarde.

Un moment donné, à sa gauche, la paroi frappée de lumière crue sembla constituée de papier-journal ici humide, là encore plus ou moins fripé, chiffonné, voire roulé en nœuds, en boules et, quelque fût le cas de figure, marqué d’énormes caractères d’imprimerie pleins de déformations, souvent disposés à l’envers dont l’encre très noire, à ce qu’elle en voyait allègrement dégoulinante, laissait descendre de sinistres pâtés et autres ruisseaux jusqu’au sol, où ils ne se privaient pas de venir déborder tout leur saoul.

Ce phénomène stoppa un temps la course effrénée de la fille, et il s’ensuivit, bien sûr, en elle, un renforcement du trouble.

Que devaient bien pouvoir signifier ces « lettres » exagérément grandes, sombres et baveuses à faire peur, aussi tortueuses que si elles étaient en train de grimacer ?

Tous comptes faits, la fuyarde n’avait pas le temps de s’attarder là-dessus. Son obsession de la fuite ne la quittait pas, qui lui nouait le ventre, la pressant de reprendre sa course et de, surtout, ne pas commettre la possible (si ce n’était pas même la probable) imprudence d’aller poser son doigt sur l’un ou l’autre de ces pâtés d’encre ou sur les lignes torsadées qui, pour leur part, épanouissaient, autour, des houles ridulées  à peine moins mobiles que de turbulentes vagues, eut donc le dessus sur le degré de sa curiosité, pourtant assez fort. Imposant le silence à ses questions de façon brutale, elle reprit donc séance tenante sa ruée vers l’avant à l’intérieur de la venelle qui ne semblait pas vouloir finir.

Les débordements en creux sur fond aveuglant, eux, eurent bien une fin, et les murs recouvrèrent  leur presque hallucinante nudité. Toutefois, cette nudité n’arborait plus, tant s’en fallait, la même luminosité corrosive. Dans le même temps que le passage se rétrécissait à vue d’œil, un léger voile d’ombre, peu à peu, se posait, tant sur le sol que sur les surfaces des murailles pâteuses. Vint un moment où la fuyarde fut stoppée net dans son élan, tant le rétrécissement de la ruelle s’était fait extrême.  Les deux parois en vis-à-vis s’avançaient maintenant l’une vers l’autre en bombant leurs parties qui se trouvait précisément à hauteur d’homme comme si, à cet endroit, ces dernières s’étaient transformées en deux imposantes panses de bons viveurs, (ou encore deux colossales cloques dignes de femmes au terme de leur grossesse) qui se rapprochaient dans le but de se toucher et d’échanger quelques frottements.

Le temps de mettre à profit cette interruption forcée de sa course pour régulariser son souffle devenu trop court et trop sifflant, la fille, tablant sur la finesse de son jeune corps, s’engagea – se glissa, devrait-on plutôt dire- en dedans de l’ouverture très resserrée. Mais dès lors qu’elle se retrouva dans ce goulet d’étranglement, ce fut pour constater que son ventre, si plat qu’il fût, et le bas de ses reins touchaient sans aucun doute possible la part la plus avancée des deux protubérances qui se faisaient face. Contre toute attente de sa part, son jean et son T-shirt raclaient des surfaces qu’elle ressentait comme plutôt fermes, si ce n’était dures, granuleuses. Cependant, tandis qu’elle se faufilait tout doucement, on ne peut plus précautionneusement, en tâchant de se heurter le moins qu’elle le pouvait à cette matière qui, malgré ce qu’elle avait connu – et affronté -peu de temps avant, lui inspirait encore confiance, ladite matière changea comme par enchantement de consistance : elle s’amollit en un clin d’œil ; les deux proéminences saillantes, alors, formèrent des extensions  qui, de manière tout à fait visible et à la même vitesse foudroyante, vinrent s’accoler et se fondre tout en se collant résolument à sa personne, au niveau de sa taille et de la saillie de sa hanche gauche. Immédiatement après, sans lui donner le moindre temps, la moindre chance de pouvoir trouver une parade, deux autres coulées d’épaisse pâte pâle, de même nature, en firent autant, au même niveau, sauf que là, elles fusionnèrent tout en adhérant au côté droit de son corps. Après cela, les vides eurent tôt fait de se remplir : la drôle de mélasse proliféra en tous sens et se plaqua d’abord contre son dos ; à peine une nanoseconde plus tard, elle se pressait contre la totalité de son torse. Evidemment, elle durcit. Comme aurait durci du mortier.

Immobilisée. Prisonnière. Arrêtée net. Plus de fuyarde !

Elle ressentit une étreinte lourde, compacte, glaiseuse, qui, très rapidement lui comprima le thorax avec de plus en plus d’insistance. Un étau qui se resserrait. S’écrasait, de minute en minute.

Elle eut beau paniquer, se débattre, pousser de tous côtés, hargneusement, en y engageant toute sa force, toute sa colère, toute sa terreur, la lutte était beaucoup, mille fois trop inégale. Elle gigota – ou essaya plutôt de gigoter – en vain. Elle ne fit que s’épuiser, que perdre ses vigueurs ultimes.

Peu à peu, ce fut la submersion, le broiement par cette sorte de glaise, qui continuait de s’affermir, comme pour la transmuter en crêpe. Cherchait-elle à se nourrir d’elle ? A la gober, comme fait la tourbe ?...

Instinctivement, elle hurla (s’imagina hurler ?) « au secours ! » ; seul lui répondit le silence, où son filet de voix se perdit, changé en misérable « couic ». Bien sûr, bien sûr…plus assez de souffle.

Et, comme s’il s’agissait de la dissuader de vouloir « crier » davantage, un énorme bâillon de mastic humide et collant à souhait trouva le moyen d’engouffrer son répugnant glissement de limace dans sa bouche encore grande ouverte. Et advint la suffocation.

 

 

 

 

 

 

P. Laranco.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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