Camille
CLAUDEL. Un être de feu ; une artiste maudite ; une femme toute
entière possédée par la démesure, l’exigence, l’urgence de son obsession
créative. Une sculptrice de génie dont la vie ne fut qu’une âpre lutte contre
le monde entier, et prend l’allure d’un martyre. Une espèce de « gorgone »
mi « androgyne », mi sauvageonne qui n’avait, ne réussissait à
trouver sa place nulle part, parce qu’elle ne savait plier, se plier. Taillée
pour les combats de Titans (avec le marbre, avec Rodin, avec Paul son frère et
avec l’ordre bourgeois dans son ensemble) qui, toutefois, la brisèrent, la précipitèrent,
au final, dans les abîmes de l’oubli total.
L’auteure,
Anne DELBEE, nous la restitue au fil des pages flamboyantes de ce « portrait »
de plus de 500 pages, dans un style chaotique et poétique quoi que chargé de
résonnances sensuelles, qui ne peut pas ne pas nous « secouer », un
peu comme un brutal séisme.
S’écartant
de la forme de récit biographique traditionnelle, Delbée cherche fébrilement
une âme, et malgré, par endroits, quelques tendances un peu mélodramatiques, l’atteint
(pour autant qu’une telle performance s’avère réalisable) en son profond.
La figure
de Camille Claudel, c’est celle de l’artiste absolue. L’existence de Camille Claudel,
c’est un drame ; une tragédie grecque. C’est la tragédie du génie
incompris, de l’Icare porté à son paroxysme d’incandescence. Et cela, le livre
le sait, le porte, le rend. De bout en bout. Chapitre après chapitre, les
tronçons de récit nous bouleversent, nous remuent, jusqu’à la moelle. Il y
avait longtemps que je n’avais lu, pour ma part, un ouvrage si émouvant.
Reste,
une fois ledit ouvrage refermé, une question en suspens, qui plane :
Camille était-elle folle ?
Ou –
bien plutôt – doit-on uniquement l’appréhender comme une victime du « système »,
des valeurs patriarcales et bourgeoises implacables qu’elle a profondément gênées,
une écorchée-vive qui ne savait pas dissimuler ses sentiments profonds, son
porte-à-faux et son mal-être ?
Entre
le génie et certaines maladies (ou fragilités) mentales, nous le savons à
présent, la frontière peut être mince.
Quant
à la psychiatrie, n’est-elle pas une sorte de « police de l’esprit »
et des comportements aux buts avant toute autre chose normalisateurs ?
Mais
le propos du livre, semble-t-il, n’est pas de répondre à ce questionnement.
Peut-être parce que la fascination qu’exerce cet être hors du commun, cette
créatrice à la dimension (tant humaine qu’artistique) d’une puissance exceptionnelle
suffit, et évacue tout le reste.
Il faudra
quarante ans pour que le génie (posthume) de cette géante de l’art refasse
enfin surface. Il ne pouvait qu’en aller ainsi, car les génies ne peuvent être
voués à « disparaître ». Avec discrétion, par petites touches
pareilles à autant de petits « coups de griffe » bien assénés, Anne Delbée en profite également pour égratigner, non sans une certaine insistance,
la révoltante injustice, si ce n’est la totale absurdité d’une culture humaine
qui, depuis le fin fond des temps, s’acharne à exclure les femmes de tous les
champs de la créativité. En un sens, on peut considérer, donc, ce livre comme
une œuvre habilement « militante ».
Même
s’il date de 1982, cet ouvrage n’a pas pris une ride. Il reste aussi agréable
qu’édifiant et que captivant. A lire…ou à relire !
P. Laranco.
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