Pourquoi écrire
finalement ? Alors qu’on bute à chaque instant sur un même sentiment
d’incapacité ? Alors qu’on ne sait que trop bien l’impuissance des mots ? Alors
que cette pratique est de la même famille que le tourment ? Alors que résonnent
en soi les fracas de ses propres limites ? N’est-il pas préférable de se taire
? De vaquer à d’autres occupations ? Ne faut-il pas en finir avec cette
misérable prétention, celle d’être auteur ? Il est une noblesse à la création
artistique mais il est une encore plus grande noblesse à cette lucidité, qui
découvre le paysage clairsemé de votre médiocrité, qui un véritable rappel à
l’ordre, qui vous dit sans détours ce que vous êtes, qui grave dans votre
crâne, déjà trop incendié par les euphories, que votre création ne vaut pas
grand-chose. Pourquoi s’acharner alors ? Pourquoi revenir encore et encore aux
mots ? Parce que vous ne pouvez faire autrement. Mais c’est un bien piètre
alibi romantique. L’artiste possédé. L’artiste dont l’âme appartient à sa muse.
Il faut trouver mieux. Vous avez utilisé le mot « lucidité » qui implique
le contraire de tous les aveuglements. Non, vous écrivez parce que l’écriture
est un acte de résistance. Le mot est certes grandiloquent. Il évoque de vastes
combats, de vastes acharnements. Il ne convient à votre vie, cette réjouissante
complémentarité d’une pseudo-marginalité et de la vie presque bourgeoise. Mais
l’écriture est résistance. Elle l’est. Ecrire est d’abord la résistance à
soi-même, à son être pétri de contradictions, à ses élans et à ses défaites, à sa
dislocation et à sa réincarnation, écrire est résister à sa médiocrité mais
plus encore résister à la médiocrité des autres, à une société inique,
corrompue, qui nous épuise à force d’enfers, qui nous ravale au culte du pire,
écrire est résister à l’ordre du monde, à l’oppression, à ses injustices, à sa
folie, écrire est résister au temps, à la précarité, écrire est ce cri orgiaque
qui dit la présence de l’être, écrire est résister aux fictions de la laideur
en perpétuant la beauté, qu’importe qu’on ne puisse jamais la dévoiler,
qu’importe qu’elle demeure inaccessible mais cette quête suffit, écrire est
résister à la mort, à la gravité des rides et à son cortège de cendres, écrire
est résister à la haine, l’écriture n’est peut-être pas œuvre d’amour mais elle
en a les formes, les couleurs et la douceur. Ecrire est ainsi entrer en
résistance. Pourquoi écrire ? Pour rien sans doute. Parce que vous ne pouvez
faire autrement. Qu’importe. On s’en fout. Parce que vous résistez. Parce que
cette résistance vous permet de cesser de mourir et d’être parfois.
Umar
TIMOL.
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