- Docteur, je ne suis jamais sûr de rien. Je doute de
tout. C'est un enfer !
Le médecin fronce le sourcil :
- Ah bon ? Que voulez-vous dire par là ?
- Eh bien [la voix tremble]...vous êtes là...mais je crains que vous vous évaporiez...j'ai l'impression que ça pourrait survenir d'un instant à l'autre. Un peu comme dans les mirages...pouf ! On voit les choses, puis tout se dissipe. Ou alors, c'est comme dans les rêves : leurs contours se défont, fluctuent...et puis du tout au tout, ils changent : de cadre, de situation, d'acteurs !
Qu'est-ce qui me prouve qu'en ce moment même, je suis vraiment ici, assis en face de vous ? Et si tout ça [l'homme embrasse l'ensemble de la pièce d'un vaste geste semi circulaire du bras ] n'était pas davantage qu'un décor...un décor de théâtre, par exemple...ce décor ne pourrait-il pas se voir remplacé à n'importe quel moment ?
Je ne vous verrais plus, ni ce bureau, ni cette fenêtre, mais je verrai une immense prairie... ou un hideux babouin tous crocs dehors, qui se mettrait à me foncer dessus...où un cul-de-basse-fosse au fond duquel je serais enfermé...ou quoique ce soit d'autre...les choses sont tellement imprévisibles !
Elles sont si fragiles que j'ai quelquefois l'impression de passer au travers...
- Vraiment ?
- Oui. Est-ce que je suis réel ? Ou est-ce ce que je vois, touche, entends, goûte qui me ment sans cesse ?
De temps en temps, je suis si perdu, perturbé que je me pince - jusqu'au sang !
Rien n'arrive à me convaincre de ma réalité, ni, d'ailleurs, de celle du monde. Tenez...parfois, je m'installe devant un miroir, je scrute...et je ne vois rien ! La glace reflète tout ce qui est censé m'entourer dans le moindre détail, mais pas moi-même. A d'autres moments, c'est le contraire : je me vois, et je me reconnais, même, mais la pièce qui m'entoure a complètement changé, de sorte que, légitimement, je me dis "qu'est-ce que je fous là ?". Et je sors brutalement de la pièce...
Lire et écrire... j'y ai renoncé. Cela devient insupportable. Dès que j'ai lu une phrase,, je ne suis plus du tout sûr de l'avoir réellement lue. Alors, je recommence sans cesse; je reviens en arrière; je la relis; je n'arrête pas de la relire. Mais rien n'y fait : je n'arrive jamais à me convaincre que j'en ai bien fini avec elle. Je me dis : "est-ce que, par hasard, tu n'aurais pas plutôt lu autre chose ?" Et, effectivement, j'ai l'impression que la phrase, entre temps, a bel et bien changé; c'est la même chose...à chaque reprise; à chaque fois que je la relis !
Dans ces conditions, vous comprendrez bien que ma lecture se bloque : pas moyen de la faire progresser, de la faire avancer...je stagne, je fais du sur-place !
Et pour l'écriture...l'autre jour, j'ai écrit une lettre à ma mère, que j'adore et dont je suis très proche - du moins si mes souvenirs sont bons -...J'ai couché la première ligne et j'étais, ce faisant, persuadé que j'écrivais "Maman chérie". Puis je me suis arrêté quelques deux secondes, juste pour chercher les mots suivants...mon regard est machinalement retombé, pendant ce temps-là, sur la petite ligne, et savez-vous ce que j'y ai lu ? "Espèce de vieille peau de vache" ! Ça m'a tellement paralysé d'horreur que, du coup, j'ai cessé d'écrire. Tout net.
Ne pensez-vous pas, cher docteur, qu'il y a de quoi devenir fou ? Mais...mais...c'est étrange...la couleur de vos yeux n'est plus tout à fait la même. Et puis, vous ne dites plus rien...au fait, êtes-vous vraiment un médecin ?...Heu...transformez-vous en ce que vous voulez, mais pas en bouledogue...ni en chat de Sheshire !
Pourquoi vous me souriez comme ça ? Pourquoi vos dents s'allongent ?
Le médecin réplique :
- Cher monsieur, je pourrais aussi bien vous retourner le compliment. Pourquoi votre chaise est-elle vide ? Je n'entends plus que votre voix !
- Ma voix...ma voix, vous êtes sûr ?
- Enfin, je suppose que c'est la vôtre...
- Pour vous l'avouer, je n'en sais rien. Je serais bien en peine de vous le dire.
...Et puis, d'abord, je vous dis quoi ?
- Vous me dites que j'existe. Mais j'en doute !
Le médecin fronce le sourcil :
- Ah bon ? Que voulez-vous dire par là ?
- Eh bien [la voix tremble]...vous êtes là...mais je crains que vous vous évaporiez...j'ai l'impression que ça pourrait survenir d'un instant à l'autre. Un peu comme dans les mirages...pouf ! On voit les choses, puis tout se dissipe. Ou alors, c'est comme dans les rêves : leurs contours se défont, fluctuent...et puis du tout au tout, ils changent : de cadre, de situation, d'acteurs !
Qu'est-ce qui me prouve qu'en ce moment même, je suis vraiment ici, assis en face de vous ? Et si tout ça [l'homme embrasse l'ensemble de la pièce d'un vaste geste semi circulaire du bras ] n'était pas davantage qu'un décor...un décor de théâtre, par exemple...ce décor ne pourrait-il pas se voir remplacé à n'importe quel moment ?
Je ne vous verrais plus, ni ce bureau, ni cette fenêtre, mais je verrai une immense prairie... ou un hideux babouin tous crocs dehors, qui se mettrait à me foncer dessus...où un cul-de-basse-fosse au fond duquel je serais enfermé...ou quoique ce soit d'autre...les choses sont tellement imprévisibles !
Elles sont si fragiles que j'ai quelquefois l'impression de passer au travers...
- Vraiment ?
- Oui. Est-ce que je suis réel ? Ou est-ce ce que je vois, touche, entends, goûte qui me ment sans cesse ?
De temps en temps, je suis si perdu, perturbé que je me pince - jusqu'au sang !
Rien n'arrive à me convaincre de ma réalité, ni, d'ailleurs, de celle du monde. Tenez...parfois, je m'installe devant un miroir, je scrute...et je ne vois rien ! La glace reflète tout ce qui est censé m'entourer dans le moindre détail, mais pas moi-même. A d'autres moments, c'est le contraire : je me vois, et je me reconnais, même, mais la pièce qui m'entoure a complètement changé, de sorte que, légitimement, je me dis "qu'est-ce que je fous là ?". Et je sors brutalement de la pièce...
Lire et écrire... j'y ai renoncé. Cela devient insupportable. Dès que j'ai lu une phrase,, je ne suis plus du tout sûr de l'avoir réellement lue. Alors, je recommence sans cesse; je reviens en arrière; je la relis; je n'arrête pas de la relire. Mais rien n'y fait : je n'arrive jamais à me convaincre que j'en ai bien fini avec elle. Je me dis : "est-ce que, par hasard, tu n'aurais pas plutôt lu autre chose ?" Et, effectivement, j'ai l'impression que la phrase, entre temps, a bel et bien changé; c'est la même chose...à chaque reprise; à chaque fois que je la relis !
Dans ces conditions, vous comprendrez bien que ma lecture se bloque : pas moyen de la faire progresser, de la faire avancer...je stagne, je fais du sur-place !
Et pour l'écriture...l'autre jour, j'ai écrit une lettre à ma mère, que j'adore et dont je suis très proche - du moins si mes souvenirs sont bons -...J'ai couché la première ligne et j'étais, ce faisant, persuadé que j'écrivais "Maman chérie". Puis je me suis arrêté quelques deux secondes, juste pour chercher les mots suivants...mon regard est machinalement retombé, pendant ce temps-là, sur la petite ligne, et savez-vous ce que j'y ai lu ? "Espèce de vieille peau de vache" ! Ça m'a tellement paralysé d'horreur que, du coup, j'ai cessé d'écrire. Tout net.
Ne pensez-vous pas, cher docteur, qu'il y a de quoi devenir fou ? Mais...mais...c'est étrange...la couleur de vos yeux n'est plus tout à fait la même. Et puis, vous ne dites plus rien...au fait, êtes-vous vraiment un médecin ?...Heu...transformez-vous en ce que vous voulez, mais pas en bouledogue...ni en chat de Sheshire !
Pourquoi vous me souriez comme ça ? Pourquoi vos dents s'allongent ?
Le médecin réplique :
- Cher monsieur, je pourrais aussi bien vous retourner le compliment. Pourquoi votre chaise est-elle vide ? Je n'entends plus que votre voix !
- Ma voix...ma voix, vous êtes sûr ?
- Enfin, je suppose que c'est la vôtre...
- Pour vous l'avouer, je n'en sais rien. Je serais bien en peine de vous le dire.
...Et puis, d'abord, je vous dis quoi ?
- Vous me dites que j'existe. Mais j'en doute !
Patricia Laranco.
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