Dans la sommaire notice qui inaugure cet ouvrage, son auteur, Roger
SMITH, est qualifié de nouvelle voix du
roman policier sud-africain. Ses polars, quant à eux, reçoivent l’appellation
de protest books sous la plume de la
critique française Sabrina CHAMPENOIS, du journal Libération, en quatrième
de couverture. Cela saute aux yeux, en tout cas, en ce qui concerne celui-ci.
Contrairement à ce qu’aimerait bien se figurer l’angélisme
désinvolte des bourgeois bohèmes de la « gauche caviar » parisienne,
l’ancien pays de l’apartheid ne semble ressembler encore que d’assez loin au
merveilleux reflet qu’en donne la fameuse production cinématographique
hollywoodienne INVICTUS.
Les « bobos » adorent voir du « vivre ensemble »
partout. Mais Nelson MANDELA, malgré toutes les qualités qui étaient les
siennes, n’a pas suffi à balayer, d’un coup de baguette magique (le pouvait-il ?)
toutes les gangrènes qui continuent de ronger ce pays en état permanent de guerre non déclarée.
C’est avec un brio certain doublé d’une crudité percutante que Roger
SMITH sait nous mettre pleinement face à cette cruelle réalité, c'est-à-dire nous
montrer à quel point la nation dite « arc-en-ciel » suffoque encore
sous les contrastes de niveau de vie proprement vertigineux, l’arrogance
persistante des Blancs retranchés dans leurs résidences fortifiées de grand luxe
où ils vivent entre eux, comme en état de siège - et demeurent toujours
persuadés de pouvoir tout se permettre en profitant du dénuement endémique de
tout le reste de la population pour le « tenir » au moyen d’une
corruption totalement « décomplexée » - la misère, tant matérielle
que morale, mentale des métis qu’il met en scène et la haine, l’atroce violence de tous les jours qui en
résultent.
L’Afrique du Sud vue par R. Smith, c’est un pays de psychopathes
aussi brutaux, manipulateurs et cyniques que le furent, en leur temps, certaines
gens de l’ancien Far-West. C’est l’une des illustrations les plus parfaites,
les plus intransigeantes qui soient au
monde de l’immense gâchis qu’a forgé et laissé derrière lui le colonialisme
européen.
Dans toutes les nations qui ont été marquées par ce que d’aucun
osent appeler « l’aventure coloniale » ( et par la façon de penser
qui n’a jamais manqué de s’installer avec elle) ou sont nées de sa survenue
(tels les U.S.A, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les petites îles des
Antilles ou bien de l’Océan Indien, l’Amérique latine continentale et, bien
sûr, l’Afrique du Sud), on retrouve, sous des formes latentes ou manifestes et
à des degrés divers, l’ombre de cette violence née des oppositions interethniques
et des exclusions, des inégalités criantes et des mal-être chroniques. De
telles sociétés, au fond, ne peuvent déboucher que sur une forme de folie, car
elles doivent leur genèse à des chocs d’une inimaginable violence.
En Afrique du Sud, le « choc colonial » a fait des
ravages au-delà de toute expression. A en juger par ce livre, le cloisonnement
social lié à l’appartenance ethnique perdure tout naturellement, en dépit du « changement
de régime », juste sous une forme officieuse, plus hypocrite, beaucoup plus
discrète. Un peu comme à Maurice ou en Inde (un autre pays très, très, très
dur), la caste, la couleur de peau et la richesse (sans compter la corruption)
jouent un rôle déterminant, extrêmement malsain, avec ici, en supplément, une
haine inter et intra communautaire d’autant plus redoutable qu’elle demeure
exacerbée, inamovible. La violence et le désespoir sans fond sont – c’est
vraiment le cas de le dire – « à fleur de peau » (et à fleur de vie).
Nous sommes sur un baril de poudre.
Dans ce livre, tout ceci se trouve étonnamment bien exprimé par
une écriture vive, directe, tendue, électrique et nerveuse, qui réussit au-delà
de toute espérance à se faire le fidèle reflet du cadre dur, implacablement
marqué par la lourdeur et la nocivité de l’héritage colonial qu’elle cherche à dépeindre. Nous avons également droit à des
portraits – sans concessions quoique subtils – de personnages – de « types »,
plutôt – auxquels on a, il faut bien le dire, un certain mal à s’attacher :
un magnifique portrait de bourgeois rempli d’ « états d’âme » du
genre « le Sanglot de l’Homme Blanc », mais sans caractère, sans la
moindre étincelle de volonté, de « suiveur » d’une veulerie et d’une
cruauté involontaire consternantes, celui d’un « caïd » psychopathe
au dernier degré des slums ultra-sordides du Cap qui terrifie (à raison) tout
le monde et, pour finir, celui d’une jeune desperada métisse complètement
paumée et terriblement seule sur le plan affectif, ce qui ne l’empêche pas de
se montrer retorse.
Un véritable polar social comme je les aime et qui, pour ma
part, m’a singulièrement « scotchée ».
Roger Smith : pour tous ceux qui apprécient ce genre
littéraire, un auteur, sans conteste, à suivre…
P. Laranco.
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