Pour l’éminent professeur Vilayanur RAMACHANDRAN, ce tamoul
indien ayant manifestement reçu une formation très britannique, le cerveau
humain est un objet non seulement d’étude, mais encore de fascination certaine.
Lui qui le connait pourtant du mieux qu’on puisse le connaitre dans l’état
actuel des choses, ne jette-t-il pas, vers la fin de cet ouvrage qui compte
près de 400 pages, l’exclamation Ah !
Nous savons si peu de choses sur le cerveau ! ?
Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que l’Homme soit, pour l’Homme,
une énigme des plus déroutantes, un être qui parvient nettement mieux à
expliquer la marche du monde physique inanimé et même, dans une certaine
mesure, animé qui l’entoure ( théories de la relativité, mécanique quantique,
Big bang, théorie des cordes, théorie du chaos, théorie de l’information,
théories de DARWIN et de Stephen Jay GOULD, théorème d’incomplétude de GÖDEL…)
que son propres fonctionnement et sa propre nature fondamentale.
Traversé de part en part par une intelligence étincelante et
audacieuse, voire géniale, ce livre fourmille de connaissances inattendues et d’hypothèses
très plausibles et, en dépit de son ton légèrement doctoral, un tantinet
professoral, vaut vraiment le coup d’être « étudié ». Il n’est, au reste,
nullement dénué d’humour et d’allusions personnelles, qui ont le don de l’ «
humaniser ». La double culture du professeur a largement ouvert son
esprit, déjà subtil et souple (comme tout esprit indien qui se respecte) et
démesurément curieux. L’esprit d’un individu issu d’une culture hindoue ne peut
être qu’à l’aise avec la complexité extrême, que l’auteur semble ressentir
comme une sorte de « défi ».
Aux yeux de Ramachandran, le grand singe n’est que le « point
de départ » de l’Homme, et un fossé à jamais impossible à combler sépare l’espèce
humaine de ses cousins primates actuels. Il invoque même, à ce propos, un phénomène qu’on
appelle, en science physique, « transition de phase ». L’Homo sapiens aurait fini par émerger de la
gent simienne comme L’eau gelée […] se mue en eau liquide, suite à des
millions d’années d’infimes améliorations neuronales progressives
chez les grands singes, puis, ensuite, chez les Hominidés qui en descendirent.
Tout ceci uniquement du fait de la sélection naturelle, l’ennui étant qu’à l’heure
qu’il est, l’absence de toute forme intermédiaire vivante entre le chimpanzé ou
le bonobo (presque bipède) et l'être humain fait cruellement défaut aux enquêteurs
scientifiques.
Le cerveau doit donc s’expliquer dans une perspective évolutionniste. Pour étonnant et
spécifique qu’il soit, notre cerveau ne possède rien de surnaturel. Il est à la
fois un tout et un « objet » des plus hétéroclites, reposant sur des
réseaux de connexions multiples et fragiles aux enchevêtrements inouïs se
divisant toutefois en « aires », en modules (à savoir en « paquets de neurones ») bien
délimités qui communiquent par des impulsions
nerveuses et qui, on le sait à présent, régissent, de manière extrêmement « pointue »,
les moindres de nos activités, de nos réactions, de nos perceptions, de la plus
basique à la plus sophistiquée.
Extraordinaire ? Naturel ? Cela n’a rien d’incompatible.
Mais assimiler cela demande, me semble-t-il, un certain effort intellectuel.
Quoique, bien sûr, il mentionne notre enracinement dans la
lignée primate, l’auteur est trop émerveillé pour ne pas insister sur notre
spécificité humaine, pour ne pas l’exalter en regard de la condition des simples singes. En cela, on pourrait
quasiment opposer son angle d’approche à celui d’un autre scientifique, le
primatologue néerlandais Frans DE WAAL dans son fameux ouvrage (nullement
provocateur) LE SINGE EN NOUS. Mais
il n’en suggère pas moins qu’ « au commencement était (probablement)
la branche », la vie arboricole propre à notre lignée, depuis ses
émergences lémuriennes, de même que la vie en groupe.
La perception humaine, que l’on prend communément pour l’apanage
de nos cinq sens est, dans les faits, très largement du ressort de la masse cérébrale.
Le cerveau est le vrai maître de la perception.
Chez l’HOMO SAPIENS, d’une certaine façon, « tout est dans
le câblage », dont la complexité permet une grande souplesse et, dans
nombre de cas, réserve bien des surprises, car elle donne lieu à de nombreuses
différences interindividuelles. Il existe, en effet, des câblages étranges,
inhabituels (voir, par exemple, le cas de la synesthésie). De même, certains « branchements »
qui existent entre les fameux « modules peuvent se trouver désactivés, ou
empiéter les uns sur les autres, neuronalement parlant.
C’est bien le cerveau qui construit le sens du MOI, le sens de l’incarnation, tant au niveau conscient
qu’au niveau inconscient, interne, organique (La moitié postérieure de [l’insula] combine les multiples signaux sensoriels – incluant la douleur –
provenant des organes internes, des muscles, des articulations et des organes
[du sens de l’équilibre] de l’oreille pour générer un sens
inconscient d’incarnation.).
Il n’empêche : le caractère très divisé de notre cerveau est indéniable, en sorte que l’hémisphère gauche tente [constamment
de] préserver la cohérence du moi et la
stabilité du comportement (d’où l’affabulation, le déni et les illusions observées en psychiatrie).
Complexe, donc divisé ; cela parait logique.
Rien qu’entre la « triade » cerveau reptilien/ cerveau
limbique (où siègent les émotions)/néocortex et l’ « opposition »
complémentaire entre le cerveau droit et le cerveau gauche, il n’y a déjà pas à
s’étonner que nous abritions de multiples « JE », de multiples « AUTRES »
et de multiple jeux de neurones-miroirs. Il est intéressant aussi de constater
que notre empathie (inexistante chez certaines gens comme les autistes ou les sociopathes,
sans doute du fait d’une pénurie de neurones-miroirs,
ou neurones du mimétisme, qui font de nous les animaux les plus reliés à leurs
congénères qui soient dans la nature) se trouve contrecarrée, bloquée par notre cortex frontal, sans
quoi nous perdrions à la fois le sens de notre propre existence et celui de
celle de l’autre.
[…] Arthur D (Bud) Craig,
du Barrow Neuronogical Institute de Phoenix
a suggéré que l’insula postérieur enregistrait seulement des sensations
rudimentaires inconscientes, qui ont besoin d’être « re-représentées »
sous des formes plus sophistiquées dans l’insula antérieure pour que vous
puissiez expérimenter consciemment votre image corporelle ; le cortex
préfrontal est, lui, impliqué dans les
aspects conceptuels du moi, de même
que le lobe pariétal) ; il est responsable d’un sens vivace du corps animé qui agit consciemment.
Certaines parties du cerveau parfaitement identifiées
construisent également des cartes
sensorielles représentant chaque partie du corps, avec une nette exagération du pied, de la main, du
visage (et, dans le visage, de la bouche) doublée d’une disposition très
curieuse puisque le pied (non, je ne rigole pas !) y jouxte les organes
génitaux et la main y jouxte le visage.
Ces étonnantes découvertes sont très récentes (la révolution
neuronale est en marche !) et nous les devons à l’étude (à laquelle le Pr
Ramachandran s’est énormément dédié) de divers dysfonctionnements cérébraux (qu’ils
soient d’origine génétique, dus à des accidents graves de santé tels des AVC ou
encore des tumeurs cérébrales – ou à des amputations de membres) qui se
traduisaient dans le domaine sensori-moteur et donnaient souvent lieu à des
phénomènes passablement bizarroïdes (ex : le membre ou le jumeau fantômes), lesquels intriguaient fort
les spécialistes. C’est l’anormalité, ici, qui a fait avancer la science,
conjointement avec l’émergence d’extraordinaires nouveaux moyens techniques :
l’imagerie cérébrale et la mesure de la micro-
sudation (RED) qui trahit toujours nos réactions émotionnelles, même les
plus réprimées.
L’auteur se penche (et lève le voile) sur un assez large spectre
de phénomènes qui, jusqu’alors, constituaient de véritables « casse-têtes » :
l’AUTISME, la CRÉATIVITÉ, la SYNESTHÉSIE, le GÉNIE, le LANGAGE, l’ART, l’INTROSPECTION,
la PERCEPTION, le SENTIMENT DU MOI et les PROBLÈMES D'IDENTITÉ (qu’ils soient d’ordre
sexuel ou autre), les STADES DISSOCIATIFS, ou les expériences de SORTIE DU
CORPS.
Les neurosciences vont-elles bientôt rendre la psychologie (même
cognitive et comportementale) caduque ?
Je n’aurais pas la prétention, bien sûr, d’apporter une réponse.
Toujours est-il que tout ceci conforte l’idée que l’unité de notre mental est
plutôt quelque chose de fragile. Ramachandran va jusqu’à valider la notion
freudienne d’inconscient et répond, en quelque sorte, scientifiquement, à de
nombreuses questions qu’abordait FREUD, tout en rejetant, évidemment, tout le
reste du fatras psychanalytique et même une bonne partie de la nosologie
psychiatrique officielle.
On peut peut-être lui reprocher (quoiqu’il s’en défende) de
chercher à tout expliquer, à tout « décortiquer » et de ramener un
peu tout à sa perspective scientifique propre. Pourtant, curieusement, il n’écorne
en rien l’insondable mystère spirituel.
Il n’y a pas, selon lui, de « dessein intelligent » à
l’origine du cerveau, de ses capacités réflexives, raisonnantes (et autres)…Mais
cette complexité unique, d’une tortuosité singulière, s’étonnera toujours de se
propre existence.
Comment définir l’essence (rasa,
pour reprendre le terme sanskrit utilisé, à un certain moment, par l’auteur) d’un
tel phénomène ? Est-ce possible ?
P. Laranco.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire