mardi 14 mars 2017

Lecture (poésie roumaine francophone) : Dana SHISMANIAN, "LE FRUIT OBSCUR", Editions du Cygne, 2017




Il semble que, pour Dana SHISMANIAN, l’audition de la musique soit une expérience bien plus qu’intense : grandiose, orgasmique, extatique, initiatique, chamanique ; cosmique même.
Au fil de ce recueil de 73 poèmes au nombre de vers (libres) très variable, illustré, cela vaut d’être signalé, en couverture, par un très bel Œil qui voit tout et qui sait tout de l’artiste mauricienne Jeanne GERVAL-ARROUF, l’auteure nous dévoile le rôle tout à fait particulier qu’elle joue dans sa vie de quête.
Non seulement ce « tsunami », cette puissance quasi élémentaire que représente, à ses yeux, le mariage des sons et des rythmes possède le pouvoir de « chambouler », de « faire chavirer » l’être, mais encore il a à son actif celui de le dématérialiser.
Un peu comme (toutes proportions gardées)  Arjuna lorsqu’il est littéralement broyé, « soufflé » par la Vision de Krishna dans sa Forme Universelle (Bhagavad Gita – Dialogue 11), D. SHISMANIAN se laisse, au travers de son contact fusionnel avec les notes-couleurs (synesthésie ?) terrasser par quelque chose qui la dépasse, la dissout…et la libère.
Grâce à la musique, elle se trouve en se laissant annihiler. Grâce à la musique, elle s’exalte, roule dans un torrent visionnaire, dans un télescopage décapant d’images aussi chaotiques que violentes et endiablées, qui la malaxent et qu’elle malaxe – jusqu’à ce que toute frontière se perde : aiguilles sonores / hurlement de couleurs […] / mon cerveau ouvert comme une orange ; ondes sismiques ; Ecoute pousser des pouces sur ta tête ; allons enfants de la fratrie fermons nos portillons ; papillon papillon […] c’est ton souffle léger qui m’a poussée sur le chemin sec des sons d’eau / c’est ton aile qui m’entoure du vide protecteur et frais.
A l’instar du phénix, il faut renaître de ses cendres ; et ces cendres résultent de l’ « incendie musical ».
Il est d’ailleurs frappant (en tous les cas en ce qui me concerne) de constater combien les textes de la fin du livre (à partir de la page 40 environ) apparaissent moins exaspérés, moins luxuriants et bouillonnants, moins spasmodiques, plus maîtrisés, plus apaisés et sobres, plus philosophiques que ceux du début. On y débusque, par exemple, des « aphorismes » de nature souvent paradoxale ou plus profonde qu’elle n’en a l’air que, pour ma part, je goûte fort : c’est le rêve comme souvenir / de ce qui ne s’est jamais passé ; rien jamais ne peut arrêter / un commencement ; ce qui commence commence toujours / ce qui s’achève ne s’achève jamais ; dieu de mes doutes de mes redoutes (in Prière, p. 61) ; vies morts résurrections / de tous les jours de toutes les heures ; oubliez-moi / j’ai besoin du néant réparateur / l’être non merci / plus maintenant.
De cet ouvrage, je dirai volontiers : « c’est un livre de métamorphose(s) ».








P. Laranco.

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