Est-ce
vraiment ce que les autres regardent, voient de nous que nous sommes ? Je
dirais, pour ma part, "oui et non". Ils nous voient comme on voit la
portion émergée d'un iceberg. Ils ne nous voient pas comme l'on n'en voit pas la
partie immergée.
Le pire n’est pas tant que les gens
aient des préjugés, mais qu’ils y tiennent, qu’ils s’y accrochent bec et
ongles.
Mais c’est ainsi : les préjugés
aident les ignorants à croire qu’ils savent.
Ce que
nous appelons « Dieu » et « Diable » et que nous tenons
tant, dans notre désir et dans presque toutes nos religions, à dissocier, sont
une seule et même chose.
De même
que leur « version » plus laïques, qu’on a dénommées
« Bien » et « Mal ».
Bonté et
« méchanceté » n’ont, en soi, rien qui les différencie. Elles ne sont
ni l’une, ni l’autre revêtues d’une particulière signification.
Seules,
sont à considérer des lois cosmiques, parfaitement indifférentes, des logiques
froides qui suivent leur cours, leurs enchaînements de causes et d’effets,
leurs complexités souvent retorses.
Quand
serons-nous enfin en mesure de mûrir suffisamment pour parvenir à nous dégager
de notre anthropocentrisme primaire, de l’idée fallacieuse et naïve que l’ordre
cosmique reflète automatiquement nos concepts, nos impérieux besoins d’êtres
humains et donc, les structures de notre cerveau et nos exigences
sociales ?
Même dans
le cadre de nos sociétés, nous collaborons autant que nous nous
entre-agressons.
Si Dieu
existe, il doit être envisagé dans sa véritable dimension : une dimension
cosmique, infinie. Il doit être envisagé à son échelle, au plus près possible
(si tant est que cela nous soit possible, à nous) de ce que doit être sa nature
propre.
Comment
peut-on penser qu’une entité infinie, à l’échelle incommensurable d’un univers
énorme, et même d’un multivers, et même d’encore infiniment,
incommensurablement plus qu’un multivers, nous haïsse ou bien nous aime ?
La bienveillance et la haine ne sont que des sentiments humains, et guère plus
que ça. Aucun « amour » ni aucune « haine » n’habitent, de
quelque manière que ce soit, les immenses cycles de naissance, de maintien et
de destruction qui régissent les univers. Les mêmes forces peuvent être à la
fois créatrices, organisatrices et destructrices. Dieu – pour reprendre la
fameuse métaphore d’Albert Einstein – manie ses dés, et affectionne sans doute
le hasard. De plus, il nous rend sa véritable et complète représentation par
essence inimaginable ; tout comme il nous rend tout espoir de le
connaître, dans toute l’extension de son étendue et/ou dans son
« noyau » le plus « central », totalement inaccessible.
C’est peu
dire que nous ne pourrons jamais le connaître qu’imparfaitement et fort
fragmentairement.
Les
religions – telles que nous les connaissons – prétendent parler « au nom
de Dieu ». En y réfléchissant, si j’ose dire, quel
« blasphème » !
Restons à
notre place : celle de microscopiques êtres très curieux, animés d’une
curiosité, d’une pulsion de comprendre très aiguisée, évoluant à la surface
d’une minuscule et fragile planète – peut-être, tout comme eux, simple fruit
des seuls caprices du hasard (lequel les a fait bénéficier de conditions fort
favorables, quoi que totalement fortuites), entre les deux colossaux bras
spiraux d’une galaxie parmi tant d’autres, d’une galaxie elle-même perdue au
cœur d’une portion infinie (à notre échelle) d’un univers dont nul n’est sensé
connaître la taille, les limites exactes.
Certes, il
faut pouvoir « tenir le choc ». C’est tout de même dur à encaisser.
Mais, tout
personnellement, cela ne me rend que plus profondément admirative, et plus
encore prête à me prosterner, de toute mon âme, devant Sa grandeur.
Oui, Shiva
est grand ; oui, Allah est grand et oui, « les voix du Seigneur sont
impénétrables ». Oui, les photos du télescope Hubble nous rapprochent,
d’un certain point de vue, de sa compréhension. Cela vous paraîtra peut-être
passablement paradoxal, mais l’idée d’un dieu étranger à toute vision
anthropocentrique ne fait que renforcer ma foi éperdue et émerveillée.
Dieu,
certes, peut ressembler à l’Homme, comme il peut ressembler à tout, puisqu’il
est tout, entre autre chose.
Mais il
est dans notre nature partielle, vertigineusement incomplète, de le
« représenter », de le réduire, de le faire «descendre
vers nous», pour le rendre plus rassurant, plus proche. On ne peut non plus
blâmer cette tendance, cette exigence tout ce qu’il y a de bêtement humaine,
que les religions, notamment, s’évertuent à refléter, à soutenir. L’Homme a
toujours cherché à se mesurer à ce qui le dépasse, à le contrôler. Mais Dieu –
le dépassement suprême – lui répond toujours par le même insondable silence,
qu’il tente de meubler avec ses questions et ses réponses (scientifiques ou
religieuses), au demeurant très respectables.
Les dominants redoutent le
ressentiment des dominés. Les dominés redoutent la puissance des dominants.
Nous vivons dans un monde de peur.
Nous vivons dans un monde où deux
peurs se regardent en chiens de faïence.
Il n’y a
pas que les systèmes totalitaires (de droite ou de gauche), si détestables qu’ils
soient, qui versent dans l’excès et conditionnent, abrutissent les masses par
le biais de la propagande. Le capitalisme libéral-démocratique s’y entend
également très bien, et même d’une façon bien plus subtile et bien plus
redoutablement efficace encore.
Il
s’arrange pour déliter, pour noyer toute idée ou toute conviction qui le gêne
au moyen de la manipulation (de la déformation) de l’information par le
matraquage médiatique, par la publicité et par la stimulation permanente du
consumérisme.
On pourrait
donc, semble-t-il, voir en lui une dictature soft, beaucoup plus astucieuse et
habile que peuvent l’être ses concurrentes, les vraies autocraties.
Vous
voulez des preuves ? Le fait qu’elle ait réussi à se
« mondialiser » et à endommager jusqu’à l’écosystème terrestre dans
son ensemble.
Le talon d’Achille du dominant ?
Son « syndrome de l’enfant
gâté ». Son seuil de tolérance de plus en plus bas à toute forme de
souffrance, et même de frustration.
Si accoutumé à recevoir « tout
tout de suite », si habitué à régner (au point qu’il ne se rend même plus
compte qu’il règne),si hanté par la crainte de perdre ses accumulations de
biens et d’avantages qu’il en devient une « petite nature », plus
hypersensible qu’un caniche !
Si immergé dans les luxes de l’égocentrisme
et du goût du superflu qu’il en désire toujours plus et qu’il grossit, qu’il
surdimensionne le moindre obstacle, érigé au rang de drame. L’ère de
l’hyperabondance est aussi celle de la victimisation pleurnicharde, d’essence
infantile.
Il ne faut surtout pas parler à
l’enfant capricieux, comblé de plus mal loti que lui.
Non seulement ça heurte sa
sensiblerie à fleur de peau, héritière de l’humanisme et, par conséquent,
« gâche » vilainement sa félicité suprême (qu’il ne reconnaîtra, en
général, jamais, ou bien difficilement) en l’angoissant (comme il le dit, ça
« plombe l’ambiance »), mais, de surcroît, ça l’accuse et cela, il
vous le pardonnera encore plus malaisément.
Plus on est riche, moins on aime
partager, cela est bien connu. Plus on est « insouciant », moins on
aime à compatir, ça se vérifie encore.
On ne veut pas de la culpabilité –
encore moins de la « repentance » parce qu’elles sont des
« inconforts » et que l’on ne peut plus tolérer la plus dérisoire
parcelle de ce qui est perturbant ou « désagréable ».
L’un des
plus grands problèmes de l’être humain est dans sa tendance à l’excès, aux
comportements abusifs. N’étant pas régulé par un instinct fort et assez rigide
comme le sont les autres animaux, il ignore très facilement où il convient de
s’arrêter. Ce qui lui tient, en quelque sorte, lieu
d’ « instinct », c’est son fort mimétisme. Tout jeune, il
calquera son comportement sur les comportements des plus proches de ses
semblables et sera, donc, très aisément, s’il y en a, à la merci des mauvais
exemples.
Pour lui,
les « barrières », les indispensables limites sont fixées
principalement par le groupe auquel il appartient, et dont il dépend
étroitement, en tant qu’animal hyper social.
Voilà
pourquoi il ne devrait jamais être question d’ « interdire
d’interdire ».
Trop de
liberté, pas assez de limites, et c’est le grand n’importe quoi :
l’équilibre est rompu, la société et les individus humains qui la composent
basculent instantanément dans le chaos, dans la loi de la jungle où, forcément,
les plus forts et les plus brutaux seront les premiers à avoir le dessus et,
ainsi, risqueront d’attenter de façon sévère aux libertés de la masse, du gros
des troupes (comme on l’a vu à maintes et maintes reprises au cours de notre
Histoire).
Est-ce vraiment
cela que désirent nos ardents chantres « libertaires » ?
Ce qu’il
faut, sans doute, à l’Homme, c’est une combinaison de contrainte (tant
intérieure que collective) et de liberté individuelle, celle-ci se trouvant
toutefois contrôlée et canalisée avec grand soin, au plan intérieur, par ce que
l’on nomme le « self-control » (résultat de l’éducation) et, au plan
sociétal, par l’action de différentes formes de contre-pouvoir (là encore, pour
éviter, notamment chez ceux qui détiennent des pouvoirs, les abus de toutes
sortes).
Une
société humaine, c’est, avant toute autre chose, une question d’équilibre, de
jeu et contre-balancements.
Il est
dommage qu’on ne tienne pas plus souvent compte de ces données, pourtant
essentielles et terriblement basiques, dans nos débats sociologiques et
politiques.
« Liberté » ?
Qu’entend-on par là ?
En France (sans doute au nom de
« l’humanisme latin », de « Errare humanum est »), il
semble que les gens préfèrent entretenir, cajoler leurs travers plutôt que leurs
qualités.
Il y a cet esprit de fronde,
d’ « irrévérence » un peu cynique, un peu absurde, qui paraît
devenue un tic. Donc, on se méfie des « bons sentiments », des
« boy-scouts américains », des rêves et du « politiquement correct »
qui, tous ensemble, provoquent la grogne. On va jusqu’à devenir, en ce
moment-même, apprenti fasciste non seulement par peur, sentiment d’insécurité,
mais par esprit de contradiction, de provocation butée chevillé au corps.
Nos
ancêtres…nous…nos enfants.
Nous ne sommes
que des maillons de chaîne.
La complexité et la fragilité sont
deux données indissociables : « […] plus un système est complexe,
plus il est susceptible de s’effondrer ; au fur et à mesure que [les]
systèmes deviennent plus complexes et que le niveau d’interdépendance entre
leurs différentes parties augmente, maintenir le système dans un état stable
devient plus difficile. » (Ken Dark, Université de Reading, cité dans
l’ouvrage « 1177 AVANT J.C, LE JOUR OU LA CIVILISATION S’EST EFFONDREE »,
de Eric H. Cline, La Découverte, 2014).
Or les corps humains, les cerveaux
humains, les sociétés humaines et les relations qu’elles entretiennent entre
elles sont de très beaux exemples de systèmes complexes.
La complexité est tout ensemble la
force de l’Homme et sa faiblesse. Elle peut tout aussi bien agir, en lui et
pour lui, à la façon d’un moteur ou d’un « vers dans le fruit », à
tous les niveaux.
Quand les
hommes et les femmes se trouveront-ils enfin en mesure de « guérir de leur
mère » ? Quand cesseront-ils – de manière plus ou moins consciente –
de l’idolâtrer et de la punir, de lui faire quasi systématiquement- quoique
dans des proportions variables – « payer » l’état d’impuissance, de
dépendance et l’admiration sans borne du tout jeune enfant qu’ils ont été pour
elle ?
Quelle « thérapie »
se révèlera, un jour, capable d’éradiquer ce fléau injuste et si préjudiciable
à la condition de la femelle de l’espèce humaine : la vengeresse et
irrationnelle misogynie – qui n’a pas de sexe ?
Tout comme nous avons tous un petit
côté « curieux », tourné vers l’avenir, ouvert à la nouveauté et
particulièrement adaptable, plastique, inventif (dans certains cas), nous
possédons tous, aussi, un petit côté conservateur, car l’être humain a,
également, une nette tendance à s’accrocher à ses habitudes et à ses
automatismes mentaux, à ses intérêts et avantages (tant strictement privés que
claniques, « corporatistes »), à ses acquis et à la peur de les
perdre qui va automatiquement avec.
Nous avons autant besoin d’ « ordre »,
de balises que d’invention et d’évolution.
Exigences contradictoires avec
lesquelles, souvent, il ne fait pas très bon vivre.
Le réel
est riche de plus d’un effet pervers, de plus d’un paradoxe, qui le rendent
dérangeant et…troublant, voire fascinant, d’un certain point de vue.
Si l’envie (appelée, plus
usuellement, « jalousie ») est si répandue et tellement spontanée
chez l’être humain – si elle imprègne à un tel degré sociétés et relations
humaines, c’est qu’elle est fille de ce qu’on appelle maintenant « le
cerveau mimétique ».
Nous grandissons en singeant, en
prenant ceux qui nous entourent pour modèles (d’où la brillante intuition
rimbaldienne « Je est un autre »). Notre cerveau fourmille de
neurones-miroirs, et la femme en serait davantage dotée que l’homme.
Maintenant, l’on peut dire qu’on sait
(au moins partiellement) pourquoi les femmes sont si « envieuses » et
si « fusionnelles ».
P. Laranco
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