Après zéro, il y a 1 et -1, et puis ça grouille de
nombres. Littéralement ad nauseam.
Et si zéro avait, plutôt, décidé de rester seul tel quel
? Ou encore, s'il avait préféré se reproduire en se multipliant à l'infini ?
Les nombres n'auraient jamais existé. Zéro aurait été, serait
0x0x0x0x0x0x0x0x0...c'est à dire zéro. Un beau zéro bien net. Un œuf. Qui
n'aurait pas cessé d'être neuf.
Comment zéro est-il devenu 1 et -1 ?
Par mutation (au sens où l'entendent les biologistes, les
généticiens) ? Dans ce cas, pourquoi, serait-on fondé à se demander.
Par solitude ?
Par ennui ?
Parce que, tout seul, il avait trop froid ?
Parce qu'autour de lui, il y avait largement la place
pour tous les autres nombres ...un trop-plein de place ?
Parce que le zéro originel avait horreur du vide et, par
conséquent, ne s'aimait pas beaucoup ?
Voilà un problème de logique que je propose à tous les
matheux. Reste à savoir, maintenant, s'ils seront en mesure d'y répondre.
***
Et pourtant, zéro devait sous-estimer sa propre beauté.
Sa stupéfiante perfection.
Quoi de plus beau que cet ovale parfait, refermé sur
lui-même à la manière d'un Ouroboros * ?
Tiens, essayez de faire le tour de son dessin...vous ne
vous arrêterez pas. Ce qui veut dire que le tour du zéro égale l'infini. Ce qui
veut dire que le zéro n'arrête jamais de tourner autour de lui-même, comme une
planète creuse.
Un patineur qui tournerait sur le dessin du zéro
deviendrait une toupie. Peut-être, à la longue, pris de vertige, se
renverserait-il à l'intérieur de l'ovale, qui l'avalerait tel une bouche. Les
seules issues, avec le zéro, c'est d'y rentrer, ou d'en sortir.
A l'intérieur du zéro, j'imagine que tout est net, que
tout est de silence blanc. Mais si vous m'en demandez davantage, je ne saurais
vous répondre. Sans doute nous heurtons-nous là aux limites de la connaissance
humaine.
Le zéro contient-il quelque chose - et si oui, quoi ? Ne
serait-ce finalement pas lui qui aurait craché tous ces nombres ?
Je l'ignore. Et je redoute que, pour cette raison, le
prof me colle un zéro !
Il me prend pour un âne et mes vieux me disent souvent
"t'es un zéro !"
Mais figurez-vous que je rigole en mon for intérieur (qui
est un vrai fort), car ça me flatte.
Parce que, comme je viens de vous le démontrer, zéro, ce
n'est pas rien.
J'en ai assez qu'on lui colle cette étiquette péjorative.
D'ailleurs, comment peut-on se trouver en mesure de coller une étiquette sur ce
qui constitue le symbole de la non-présence ?
C'est cela, sans doute, que j'admire chez le zéro: il est
non-présent. Pour les informaticiens, il repose juste auprès du 1; il y a 0 et
1, c'est tout. Shakespeare, lui, parlant en mots, disait "to be or not to
be".
1 est. 0 n'est pas. Point barre.
Mais 0 a fait de la non-existence une façon d'être, non ?
Patricia Laranco
* Ouroboros : serpent qui se mord la queue, en grec.
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