Publié en 2006, soit au « lendemain » des fameuses
émeutes banlieusardes françaises de l’automne 2005, ce livre est sorti dans une
petite maison d’édition. Faut-il y voir un hasard ? L’analyse de la
société française à laquelle il se consacre serait-elle trop dérangeante, pas
assez « consensuelle », insuffisamment « mainstream » ?
En tout cas, quoi qu’il en soit, je pense que si l’on s’intéresse
tant soit peu à la France, il faut absolument lire cet essai sociologique de
144 pages. Non content d’être écrit dans un style clair qui n’a rien de
rebutant, et d’être manifestement étayé par des travaux de recherche tout ce qu’il
ya de plus sérieux, il a le mérite de se livrer à une « radiographie »
de la société française fort éloquente et fort « gênante » pour tous
les tenants du pouvoir comme pour les officiels discours.
Et cette « radiographie » aboutit à un constat très
clair : sous les effets des évolutions sociales nettement embourgeoisantes
qui se poursuivent depuis le XIXe siècle, le prolétariat et ses modes de
résistance à l’oppression capitaliste/libérale (solidarités, révolution,
syndicalisme) se sont trouvés court-circuités, « éliminés du
paysage ». Le résultat ? La France contemporaine, Une France
des trois ghettos - de riches, des classes moyennes et moyennes inférieures, et
de pauvres […]. Une France de plus en plus atomisée, de plus en plus clivée
et parcourue de multiples fractures sociales, assorties de multiples méfiances
réciproques qui tissent, finalement, un assez sale climat.
L’exaltation du Moi qui est allée, et va encore, étroitement de
pair avec le libéralisme comme avec la pensée bourgeoise a fonctionné à plein régime, avec une efficacité
redoutable.
Plus que jamais, le refus
du collectif, le « chacun pour soi » et le micro-tribalisme sont
à l’ordre du jour pour ce qui est de nos modes de vie et de nos modes de
rapport à l’autre, alors même qu’on nous rebat constamment les oreilles avec
des mots et des concepts comme vidés de leur sens et de leur élan vital : «
mixité sociale » et « solidarité
». Encore une des manifestations de la « schizophrénie française » ?
Le discours mainstream a beau se réfugier dans le déni, dans les
omertas et tabous, ou alors dans les incantations rhétoriques creuses, le fait
est là : la France apparaît comme la proie d’un apartheid sournois.
Cet apartheid,
BELMESSOUS le voit à l’œuvre et le met bien en évidence dans trois
secteurs-clés : le logement (avec la dégradation et l’abandon programmés par les pouvoirs publics des
zones de logement social, et son corollaire : des ZUP marginalisées, des
populations de pauvres et/ou de gens d’origine étrangère subissant une sorte d’éloignement,
de « déportation » anti-promiscuitaire très proche de l’ostracisme,
un Paris à présent complètement gentrifié, partagé entre les grands bourgeois
des beaux quartiers et les bobos (« branchés » artistes ou
middle-class) et où la présence des pauvres susceptibles de « causer des
troubles » (SDF, mendiants, jeunes issus de l’immigration) est devenue – implicitement,
bien sûr – totalement indésirable, et le sabotage en bonne et due forme
(quoique très insidieux) d’un enseignement public, lequel, au demeurant, notre
auteur se fait un devoir de le préciser, n’a jamais été aussi égalitaire qu’on
le prétend – même pas au temps du bon Jules FERRY.
C’est une France égoïste et hédoniste que nous voyons là.
La « liberté » serait-elle antagoniste de « l’égalité »
et encore plus de la « fraternité » ?
Les classes moyennes sont devenues le pilier de la société
hexagonale. Or, les classes moyennes gardent, au fond, ce qu’on nomme « l’esprit
petit-bourgeois » ; elles sont frileuses, éprises de sécurité à l’excès,
agrippées à leurs bien matériels tout autant qu’à leurs conquêtes dont ceux-ci
sont d’ailleurs les symboles – qu’elles soient récentes ou non. Et, souvent,
elles affichent une largeur d’esprit qui n’est jamais que de pur verbe, que de façade
(parce que « ça fait bien »).
Il n’y a pas, et il n’y aura jamais de « mixité sociale »,
car cette dernière est structurellement impossible, inenvisageable dans le
cadre d’un système libéral-capitaliste-individualiste qui balkanise tout pour régner.
Voilà la (triste) conclusion.
Si « l’exclusion » existe, c’est qu’elle est tout
bonnement dans l’ordre des choses.
En mettant à nu les hypocrisies et les « amnésies »,
ce livre semble nous crier « arrête ton char ! »
Mais les hypocrisies et les amnésies ont leur utilité :
le système vit d’elles, et se perpétue par elles.
La nouvelle utopie
bobo à l’eau de rose,
néo-rousseauiste, gouverne nos âmes tel un diktat soi-disant « soft » :
calme et verdure, nostalgie des terroirs et villages d’antan (presque comme au
temps du Maréchal Pétain !). Un monde à la fois lénifiant (pour ceux qui
ont « quelque chose à protéger ») et cruel (car porteur d’exclusion
sociale et de xénophobie plus ou moins feutrées) se forme à l’horizon.
Belmessous nous met en garde : ce n’est pas avec cela qu’on
« ré-enchantera » nos espaces urbains !
Sans compter tous les autres risques – autrement graves – que nous
courons.
Les « rafistolages »
(sous forme d’assistanat) des pouvoirs publics de tous bords risquent, bientôt,
de ne plus suffire aux populations paupérisées, ethnicisées et sans accès au monde du travail qui
croupissent dans le HLM-repoussoir, devenu l’épouvantail de la République.
Ce livre sonne aussi à la manière d’un avertissement.
Mais ne sommes-nous pas, justement, sourds ?
La « radicalisation islamiste » et ses redoutables conséquences actuelles,
de bientôt dix ans postérieures à la parution de cet ouvrage semblent bien,
hélas, le confirmer.
P. Laranco.
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