jeudi 10 novembre 2022

Hicham BENCHRIF (Maroc) médite sur l'homme et sur la fin du monde.

 

 

 

…on dit qu’il se passera bientôt quelque chose de terrible. Et alors ? Le terrible, le plus terrible, c’est toujours demain. Aujourd’hui le soleil est éclatant. Demain il éclatera. Où est la différence ? D’une façon ou d’une autre, le soleil, il est fait pour éclater. Briller, exploser, réchauffer, incendier…qu’importe ? Une fin du monde, une bonne, une « finale » fin du monde, cela se prépare à l’avance. Cela exige énormément de patience et de savoir-faire. Cela se fait attendre, désirer même. Mais cela ne sur-vient jamais. Ça s’épuise dans les préparatifs, cérémonies, protocoles…dans le cérémonial eschatologique.

Demain ! Mais demain, que dalle ! On vous dira que la fin du monde a été une nouvelle fois reportée pour vice de forme à une date indéterminée. Terme indéterminable.

 

…pour l’instant, je les entends d’ici. Ils débattent, ils négocient. Ils postulent, réfutent, s’accordent…ils font leurs petites guerres minables, leurs petites paix mesquines. Ils vendent et achètent, épousent et divorcent, font des enfants, font grandir leurs enfants, opposent leurs enfants les uns aux autres, les marient…absurde élevage ! Ils parlent et parlent et parlent…et entretemps, rien n’arrive. Rien ne presse. Tout peut attendre.

 

…le citoyen n’a pas le temps de s’empêtrer dans le bourbier métaphysique. Il a sa pitance à gagner, sa progéniture à marier, se réputation à construire et à défendre, sa tombe à creuser. TOUT EST PROGRAMME. Il est très occupé en ce moment, le citoyen. La fin du monde, il verra ça demain. Ce n’est pas urgent. Plus tard, peut-être.

 

…et soudain, le ciel se brise. Je l’ai vu hier. Pauvre citoyen ! Et si jeune ! (ou si vieux !). On l’a opéré. C’était bénin, semble-t-il, une formalité chirurgicale sans plus. Un petit geste anodin que le praticien chevronné pratique tous les jours, plusieurs fois par jour… Seulement, voilà, le coup de dé du citoyen a donné la mauvaise combinaison. Ça devait arriver. C’était prévisible. Un chiffre impair qui plus est. Et dans la hâte. Une formalité, quoi ! Toujours est-il, le coma s’est prolongé. Un jour. Puis deux. Puis plusieurs jours. Ça ne respirait plus. Le ballot de tripes gavé et surendetté est passé de l’autre côté. Ça coûte cher, un enterrement de première classe. On a dû bâcler l’affaire. Six bouts de bois cloués à la hâte, et voilà le colis emballé, prêt pour le transit. Une vie. Cinquante années ou plus. En quelques heures seulement le ballot fut ouvert, recousu et expédié de l’autre côté. Affaire close. Qu’on n’en parle plus. Au suivant !

 

…d’une perfection géométrique. Une vie d’homme, c’est de la pure et simple symétrie. C’est toujours un entre-deux. Le corps y est pour quelque chose, je crois. Oui, la symétrie du corps, les deux parties énantiomorphes du corps. La suture sagittale du crâne. Les deux lobes du cerveau. Deux ventricules, deux auricules. Deux poumons. Deux globes oculaires. Deux testicules. Deux narines. Deux oreilles. Deux mâchoires. Deux reins. Deux jambes. Deux bras. Deux fesses...L’homme, c’est le déplié. Un ouvrage d’origami. Les deux possibles d’un seul plausible. Ecce homo !  Je crois que c’est le vide qui sépare la droite de la gauche. Sans ça, pas d’équilibre. Ce vide sutural. Cette soudure androgyne accolant l’homme à son propre non- homme. Et puis, la sulfureuse mécanique. Oui, la motricité de la machine. Anima, animé, animal. Animal minimal. Le bestiaire d’une vie d’homme…avec tout le ridicule que cela comporte. Etat larvaire. Cette matière ovairoïde-spermoïde. Cette bactérie survivant au carbonifère. Oui. L’oxygène, voilà la faute ! A chaque fois qu’un être animé vient au monde, c’est toujours la faute à l’oxygène. Je hais l’oxygène. L’hydrogène aussi. H2O a favorisé la prolifération du monstre. Création ex H2O. Au commencement était la bactérie. Drôle de pérégrination depuis les tissus mous jusqu’à la charpente osseuse. La station debout. Oui, Monsieur, station décisive du calcium dans les tissus mous. La tête du spermatozoïde ossifié est pour la première fois aux prises avec les deux termes de la symétrie horizontale : le haut et le bas, le sublime et le vil. La perpendiculaire. Avec des angles invariables de 90 degrés. Le verticalisé sonde l’horizontalité perdue. Le ciel et la terre. Et puis ce segment solitaire, vertical, perpendiculaire, avec ses parties doubles, énantiomorphes : droite, gauche, haut, bas, devant, derrière…inventa Dieu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hicham BENCHRIF.

In Journal d’un homme qui marche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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