mardi 16 septembre 2025

Lecture (Histoire) : James Q. WHITMAN, "LE MODELE AMERICAIN D'HITLER - Comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis" (Préface de Johann Chapoutot), Armand Colin, 2018, 290 pages.

 







(Source : herodote.net/)






Titre provocateur, qui a de quoi attirer, de suite, l'attention.

Pavé jeté dans la mare de l'historiographie officielle et "grand public" manichéenne des prémices de la Seconde guerre mondiale qui, nous le savons, s'évertue à dépeindre, en fanfare, l'opposition radicale (et salvatrice) entre l'hitlérisme, cette incarnation absolue du Mal à visée dictatoriale, expansionniste, raciste et génocidaire, et le Bien représenté pour ainsi dire par la démocratie anglo-saxonne.

Et pourtant...

Ecrit par un professeur de droit comparé, par un intellectuel américain de formation strictement juridique, cet ouvrage s'en vient jeter sur le sujet un éclairage troublant - voire déplaisant de l'aveu même de son auteur, qui s'est livré à une recherche d'historien, à une enquête détaillée sur l'impact américain lors de la mise en place des principales lois de Nuremberg. Après lecture, il apparait même comme hautement susceptible d'éclairer des phénomènes états-uniens tout ce qu'il y a de plus actuels qui ne manquent pas de nous déconcerter, si ce n'est de nous déboussoler, tels MAGA et les ères TRUMP.

Mais, dans le première moitié du XXe siècle, à la charnière des décennies 1920 et 1930, ce n'était pas (ensore) le Parti républicain, mais le Parti démocrate, dans sa version sudiste, qui était le grand pilier des tristement fameuses Lois Jim Crow ouvertement ségrégationnistes à l'endroit des afro-descendants aux Etats-Unis, lesquels, par ailleurs, se montraient, au plan cette fois de leurs quotas d'accueil de nouveaux migrants, extrêmement restrictifs et soucieux de limiter leur "ouverture" à des populations de stricte origine européenne (tout comme, du reste, les dominions (colonies de peuplement) de l'Empire britannique).

A cette époque, nous signale-t-on, le parti de Franklin ROOSEVELT et son New deal faisaient bien plus que tolérer les particularismes propres aux suprémacistes blancs des ex territoires confédérés ; ils ne se souciaient même pas du sort des minorités ethniques désignées comme colored (afro-descendants, autochtones amérindiens, asiatiques) qui ne disposaient pas du moindre poids sur la vie politique, culturelle ou médiatique et donnaient ainsi le parfait exemple de minorités de seconde zone très durement marginalisées, même du point de vue juridique. Parfaitement indésirables étaient tant les (éventuels) candidats "non caucasiens" à de nouvelles installations sur le territoire des States que les populations pourtant installées là depuis les temps préhistoriques (mais vaincues militairement et aux trois quarts physiquement éliminées) ou encore celles arrachées de force à l'Afrique subsaharienne et déportées dans le cadre (bien historique, celui-là) du fameux commerce triangulaire.

Et c'est on ne peut plus "logique" si l'on examine sérieusement l'histoire même des Etats-Unis. Ils sont, en effet, comme les dominions britanniques, une COLONIE de peuplement égalitariste et méritocrate (si ce n'est même populiste) à l'usage des seules populations originaires de l'Europe, où la désormais légendaire figure du self-made man sorti de nulle part, à la force du poignet et de la foi en l'american dream, est aussi, et peut-être, d'abord, un pionnier qui a pour mission d'imposer, tant à la sauvage nature qu'aux populations autochtones volontiers récalcitrantes, son ordre par la ténacité, par la lutte et, s'il le faut, par une violence qui ne doit jamais faillir. D'où l'idéal - implicite ou explicite - de volonté, de virilité, de force, de darwinisme socio-racial. [...] les liens entre l'égalitarisme américain et le racisme américain sont anciens et profonds. 

Cet ouvrage nous rappelle la destination première, fondamentale des Etats-Unis d'Amérique, laquelle prend racine au coeur même de leurs fondements historiques : ils ont été pensés par et pour un groupe de colons de souche britannique, les WASP, en opposition non seulement à l'arbitraire de la Couronne anglaise, mais encore à la population autochtone amérindienne qui les gênait dans leur projet en défendant tant bien que mal ses territoires, le tout à une période où la traite négrière et l'esclavage battaient leur plein. Ils furent conçus comme une sorte de hâvre pour les basses castes de la (trop) vieille Europe qui rongeaient leur frein en rêvant d'avoir un beau jour, quelque chance de pouvoir enfin s'embourgeoiser, voire s'enrichir, jusqu'à, dans certains cas, devenir à leur tour de véritables "brahmanes" tout-puissants grâce à leur fortune, acquise par le mérite, l'ingéniosité et l'effort poussés à un degré extrême. Il s'agissait de remplacer le vieux prestige de l'aristocratie (européenne) acquis au fil des siècles et de l'épée par celui d'une féroce audace d'imaginer, d'agir, d'entreprendre dûment récompensée, en bout de course, par le poids en dollars.

Or, Hitler promettait, lui aussi, de transformer la société allemande en élevant dans le monde "les gens des ordres sociaux les plus bas". A l'instar de tout populiste, il se plaçait du côté des prolétaires et, surtout, des classes moyennes petites-bourgeoises (desquelles il était, d'ailleurs, issu) qui, en ces temps de crise, marinaient à tout crin dans leur jus acide de frustration, de rejet foncier de l'élite libérale (par-dessus tout, intellectuelle). Et il était de même - qui l'ignore ? - raciste, obsédé de "pureté raciale" jusqu'au délire. Il est , à ce propos, bon, au passage, de rappeler aux mémoires défaillantes que toute la première moitié du siècle dernier, dans l'ensemble de l'Occident, était encore, dans une large mesure, marquée en profondeur par les concepts (soi-disant scientifiquement étayés) de hiérarchie des races et de race et civilisation blanches intrinsèquement supérieures forgés depuis le drame de la "découverte" des Amériques puis par la suite théorisés, renforcés par maints savants et philosophes dans le courant du XIXe siècle, lors de la deuxième grande poussée d'expansion prédatrice européenne (étroitement liée à l'industrialisation de plus en plus avide de matières premières) pour justifier toutes les violences et exactions inhérentes au processus colonial de grande ampleur.

Quoi d'étonnant, donc (bien que ce fait ait longtemps lui aussi assez peu intéressé les historiens), à ce que [...] la suprémacie blanche aux Etats-Unis et dans le monde anglophone [ait été] un des aliments du nazisme des années 1930 ?

La suprémacie blanche a bien une longue histoire aux Etats-Unis, et même une longue histoire juridique, qui remonte au moins à 1691, quand la Virginie adopta la première loi contre les croisements des races, et à 1790, quand le premier Congrès décida d'ouvrir la naturalisation à "tout étranger s'il est une personne blanche et libre".

Voilà ce que fait remarquer ce livre, entre autres démonstrations.

Les Etats-Unis séduisirent l'Allemagne nazie à plus d'un titre : leurs fondateurs étaient des WASP et leur peuplement très majoritairement issu des régions septentrionales de l'Europe de l'Ouest (à partir d'immigrants britanniques, néerlandais, allemants, autrichiens, irlandais et scandinaves) ; avec leur marche vers le Far-West qui avait dépossédé les Amérindiens et les Mexicains sans états d'âme, ils ne pouvaient que faire figure de modèle de choix en matière de génocide et de brutal expansionnisme ; le fonctionnement juridique de nombreux Etats (et pas seulement ceux du Deep South esclavagiste) mettait mille freins aux unions inter-raciales, extrêmement mal vues de l'opinion publique américaine dans son ensemble ; dans la première moitié du XXe siècle, les U.S.A avaient atteint un degré de puissance technique, économique et financière qui les avaient clairement installés en posture de leader mondial ; ils brillaient par leur dynamisme en tous les domaines et, de ce fait, fascinaient déjà l'ensemble du "Vieux continent" en comparaison affaibli par la saignée de la Première guerre mondiale.

Ainsi l'auteur n'hésite-t-il pas à assurer qu'à l'époque de son avènement, La toile de fond du nazisme doit être en partie cherchée dans les traditions britanniques ; elle doit être cherchée dans les démocraties anglophones d'"hommes blancs libres" comme les Etats-Unis, l'Australie, et l'Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, ailleurs dans le monde britannique. Ce sont des pays où des colons cultivateurs affirmèrent les droits du self-government égalitaire au détriment de minorités laissées pour compte et parfois combattues par la guerre ; et les nazis s'y sont beaucoup intéressés.

Fi des clichés. Des mythes courants. Des rabâchages officiels et du soft power américain, dont nous subissons l'attraction à l'échelle de la planète entière. Les faits, comme bien souvent, dans leur ambigüité, battent en brêche leurs tendances simplistes (pourtant tellement rassurantes). Le nazisme : point extrême d'une certaine logique hyper-dominante ?

L'image de soi des Américains ne devrait-elle pas en prendre un coup ?







P. Laranco.
















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