mardi 15 octobre 2024

LECTURE (Sociologie) : Alessandra DEVULSKY, "LE COLORISME- METISSAGE, NUANCES DE COULEURS DE PEAU ET DISCRIMINATIONS", Anacaona Editions, 2023, 133 pages.

 



Sourcehttps://www.anacaona.fr/boutique/le-colorisme-metissage-nuances-couleur-peau-discriminations-devulsky/



Dans la société coloniale (établie par les Européens de l'ouest au XVIe siècle suite à leur découverte des Amériques), l'implacable domination européenne et chrétienne a, très vite, fait main basse sur le corps des femmes autochtones ou importées en provenance de l'Afrique subsaharienne à des fins de travail servile.

Ce METISSAGE DE VIOL, extrêmement répandu, fut l'origine d'une nouvelle "classe" dont, au début, les colons planteurs pré-capitalistes ne surent trop quoi faire mais que, là encore, ils apprirent très tôt à instrumentaliser en fonction de leur logique méprisante et de leurs besoins racistes. Comme ils étaient régulièrement en butte à des insurrections d'esclaves (et comment ne pas le comprendre ?), on misa, pour briser les solidarités entre afrodescendants, sur l'intérêt que pouvait représenter leur division corrélée à leur teinte de peau et à leur (éventuel) lien de parenté avec les maitres ou avec leur parentèle.

Voilà. Le colorisme était né. A des degrés divers, il a sévi partout où a sévi la hiérarchisation raciale, expression du droit du plus fort et marque de domination absolue : aux Etats-Unis, sur toutes les îles, grandes ou petites, de la Caraïbe, au Brésil et sur les petites îles du sud de l'Océan Indien avoisinant Madagascar.

Ainsi, l'on "amadouait" les métis.se.s et sangs mêlés de toutes nuances qui, c'était bien connu, étaient "plus Blancs que Noirs infra-humains". Cependant, l'on se gardait bien, pour autant, de les gratifier d'un statut équivalent à celui des Blancs en termes de pouvoir et de prestige. On se contentait de les affranchir, de leur confier de petites responsabilités, de petits bénéfices et de menus privilèges qui valaient pour des marques de confiance...mais, dans cet univers de cauchemar qu'était celui de la plantation ou de l' entreprise esclavagiste, de telles marques n'avaient, bien sûr, pas de prix et les mélangé.e.s, cela va de soi, ne crachèrent pas dessus.

Il s'agissait d'échapper à cette condition épouvantable et inhumaine qu'était la condition servile de base, une condition à bien des égards analogue à celle qui eut cours dans les camps de concentration nazis (quoique sur une durée de temps bien plus longue).

Mais le colorisme, de nos jours (tant dans les esprits que dans les faits) est encore pleinement vivant. Embourgeoisés et "blanchisés", parfois depuis moult générations, les Noirs à la peau claire ont intériorisé pleinement l'idée que les Blancs coloniaux (colons ou administratifs) se faisaient, par préjugé, d'eux et, avec elle, la position qu'ils étaient, selon eux, censés tenir. La (toute relative) promotion que connaissent, par les temps qui courent (et pour diverses raisons) en Occident, les gens de couleur est, dans une très large mesure, une promotion de métis.se.s. Dans les spots publicitaires comme dans les sphères artistique ou politique (Condoliza RICE, Colin POWELL, OBAMA, Kamala HARRIS, Meghan MARKLE...mais aussi PRINCE, Mariah CAREY, SADE, BEYONCE, RIHANNA et, dans notre sphère francophone, Alexandre DUMAS, Joséphine BAKER, Yanick NOAH, Tony PARKER, STROMAE...), le fait a de quoi sembler patent. Jamais l'exaltation du/de la métis.se n'a été, jusqu'alors, dans le "monde libre"  (héritier de la grande expansion coloniale planétaire), à ce point montée en épingle, du moins dans les cercle de l'élite, de la bourgeoisie libérale, branchée et mondialisante (alias bobo), que la présence de ces hybrides rassure.

Au Brésil (dont il est question dans ce livre) les statistiques vont même jusqu'à diviser officiellement la population du pays en 5 catégories bien distinctes : les Blancs, les Noirs à peau claire, les Noirs à peau foncée, les Autochtones et les Asiatiques. Voilà qui en dit long sur le but de ces hiérarchisations raciales : depuis toujours, depuis que la colonisation portugaise a crée et organisé le Brésil, elles ont tendu, de façon ouverte autant que délibérée, à en effacer progressivement la négritude (tant physique que culturelle).

Or, il y a plusieurs manières d'éradiquer ce qui vous gêne. Aux Etats-Unis et en Afrique du Sud, par exemple, on a rejeté les métis.se.s dans la catégorie des colored ou des Non Blancs sans autre forme de procès, au nom d'une répugnance totale et non négociable envers tout ce qu'on jugeait inassimilable par la "Civilisation" et d'une phobie de toute "souillure" ma foi, très proche du nazisme. Il en alla d'ailleurs de même, signalons-le au passage, dans les possessions tropicales françaises des Antilles et de l'Océan Indien. Au Brésil comme en Amérique espagnole, au contraire, on a utilisé, si ce n'est même encouragé le mélange des sangs, on l'a imposé aux non-Blancs afin que leurs spécificités (d'ordre culturel ou physique) finissent par se résorber, se fondre, le plus noir étant et restant, en attendant, soigneusement stigmatisé, relégué, confiné aux marges, dans l'exclusion et l'éternel état de subalternéité (là où se maintiennent le plus pauvreté, violence endémique, décrochage scolaire, sans parler du narcotrafic). A chacun sa violence raciste.

Au Brésil, le métissage sert [...] de laisser-passer, n'hésite pas à soutenir, même à asséner l'auteure de cet ouvrage. Vers quoi ?...Vers l'acceptable, c'est à dire vers ce qui rassure le Blanc, celui qui se réclame de la culture seule considérée comme légitime (devinez laquelle...) dans un univers où, ne l'oublions pas, la dimension de l'africanité est toujours vécue comme potentiellement menaçante car très présente en sous-main et d'un certain point de vue (dans la culture populaire, festive, musicale et même religieuse).

Il s'agit donc, dans ce pays, de refouler les expression de l'africanité, sous toutes leurs formes. N'oublions pas, d'ailleurs, non plus qu'à une certaine période (dans le tournant entre XIXe et XXe siècles), les autorités brésiliennes ouvrirent largement leur pays à une nouvelle vague d'immigration, exclusivement européenne (laquelle comprenait d'importants contingents italiens et allemands) dans le but avoué de faire en sorte que celui-ci ne se trouve pas submergé par une population afrodescendante  alors estimée trop nombreuse suite à l'une des traites négrières maritimes les plus longues et les plus massives de la triste histoire de l'esclavage occidental. C'est dire combien le Brésil est imprégné de racisme et d'eurocentrisme.

Au Brésil, les crèmes éclaircissantes ne sont pas aussi populaires que sur les marchés africains, car le colorisme brésilien a été plus efficace et violent.

Le métissage, en faisant miroiter l'espoir d'une certaine possibilité d'ascension sociale, a mis en place une importante population de Noirs à peau claire. Il est certain (et c'est bien confirmé par ce livre) qu'au Brésil, il n'est pas considéré comme une tare puisqu'il est vu (grâce au choix, franc, du colorisme) comme un "progrès" dans le sens de la "civilisation" et de la perfection esthétique.

Cependant, il accentue aussi la marginalisation et l'ostracisme qui pèsent sur les Noirs à peau foncée, prototypes du loser absolu, du repoussoir social, voire du bouc-émissaire (réputés sales, violents, méchants, jaloux et frustes parce qu'analphabètes).

Le rejet que ces derniers subissent est inversement et directement proportionnel à la (relative, flexible) tolérance qui s'est attachée à l'image dont bénéficient les gens qui se sont éclaircis au fil des âges et des multiples brassages raciaux, souvent très complexes. De la même façon, il interdit (implicitement) aux sangs mêlés toute tentation de "retour en arrière" vers leurs racines africaines (ou amérindiennes) : Le colorisme affecte les Noirs clairs en créant des barrières idéologiques vis à vis de l'intérêt naturel que tout être humain a envers ses origines.. Car, dans l'inconscient collectif du pays tout entier, l'africanité demeure fortement et irrémédiablement associée à la "malédiction" de l'esclavage et à son prolongement post-esclavagiste, la domesticité (laquelle, de nos jours encore, reste l'"affaire" des femmes fortement pigmentées). Qui aurait l'idée, pensent beaucoup, de refaire chemin vers pareille condition, lorsque l'on a le choix ?

Les vrais Noirs, quant à eux, enfermés qu'ils sont dans leur teinte, trop visible, ne peuvent bénéficier de ce choix. Ils continuent de croupir dans ce que l'auteur désigne comme la prison du racisme. Qui, à moins d'être masochiste ou fou, aurait envie de les y rejoindre ?

A côté du privilège blanc, il y a donc un privilège métis, dont, au Brésil, les personnes sans traces visibles de métissage ne sont que  trop conscientes.

Le rôle du métissage dans le processus de colonisation (des corps et des esprits) a jusqu'à présent, ce me semble,  assez rarement été abordé de façon franche, directe, voire scientifique. Voici un livre qui a le mérite de combler ce vide relatif. Si la colonisation européenne a créé (et même indûment scientificisé) la notion de races, elle a également, de toutes pièces, créé un problème métis. Dans un souci de manipulation des gens de couleur par division. Telle est la thèse défendue par l'ouvrage de cette juriste originaire de Sao Paulo qui, on le perçoit clairement, s'inscrit dans la mouvance du militantisme Noir brésilien et, sans fards, prône la réhabilitation de l'africanité locale. A l'opposé d'un certain angélisme du métissage assez sournois mais fort à la mode.





P.Laranco.

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