L'ASSOCIATION
INITIATIVE NORMALIENNE
POUR DÉCOUVRIR
L'INDE ET L'ASIE DU SUD
vous convie à sa
SEMAINE INDIENNE
dont le
THÈME
sera
INDE & ISLAM
THÈME
sera
INDE & ISLAM
à
l' ECOLE NORMALE SUPÉRIEURE
45 rue d'Ulm
75005 Paris
France
-RER B, Luxembourg ;
-Métro ligne 7, Place Monge;
-Bus 21 et 27, Feuillantines;
-Bus 38, Auguste Comte;
-Bus 84 et 89, Panthéon-Mairie du Vè;
-Bus 83 et 91, Port Royal-St Jacques.
-Métro ligne 7, Place Monge;
-Bus 21 et 27, Feuillantines;
-Bus 38, Auguste Comte;
-Bus 84 et 89, Panthéon-Mairie du Vè;
-Bus 83 et 91, Port Royal-St Jacques.
DU 09 NOVEMBRE 2015 A 11h
AU 13 NOVEMBRE 2015 A 16h
ENTRÉE LIBRE
En raison de l'engouement provoqué par ce thème, dont nous ne saurions trop vous remercier, nous vous rappelons qu'il peut être judicieux de penser à réserver. Si vous êtes d'ores et déjà sûrs de vouloir assister à une conférence ou à un film, écrivez-nous à indias.ens.ulm@gmail.com pour vous inscrire.
En cas de trop forte affluence, ceux qui auront réservé seront prioritaires. Nous espérons toutefois, bien évidemment, que vous pourrez tous assister aux événements qui vous intéressent.
PROGRAMME DÉTAILLÉ SUR :
www.ens.fr (rubrique agenda)
et
Présentation :
« I am patriot, I am nationalist, I am born Hindu », annonçait l'actuel premier ministre de l'Inde, Narendra Modi, lors de sa campagne pour les élections de 2013. Son parti, le BJP (Parti du Peuple Indien) a toujours placé l'hindouisme au centre de l'indianité. Cette identification de l'Inde et de l'hindouisme n'est pas une innovation du nationalisme hindou contemporain: elle constituait par exemple un élément central du regard orientaliste qu'un certain nombre d'occidentaux portaient sur l'Inde aux dix-huitième et dix-neuvième siècles. À un âge d'or antique, temps glorieux des Véda, aurait succédé un Moyen Âge obscur marqué par les invasions musulmanes, avant la renaissance et le progrès portés par la « mission civilisatrice » des colonisateurs : tel était le schéma dominant de l'historiographie coloniale, en grande partie calqué sur le modèle tripartite européen, et largement repris après l'Indépendance dans les manuels scolaires indiens. Or, les contacts de l'islam avec le monde indien ne datent pas d'une hypothétique « ère musulmane » moyenâgeuse : les confrontations, conflits, échanges et synthèses entre l'Inde et l'islam remontent au tout début de cette religion.
L'idée d'une nécessaire partition de l'Inde, qui fut concrétisée lors du départ des Britanniques en 1947, reposait sur l'incompatibilité supposée des musulmans et des hindous : selon la « théorie des deux États », chaque religion devait occuper son propre territoire, et le Pakistan nouvellement créé avait vocation à regrouper tous les musulmans du sous-continent. La fondation de cet État, qui entraîna d'énormes déplacements de populations et des violences inouïes, fut à l'origine de conflits frontaliers et communautaires qui continuent à se perpétuer. En effet, loin de régler les questions identitaires, la Partition a notamment accentué le caractère minoritaire des musulmans restés en Inde, qui constituent aujourd'hui environ 15% de la population. Au Pakistan, les hindous représentent moins de 5 % des habitants. L'idée selon laquelle islam et hindouisme seraient radicalement immiscibles a bien des partisans. Au niveau politique, cette position est reprise symétriquement par les nationalistes indiens, qui considèrent l'islam comme un corps étranger à l'Inde, et par les islamistes pakistanais, pour qui un bon musulman ne doit pas vivre en terre hindoue. Dans le milieu universitaire français, les thèses du sociologue de l'Inde Louis Dumont ont contribué à relayer cette dichotomie dans les années 1960 : les deux religions correspondraient à deux ordres sociaux bien distincts, d'un côté l'islam monothéiste, égalitaire et intolérant, de l'autre l'hindouisme polythéiste, hiérarchique et tolérant.
Or, cette dichotomie répandue semble vite grossière lorsque l'on se penche sur l'histoire de cette région et sur les communautés qui forment son tissu social. Le terme même d'hindou provient du mot persan "hindu", forgé au XIIIe siècle par les conquérants musulmans d'Asie centrale. La progression de l'islam dans le sous-continent fut un processus long, marqué par de multiples contacts, échanges et confrontations. Pour le comprendre, il est nécessaire de critiquer le discours historique de l'époque coloniale, qui constituait les religions en blocs homogènes et présentait l'histoire de l'islam en Inde comme une succession d'invasions : les raids de Mahmud de Ghazni sur la vallée de l'Indus au Xe siècle, l'avènement du sultanat de Delhi au XIIIe siècle (début de la « période musulmane » ou « Moyen-Age »), l'expansion puis le déclin de l'empire Moghol du XVIe au XIXe siècle. Or, il suffit de considérer par exemple l'histoire de l'architecture indo-persane, dont les plus majestueux édifices – au nombre desquels le Taj Mahal – furent bâtis sous les Moghols, pour s'apercevoir que cette « période musulmane » a vu naître des synthèses originales faisant jouer des éléments typiquement « indiens ». Si l'on se détourne d'un paradigme de l'invasion, c'est cette dialectique constante entre la confrontation et la synthèse qu'il est intéressant d'examiner. On peut dire que l'islam s'est indianisé et que l'Inde s'est islamisée, mais il importe de ne pas figer les catégories d' « Inde » et d' « islam » : ces deux éléments n'ont cessé de se féconder l'un l'autre. La présence musulmane en Inde remonte aux premiers siècles de l'islam, dès l'arrivée de marchands arabes et persans sur les côtes de la mer d'Arabie. L'idée que l'Inde serait restée une terre préservée de toute influence extérieure jusqu'à l'arrivée au pouvoir des musulmans reprend une image façonnée par le pouvoir colonial et reprise par certains courants de l'hindouisme, celle d'une “Inde” hindoue par essence, immémoriale et insulaire, unique foyer de culture, où l'on parle la seule langue civilisée : le sanskrit.
L'Inde n'a donc jamais été isolée de l'histoire de l'islam, elle a au contraire influé de manière décisive sur le cours de cette religion. Au plan spirituel, elle fut le théâtre de nombreux croisements et innovations. Un bon exemple est celui du soufisme, qui trouva en Inde un terrain fertile et fit l'objet de multiples adaptations – l'ordre de la Chishtiyya, popularisé en Inde par le saint Moinuddin Chishti (mort en 1236), y prit une ampleur inégalée. Plus récemment, au début du XXe siècle, l'effervescence intellectuelle qui accompagna les débuts de la lutte pour l'indépendance aboutit à un renouveau doctrinaire, porté par des figures telles qu'Abul A'la Maududi (1903-1979), qui inventa le concept moderne d'islam politique. L'Inde a donc fait naître des éléments nouveaux au sein de l'islam, qui ont par la suite rayonné bien au-delà de leur berceau.
Si l'Inde a fécondé l'islam, elle se l'est aussi approprié en l'incorporant : l'islam d'Inde est un islam indien. Les pratiques musulmanes se sont entremêlées à d'autres traditions religieuses, notamment celles liées à l'hindouisme. D'une manière frappante, l'islam n'est pas resté imperméable au système des castes, malgré son dogme égalitaire. À de multiples reprises les cultures hindoues et musulmanes, loin de constituer des entités étanches et mutuellement exclusives, se sont superposées, influencées et combinées – sans toutefois se confondre. Certains saints sont vénérés dans les deux religions sous des noms différents, et les grandes fêtes hindoues comme Holi et Diwali sont également célébrées par de nombreux musulmans. Les pratiques des diverses communautés forment souvent des unités locales plus que confessionnelles : dans une région donnée, les membres des différentes religions mobilisent des répertoires sociaux très proches pour se marier, travailler ou organiser leurs vies familiales. Pour autant, les origines de telle ou telle pratique sont rarement perdues de vue, de sorte qu'il est souvent plus pertinent de parler d'un « étagement » des pratiques que d'un véritable syncrétisme, selon la distinction établie par Marc Gaborieau (Un autre islam, 2007).
En organisant cette semaine indienne, nous tentons donc de remettre en question deux idées assez répandues : celle d'une Inde principalement hindoue, et celle d'un islam principalement arabe ; idées qui reflètent peut-être indirectement ce que Marc Bloch a appelé la « hantise des origines ». L'impression qu'il suffirait pour comprendre tel ou tel phénomène de mentionner d'où il vient rejoint en partie la tendance à associer systématiquement une culture ou une religion à son lieu de naissance. Pour notre part, nous souhaitons nous intéresser aux intersections autant qu'aux lignes, aux carrefours autant qu'aux routes, aux mets autant qu'aux ingrédients et à la chimie qui les transforme. Si le monde indien est d'une si grande richesse et d'un si grand intérêt, c'est parce qu'il est depuis très longtemps une zone de contact, rendant visible les multiples façons dont les idées et les pratiques sociales se rencontrent, s'affrontent et s'influencent.
« I am patriot, I am nationalist, I am born Hindu », annonçait l'actuel premier ministre de l'Inde, Narendra Modi, lors de sa campagne pour les élections de 2013. Son parti, le BJP (Parti du Peuple Indien) a toujours placé l'hindouisme au centre de l'indianité. Cette identification de l'Inde et de l'hindouisme n'est pas une innovation du nationalisme hindou contemporain: elle constituait par exemple un élément central du regard orientaliste qu'un certain nombre d'occidentaux portaient sur l'Inde aux dix-huitième et dix-neuvième siècles. À un âge d'or antique, temps glorieux des Véda, aurait succédé un Moyen Âge obscur marqué par les invasions musulmanes, avant la renaissance et le progrès portés par la « mission civilisatrice » des colonisateurs : tel était le schéma dominant de l'historiographie coloniale, en grande partie calqué sur le modèle tripartite européen, et largement repris après l'Indépendance dans les manuels scolaires indiens. Or, les contacts de l'islam avec le monde indien ne datent pas d'une hypothétique « ère musulmane » moyenâgeuse : les confrontations, conflits, échanges et synthèses entre l'Inde et l'islam remontent au tout début de cette religion.
L'idée d'une nécessaire partition de l'Inde, qui fut concrétisée lors du départ des Britanniques en 1947, reposait sur l'incompatibilité supposée des musulmans et des hindous : selon la « théorie des deux États », chaque religion devait occuper son propre territoire, et le Pakistan nouvellement créé avait vocation à regrouper tous les musulmans du sous-continent. La fondation de cet État, qui entraîna d'énormes déplacements de populations et des violences inouïes, fut à l'origine de conflits frontaliers et communautaires qui continuent à se perpétuer. En effet, loin de régler les questions identitaires, la Partition a notamment accentué le caractère minoritaire des musulmans restés en Inde, qui constituent aujourd'hui environ 15% de la population. Au Pakistan, les hindous représentent moins de 5 % des habitants. L'idée selon laquelle islam et hindouisme seraient radicalement immiscibles a bien des partisans. Au niveau politique, cette position est reprise symétriquement par les nationalistes indiens, qui considèrent l'islam comme un corps étranger à l'Inde, et par les islamistes pakistanais, pour qui un bon musulman ne doit pas vivre en terre hindoue. Dans le milieu universitaire français, les thèses du sociologue de l'Inde Louis Dumont ont contribué à relayer cette dichotomie dans les années 1960 : les deux religions correspondraient à deux ordres sociaux bien distincts, d'un côté l'islam monothéiste, égalitaire et intolérant, de l'autre l'hindouisme polythéiste, hiérarchique et tolérant.
Or, cette dichotomie répandue semble vite grossière lorsque l'on se penche sur l'histoire de cette région et sur les communautés qui forment son tissu social. Le terme même d'hindou provient du mot persan "hindu", forgé au XIIIe siècle par les conquérants musulmans d'Asie centrale. La progression de l'islam dans le sous-continent fut un processus long, marqué par de multiples contacts, échanges et confrontations. Pour le comprendre, il est nécessaire de critiquer le discours historique de l'époque coloniale, qui constituait les religions en blocs homogènes et présentait l'histoire de l'islam en Inde comme une succession d'invasions : les raids de Mahmud de Ghazni sur la vallée de l'Indus au Xe siècle, l'avènement du sultanat de Delhi au XIIIe siècle (début de la « période musulmane » ou « Moyen-Age »), l'expansion puis le déclin de l'empire Moghol du XVIe au XIXe siècle. Or, il suffit de considérer par exemple l'histoire de l'architecture indo-persane, dont les plus majestueux édifices – au nombre desquels le Taj Mahal – furent bâtis sous les Moghols, pour s'apercevoir que cette « période musulmane » a vu naître des synthèses originales faisant jouer des éléments typiquement « indiens ». Si l'on se détourne d'un paradigme de l'invasion, c'est cette dialectique constante entre la confrontation et la synthèse qu'il est intéressant d'examiner. On peut dire que l'islam s'est indianisé et que l'Inde s'est islamisée, mais il importe de ne pas figer les catégories d' « Inde » et d' « islam » : ces deux éléments n'ont cessé de se féconder l'un l'autre. La présence musulmane en Inde remonte aux premiers siècles de l'islam, dès l'arrivée de marchands arabes et persans sur les côtes de la mer d'Arabie. L'idée que l'Inde serait restée une terre préservée de toute influence extérieure jusqu'à l'arrivée au pouvoir des musulmans reprend une image façonnée par le pouvoir colonial et reprise par certains courants de l'hindouisme, celle d'une “Inde” hindoue par essence, immémoriale et insulaire, unique foyer de culture, où l'on parle la seule langue civilisée : le sanskrit.
L'Inde n'a donc jamais été isolée de l'histoire de l'islam, elle a au contraire influé de manière décisive sur le cours de cette religion. Au plan spirituel, elle fut le théâtre de nombreux croisements et innovations. Un bon exemple est celui du soufisme, qui trouva en Inde un terrain fertile et fit l'objet de multiples adaptations – l'ordre de la Chishtiyya, popularisé en Inde par le saint Moinuddin Chishti (mort en 1236), y prit une ampleur inégalée. Plus récemment, au début du XXe siècle, l'effervescence intellectuelle qui accompagna les débuts de la lutte pour l'indépendance aboutit à un renouveau doctrinaire, porté par des figures telles qu'Abul A'la Maududi (1903-1979), qui inventa le concept moderne d'islam politique. L'Inde a donc fait naître des éléments nouveaux au sein de l'islam, qui ont par la suite rayonné bien au-delà de leur berceau.
Si l'Inde a fécondé l'islam, elle se l'est aussi approprié en l'incorporant : l'islam d'Inde est un islam indien. Les pratiques musulmanes se sont entremêlées à d'autres traditions religieuses, notamment celles liées à l'hindouisme. D'une manière frappante, l'islam n'est pas resté imperméable au système des castes, malgré son dogme égalitaire. À de multiples reprises les cultures hindoues et musulmanes, loin de constituer des entités étanches et mutuellement exclusives, se sont superposées, influencées et combinées – sans toutefois se confondre. Certains saints sont vénérés dans les deux religions sous des noms différents, et les grandes fêtes hindoues comme Holi et Diwali sont également célébrées par de nombreux musulmans. Les pratiques des diverses communautés forment souvent des unités locales plus que confessionnelles : dans une région donnée, les membres des différentes religions mobilisent des répertoires sociaux très proches pour se marier, travailler ou organiser leurs vies familiales. Pour autant, les origines de telle ou telle pratique sont rarement perdues de vue, de sorte qu'il est souvent plus pertinent de parler d'un « étagement » des pratiques que d'un véritable syncrétisme, selon la distinction établie par Marc Gaborieau (Un autre islam, 2007).
En organisant cette semaine indienne, nous tentons donc de remettre en question deux idées assez répandues : celle d'une Inde principalement hindoue, et celle d'un islam principalement arabe ; idées qui reflètent peut-être indirectement ce que Marc Bloch a appelé la « hantise des origines ». L'impression qu'il suffirait pour comprendre tel ou tel phénomène de mentionner d'où il vient rejoint en partie la tendance à associer systématiquement une culture ou une religion à son lieu de naissance. Pour notre part, nous souhaitons nous intéresser aux intersections autant qu'aux lignes, aux carrefours autant qu'aux routes, aux mets autant qu'aux ingrédients et à la chimie qui les transforme. Si le monde indien est d'une si grande richesse et d'un si grand intérêt, c'est parce qu'il est depuis très longtemps une zone de contact, rendant visible les multiples façons dont les idées et les pratiques sociales se rencontrent, s'affrontent et s'influencent.
En espérant vous voir très nombreux !