La façon qu’a l’Homme de renier en
lui la bête a de quoi faire rire.
Parfois, j’en suis
(presque) à envier ceux qui ont des hallucinations.
Au moins ne voient-ils
plus l’effroyable ennui que le banal, que le réel, que le charnel, que le
tangible nous procurent.
Moi, je glisserai bien un « c »
dans le mot « banal » pour en faire « bancal ».
Ce qui me fait le plus
rigoler chez les bourgeois, les possédants de tous rangs, de toutes sortes, c’est
leur terreur de se voir dépossédés, de perdre ce qu’ils ont. C’est cela qui,
sans doute, constitue leur grande faiblesse. Liée au matérialisme. Donc, si l’on
y réfléchit, à une certaine bestialité.
Les mots « lucide » et « suicide » possèdent
le même nombre de syllabes. De plus, ils riment parfaitement. Est-ce étrange !
Aimer, de même que
haïr…cela s’apprend. Oui ; tout à fait.
L’Homme est un être de déni.
La vie est, peut-être,
la plus efficace des substances vomitives.
Le Moi (du moins en Occident) est
une sorte d’addiction.
On pourra dire
absolument tout ce qu’on voudra de la mort…il n’empêche que l’état de trépassé
est mille fois moins fatiguant que la vie.
La vie n’est, au bout du compte, qu’une
perception.
Donc, à chacun sa perception de la
vie, et de ce qui l’entoure, et (le cas échéant) de ce qu’il endure.
Désaccords, difficultés à
communiquer résultent, pour beaucoup, de cela.
Le monde existe, certes, mais au
travers du prisme (déformant ?) de nos cerveaux d’Hommes. Nous ne pouvons
le sentir, le « voir » qu’à travers ce que nos cerveaux et leurs
prolongements artificiels, techniques nous en présentent, qu’à travers ce qu’ils
nous permettent, par leurs caractéristiques, leur manière de traiter les
informations qu’ils reçoivent du monde extérieur et de les trier, d’en
percevoir. Tout ce qui dépasse les capacités de perception de notre cerveau (y
compris les mathématiques), nous demeure imperceptible.
Notre cerveau pourrait bien, en un
sens, être un « miroir déformant » des choses qu’il perçoit (et/ou
interprète). Ce d’autant plus que le cerveau humain n’est pas que perception du
monde extérieur : il est aussi imagination et créativité.
Le mental n’est pas forcément en
accord avec ce que le monde extérieur lui renvoie, ou avec ce qu’on lui demande
d’accepter pour vrai (par convention sociale). Il possède sa propre vie, précisément
ce qu’on appelle « le mental », le « monde intérieur », que
chaque individu appartenant à l’espèce humaine a aménagé à sa propre façon, en
fonction de ses perceptions et de son vécu.
L’halluciné a son réel, même si l’on
considère que ce « réel » est le fruit d’un dérèglement mental.
Qui nous dit que ce que nous
percevons est plus « vrai » que ce que lui perçoit ?...
Le culte de la moyenne
satisfait le conformisme foncier des gens…et rassure les envieux !
En France, j’ai trouvé toujours
assez contradictoire, assez paradoxal cette coexistence que j’y constate entre
l’idéal profondément petit-bourgeois du « Français moyen » (avec tout
ce qu’il implique et comporte d’humilité et de mesure) et l’orgueil, le goût de
la gloriole, la fameuse « arrogance » que l’on reproche si souvent au
Français, et qui le rend parfois si imbu de son « modèle », de sa
culture.
L’écriture est une
savante combinaison, un savant équilibre entre la spontanéité, le déferlement
des mots et des images et le contrôle, la rigoureuse maîtrise de leur flot brut,
tumultueux. Elle nécessite sans doute autant de digues que de ruptures des digues.
La logique de toute entité, une fois
qu’elle existe, est de se maintenir.
D’une manière assez
générale, les groupes humains ne brillent pas par leur sens de l’accueil. Tout
nouveau venu est, d’emblée, considéré comme un « intrus », observé,
scruté, testé et regardé avec un apriori de méfiance, de mépris, d’hostilité
plus ou moins larvés.
On connait tous l’existence
de phénomènes de « mise à l’épreuve » tel que le bizutage.
Le nouveau venu doit
rassurer le groupe dans lequel il entre – ou ambitionne d’entrer- par des
manifestations de soumission : discrétion, humilité, efforts de mimétisme,
adhésion vigoureuse et sans cesse
réaffirmée aux valeurs, aux modes de vie et autres idéaux main stream.
C’est à ce prix – et à
ce prix seulement - qu’il obtiendra son « adoption ».
Il lui faudra, au préalable, avaler un nombre assez conséquent de « couleuvres ».
Les éthologues ont
constaté le même fonctionnement chez les chimpanzés. N’est-ce pas passablement
consternant ?
La lucidité assumée vous isole, vous
« déporte » toujours peu ou prou hors des groupes.
Les gens ne vivent que
d’apparence. En général, ils ne veulent jamais admettre que ce qui leur saute
aux yeux et ce qui les arrange ou leur est agréable, rassurant. C’est pour cela
qu’ils sont trompés.
C’est pour cela qu’on
les trompe de façon relativement facile, si malins qu’ils puissent être par
ailleurs.
Y aurait-il tant de misogynie si les
femmes n’étaient pas elles-mêmes si misogynes et si féroces les unes envers les
autres, dans nombre de cas ?
Le monde dans lequel
nous vivons ne fait que donner l’illusion d’être sorti de l’animalité.
C’est un monde qui
continue, quoiqu’on en dise, de détester et de mépriser profondément tous ceux
à qui leur moindre force physique ou leurs moindres atouts en termes de statut
ne permet pas de s’imposer, d’occuper une position de DOMINANCE. C’est un monde
qui cultive une misogynie quasiment généralisée, qui abuse souvent des enfants
et qui se débarrasse des handicapés et des grands vieillards ; c’est un
monde qui, en général, laisse très peu s’exprimer les « jeunes ».
L’étonnement et l’émerveillement « poétiques »
devant le monde ont aussi pour vertu de nous le rendre étrange, quasiment étranger.
S’étonner, s’émerveiller
devant le spectacle de tout ce qui nous entoure, de tout ce qui s’offre à nos
sens, ainsi que le font déjà les jeunes enfants, c’est déjà nourrir l’idée,
plus ou moins consciente, qu’il ne va pas de soi.
C’est, d’ores et déjà,
quelque part, un germe d’incitation, d’invitation à le modifier.
En peinture, ce n’est pas tout, me
semble-t-il, de poser des couleurs sur l’espace d’une toile ou d’un quelconque
autre support. Encore faut-il que lesdites couleurs émanent, irradient un
éclat. Encore faut-il qu’elles soient jusqu’au plus profond d’elles-mêmes –
porteuses d’un flux, d’un filon de lumière sous-jacente, dont la circulation
les anime et les irrigue, leur confère chatoiement et vie.
Plus encore que le verbe, la couleur
se doit de prendre relief, de se faire charnelle. C’est, à mon humble avis, la
seule condition de sa présence réelle et effective.
Le succès d’un peintre est dans la
texture qu’il sait donner à ses teintes – s’il échoue à les parer d’une
quelconque luminosité interne, s’il peine à les approfondir, à les renforcer,
en les dotant de ce feu intérieur mâtiné de soie et adouci de velours qui
change toute la donne, s’il ne parvient pas à communiquer au spectateur de ses œuvres
la tentation éminemment tactile de promener le bout de ses doigts sur la
lumière qui traverse les teintes, on peut considérer, en quelque sorte, qu’il
est passé à côté de son propre travail.
De toute œuvre picturale, on peut,
je pense, dire que c’est un délicat et subtil équilibre entre agencement des
formes et luminosité (sourde ou éclatante) des coloris.
Mais tout ce que les couleurs
véhiculent de luminosité reste essentiel.
Dans l’idéal, tout tableau devrait
se métamorphoser en vitrail, ou, à tout le moins, en quelque sorte de fortement
approchant.
Pour le rêveur ou pour
l’artiste, le quotidien trivial et plat a quelque chose d’un harcèlement.
L’inspiration est parfois aussi
tourmentante, aussi harcelante qu’un nuage de taons qui s’acharnerait sans
pitié sur votre cerveau.
L’envie d’être l’autre
est l’un des grands poisons des relations humaines. L’envie de s’en démarquer
aussi.
Il faut avoir atteint un respectable
degré d’avancée en âge pour s’apercevoir à quel point l’on était incomplet,
inachevé en quelque sorte lorsqu’on était jeune. Donc, si l’on laisse parler la
sagesse, il n’est point de regrets à avoir.
On perd, certes, avec la jeunesse,
un indéniable nombre d’avantages ; mais ces choses, à y bien regarder,
sont importantes surtout aux yeux des esprits qu’on nomme « légers »,
voire « superficiels ».
Ce qu’en général, on ne discerne pas
suffisamment, c’est que le temps qui passe vous enrichit, vous étoffe, vous
complète.
Loin de « retirer » des
choses ainsi qu’on le croit trop communément, il en ajoute. Il accumule les
leçons, les expériences, les connaissances, les souvenirs lourds de sens. Il
aiguise le sens de la réflexion et celui de l’observation minutieuse. Il
renforce les capacités de détachement, de prise de distance. La sagesse, la
sérénité, le sang-froid, la sagacité ne peuvent que s’en trouver
considérablement renforcés.
La curiosité et la lucidité peuvent y
trouver largement leur compte. Du moins quand tout se passe bien.
On réalise alors ce qu’il y a de
plus important dans l’existence. Ce dont les philosophes de la Grèce ancienne
ou de l’Inde millénaire parlaient déjà de manière si profonde, si riche.
Entre aimer son pays,
ressentir, pour lui, un attachement légitime, et le regarder comme supérieur à
toutes les autres contrées que compte l’univers en aspirant à ce qu’il domine
allègrement d’autres pays ou – tant qu’on y est – la terre entière, il y a tout
de même une nuance, une marge.
Que signifie la conscience ?
Un univers totalement inconscient de
lui-même, de sa propre existence, des processus qui le régissent est-il
incomplet ? L’inconscience représente-telle une forme de « paix »,
ou bien plutôt un immense manque en termes de plénitude, d’expression ?
Et si, bien plutôt encore, elle
figurait l’expression d’une sur-présence, d’une sorte de trop-plein d’être
chargé de ne laisser aucune place à la moindre forme de doute ?
L’inconscience et la conscience s’opposent-elles ?
L’être en soi ne se suffit-il pas à
lui-même ? N’est-il pas, par le seul fait d’être, d’être jailli du « néant »,
une expression très vigoureuse ? Ressentait-il le besoin qu’on l’observe,
qu’on tente de le comprendre ? Le fait qu’on ne lui renvoie pas sa propre
image (même déformée) lui posait-il problème ?
P. Laranco.