"Excédée, Gaïa prit une serpe, et la tendit à ses enfants en leur demandant de châtrer Ouranos, afin de le punir."
à Z.
GAIA
Lettre écrite il y a une infinité. Quelque part
dans l’immensité des univers.
Gaïa,
Ont été détruites par le noir. Tes peaux de
femme. Tes soies blanches et la volupté de
mes nuits. Tu as été engloutie par mes lunes,
mes étoiles. Dans l’obscurité de tes bois tu
t’es laissé ensevelir par le poids de mes
lumières. Caresses gémies par le toucher de
la nuit sur ton être dénudé. Tes lèvres
fendues par mes baisers. C’était ça, notre
commencement.
Toi, femme. Créature. Tes cheveux portaient
en leur soie les matrices de mes désirs.
Grossesse de mes passions les plus folles. Tes
yeux – ô tes yeux de boue ! Ils étaient les
aubes de mes cieux. Tes crépuscules
illuminés par l’aurore de mes soleils. Tes yeux
étaient des océans où naviguaient les sables,
des sirènes écrasées sous les rochers. Je t’ai
vue, moi voyageur des lunes, laboureur des
terres et des volcans. Je passais et je t’ai vue.
Accroupie comme une gazelle, drapée de
noirceur. Allongée sur l’herbe bouillonnante
de la terre, tes mains des cercueils enfouis
sous des cadavres. Je t’ai vue et je t’ai sentie.
J’ai survolé ta carcasse, ton corps-marécage
et je me suis métamorphosé en boue.
Osmose dans les cavités de tes chairs,
lactescence dilatée, sang noir.
Je me suis fondu en toi. Je me suis fondu
comme du feu dans de la glace. Les silences
de ton âme. Femme de sang. Femme
d’argile. Mes doigts étaient des araignées
ourlées de chair, des bêtes qui t’ont
parcourue dans une implosion de roc et de
lave. Mes grâces ont scindé ton existence.
Les couleurs de nos yeux se sont cicatrisées
dans les entrelacs de nos cils.
Nous étions là. Quelque part, vivants et morts
sur tes dunes dorées de mes larmes et de tes
peines. Nous existions, des âmes nées de la
mort, deux spectres nus dans la rougeur de
mes lunes et de tes arbres. Nous étions collés
l’un à l’autre, mes nuages se trempant les
bras dans les boues de tes forêts.
Tu étais moi et j’étais toi. J’étais moi et tu
étais toi. J’ai transcendé tes rouages et nous
nous sommes enfoncés comme des
astéroïdes dans les enchevêtrements de tes
racines. Nos lèvres étaient des éclipses. Le
noir et le blanc dans une union où plus rien
n’avait d’importance. Ta gorge était une
caverne démolie par l’électricité de mes
foudres. Ferventes coulées de lave et de
pierres.
Tu étais femme et j’étais homme. Nos âmes
pécheresses se sont mutilées en lames
d’argent et d’ébène. Tu étais laide. Un désert
aride et sans fin. Puis sommes entrés en
collision, mes galaxies polychromes et tes
profondeurs sombres se sont unies. Mes
pluies ont arraché la laideur de ton âme, et
tu es devenue verte et bleue, comme le feu
de mes étoiles. Je t’ai aimée, je t’ai chérie. Je
t’ai brûlée de l’immensité de mes espaces et
tu m’as accueilli de tes gravités et de ton
magnétisme.
Nous étions cieux et terres. Terres et cieux.
Embourbés dans le plaisir et la volupté.
Pendus comme deux filets de lune entre tes
océans et mes constellations.
Tu étais mère et j’étais père. De nos
inexistences ont jailli des âmes d’éther dans
des peaux d’argile, des affres de nos
créations. Nous avons engendré ceux de la
pire espèce. Toi et moi avons mis au monde
l’humanité et ses défauts. Toi et moi avons
bâti des squelettes de chair qui nous ont
conduits à notre perte. Toi et moi, pour
toujours déchirés par les perles de nos
semences fusionnées.
Il n’y avait plus de toi, plus de moi. Il ne
restait que le ciel, la terre et nos enfants.
Je t’aime Gaïa. Je t’aime comme jamais je ne
t’ai aimée et sache que je te pardonne. Je te
pardonne la faucille brandie par notre fils. La
castration de mes étoiles enfouies dans ton
nid de marécages. Je te pardonne notre
déchirure. J’ai réfléchi, j’ai beaucoup réfléchi,
le long de toutes ces éternités à contempler
ton corps d’argile si loin de moi sans que je
puisse t’effleurer du bout de mes doigts. J’ai
réfléchi à notre amour, à nos passions
passées et à nos enfants. Je sais que tu les
aimes, ma profonde. J’ai réfléchi. Et pour toi,
pour mon amour de tes pierres et de tes
ruines, pour tes inondations quand je te
pleure et pour tes sécheresses quand se
tarissent mes larmes, pour tout ce qui est toi,
je les aimerai. Tes enfants seront mes
enfants. Je les aimerai d’un amour puissant,
doux comme les effluves du sépale de tes
roses. D’un amour riche comme les abysses
de tes terres.
Je les aimerai pour toujours, comme je t’aime
toi.
Tu seras mère et je serais père. Et nos corps-
infinités se retrouveront encore une fois
réunis dans des étreintes de lianes et de
lunes. Nos enfants habiteront mes nuages
descendus et mes soleils jailliront de leurs
tombes astrales pour ne jamais se coucher.
Nous serons ensemble, moi, toi, et nos
enfants. Nous serons heureux pour toujours,
dans un monde où la mort sera méconnue
des âmes.
Reviens à moi, je t’en conjure. Notre union
s’étalera pour toujours, ce sera l’Éden,
comme au début. Il jaillira de nos
enlacements des jardins où danseront les
nuages et les étoiles. Où ma lune – notre
lune – apprendra à nos enfants les secrets de
l’univers. Tout sera parfait.
Et aussi, pardonne-moi.
Avec mon éternel amour,
Ouranos.
Aqil GOPEE.