Richard TAILLEFER :
« L’ECLISSE DU TEMPS », Editions Dédicaces, 2013
Le
sens ultime du monde serait-il dans le temps ? Dans l’éphémère, dans l’effacement
inéluctable ?
Faut-il
voir là – en quelque sorte – l’épine dorsale de l’univers ?
Telle
me semble être l’interrogation centrale – quoique plus ou moins sous-jacente et
résurgente – autour de laquelle s’organise ce recueil de poèmes.
Le
temps (Temps ?) est un mystère, une énigme que nous portons en nous, un
trait commun que nous partageons avec l’ensemble de la nature. Et donc, la
poésie ne peut qu’être recherche de son essence…
Richard
TAILLEFER possède, du temps, une conscience exacerbée. Une conscience qui a
pour première vertu d’entretenir le feu de sa lucidité un peu tiraillée,
simultanément fataliste et sur le qui-vive. En constant éveil.
Obnubilé
(il l’exprime de façon nostalgique) par l’Origine – laquelle est forcément a –temporelle-,
il voit, en le voyage des instants qui se succèdent sans pause, une force de
dérive, d’exil qui tisse la mouvante, friable, instable substance de notre vie,
de notre être.
A
quoi se raccrocher ?
A
pas grand-chose, nous murmurent ses mots.
Car
nous ne sommes en tout et pour tout que flux
et reflux, à l’intérieur du vide
énorme. Que conscience douloureusement interrogative, tragiquement avide de
sens, qui voudrait vivre de toute
part / Ressentir de toutes les manières mais qui, en attendant, n’en
continue pas moins à affronter sa propre incomplétude, ses rêves d’infini par
nature condamnés à la frustration.
Pourrons-nous être /
Comme nous devrions être ?
Certes
non, car tout ce que nous vivons, nous le vivons Tant bien que mal. Dans un monde à la peau mouvante, fluctuante,
qui ne conserve jamais aucune vraie marque. Car, au bout du compte, tout ce qui
nous baigne s’éloigne à grands pas de
nous.
Autant
dans sa propre vie que dans le cadre qui la ceint, la conscience titube. Elle a
fait de nous autres, êtres humains, des êtres à part – Etrange drame. Peux-tu exister clairement / Sans avoir à y
penser ?
Y
a-t’il quelque chose à comprendre,
alors qu’on sait pertinemment que rien n’est jamais de nature définitive, arrêtée
une bonne fois pour toutes, que tout se perd, à un moment ou à un autre, dans
le changement, dans le bouleversement, dans l'anéantissement de l’oubli et qu’en
définitive, tout se ramène aux sables mouvants de l’incertitude (Comment
était le visage de la mère ?) ?
Derrière
l’art consommé de la densité des mots dont témoigne Richard Taillefer, il y a
le doute. Un doute dont il sait, cependant, faire ressortir toutes les
richesses. Un doute qui laisse parler toutes les ambigüités, toutes les énigmes.
Méditatif,
contemplatif, grave, profond, triste ou sensuel dans certains cas, en un mot
comme en cent fidèle à lui-même, Richard Taillefer se voudrait en harmonie avec
le monde. On le sent fasciné par sa charge de complexité, hanté par ses mille
et un entrelacements de paradoxes. Souhaite-t-il les déchiffrer, les rendre
enfin accessibles à son entendement et à son ressenti, ou souhaite-t-il en
conserver intacte l’aura chatoyante et ineffable d’insondable mystère ? Un
peu des deux…
L’écriture
du poète Richard Taillefer épouse sa pensée : humble, contrôlée, vierge de
certitudes, forte. Une écriture à ciel ouvert.
L’homme
sait parler des choses simples, denses, chaudement présentes et quotidiennes.
Il sait communiquer la tendresse profonde qu’elles lui inspirent.
Mais
– mieux encore – par-delà cette tendresse, il sait les transcender. Leur
conférer une dimension autre, neuve, singulière ; toute personnelle mais
lourde de sens.
S’il
s’éparpille, ce n’est jamais pour perdre son « fil conducteur » de
vue.
Son
texte – dirait-on – colle à la richesse de la vie elle-même.
Vie-voyage.
Voyages de vie.
Transhumance des corps qui sillonnent, en fait aux trois
quarts à l’aveuglette…sable, qui recouvre nos paroles…et n’est-ce pas
très bien ainsi ?
Doit-on
vraiment regretter que l’infini qui hante mots et monde nous renvoie toujours,
en dernier ressort, à toute l’étendue de nos limitations ?
Le
vertige d’infini n’est-il pas jumeau du vertige d’impuissance ?
Oui,
il y a le Temps et il y a le temps qui nous est imparti. Le fait que nous ne
pouvons jamais concrétiser qu’un nombre ridiculement infime de possibles.
Il
y a Cette angoisse qui vous prend à la
gorge, faute de pouvoir…
Mais
aussi, à côté de cela, il y a l’existence ; son PLEIN.
Il
y a le simple fait de s’abandonner à la plénitude de vivre, à la rassurante
vigueur terrienne et à l’épaisseur concrète, sensuelle. Le fait de simplement
laisser les choses – réelles, vigoureuses, épaisses – suivre leur cours, si
élémentaires soient-elles.
Plénitude…ou
incomplétude ?
Qui
sait ? Et pourquoi faire un choix ?
Ne
suffit-il pas d’exister pour être complet ?
La réalité est
entière // Mensonge et certitude / visible et obscure // Le monde porte sa
propre vérité / Et je ne la perçois pas. Constat, aveux qui frappent par leur
humilité fulgurante. Phrases de sagesse absolue, qu’on voudrait presque
apprendre par cœur. Ces termes-là ne sont plus seulement d’un poète, mais d’un
penseur…d’un homme qui a appris et définitivement intégré l’idée que, de toute
façon, la Connaissance nous est, par essence, impossible.
Alors,
où apaiser l’esprit ? L’être harcelé par la pensée ?
Sinon
par la présence au monde ?
Entre
présence au monde et doute ; entre adhésion et réflexion.
Richard
Taillefer nous donne un livre très riche, tant par la subtilité, l’acuité
philosophique de la pensée que par la netteté, l’inflexible dépouillement qu’il
insuffle à son verbe.
Patricia
Laranco.
Le 01/08/2013.
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