Nous avons là un ouvrage non relié de façon classique, mais
simplement agrafé de format A4 dont les 46 pages égrènent la biographie
assortie de très plaisants portraits (l’illustrateur est aussi l’un des
auteurs, Mamy RAHAROLAHY) de 20 rois et souveraines qui régnèrent sur l’île de Madagascar.
Ainsi que prennent soin de le préciser, dans leur avant-propos, les deux auteurs,
Chacun [d’eux] a marqué de son règne les
différentes étapes de la naissance de la nation malgache.
Nous avons donc, en somme, ici, affaire à une sorte d’histoire
de l’Ile Rouge, écrite par des Malgaches, à l’intention prioritairement de
Malgaches, à la fois très facile à lire et passablement riche en informations.
Pour ma part, sur un plan tout à fait personnel, j’entends
encore la voix chantante de ma mauricienne de mère – laquelle fut
tananarivienne d’adoption durant plus d’une vingtaine d’années, à partir de
l’âge de treize ans, et parlait couramment le malgache – évoquer, durant mes
années d’enfance, des noms comme ceux de Radama 1er, de Ranavalo, de
Rasoerina et, bien sûr, d’Andrianampoinimerina tout en me contant ce qu’elle
savait de leur histoire. C’est donc avec un grand et nostalgique plaisir qu’au
fil de ces pages, je retrouve ces noms, de même que ces portraits.
Contrairement à nombre de pays africains actuels dont les
frontières ont été tracées tout à fait artificiellement par leurs anciens colonisateurs
européens (d’où, souvent, les fameux conflits religieux et ethniques), Madagascar
possède une unité culturelle profonde et naturelle. D’un bout à l’autre de
cette île de grande taille si particulière, unique en son genre, on entend, en
gros, la même langue, qui est une langue indonésienne, et on rencontre la même
culture. A ce que l’on sait à l’heure actuelle, elle ne fut peuplée que très
tardivement, Au début de l’ère
chrétienne, probablement vers le cinquième siècle, par de très courageux
marins austronésiens qui ont traversé
la totalité de l’immense Océan Indien en direction du sud-ouest, peut-être
poussés par une certaine surpopulation de l’Asie du Sud-Est insulaire
et/ou pour des raisons liées au commerce
des épices […] reliant le Sud-Est
asiatique à la côte Est de l’Afrique. Une odyssée à bien des égards
semblable à celles que vécurent les Polynésiens mais dont, hélas, on parle
encore très peu. D’abord fixés sur les
côtes, les Hommes migrants s’enfoncèrent ensuite à l’intérieur de l’île et
leurs descendants atteignirent les hautes
terres du centre en suivant les fleuves vers
le dixième siècle de notre ère.
Leurs divers clans,
peu à peu, investirent l’Est, l’Ouest, le Sud, le Nord puis le centre du pays.
Dans tous ces lieux, ils en profitèrent pour introduire de nouvelles plantes
(bananier, igname, taro, canne à sucre et surtout le riz, base de
l’alimentation malgache).
Cependant, ces VAZIMBA avaient les fâcheuses manies de se battre
entre eux et d’importer, d’Afrique, des esclaves.
Les deux premiers souverains malgaches répertoriés furent deux
femmes, RANGITA et RAFOHY, lesquelles étaient des demi-sœurs qui gouvernaient
de concert. Rangita est, à Madagascar, réputée pour son intelligence, son désir
de maintenir la paix entre les clans ; sa sagesse et sa clairvoyance étaient [si] recherchées [que] son frère
devient son vassal.
Voilà qui, déjà, en dit très long sur la place reconnue aux
femmes à Madagascar, et sur le respect dont la tradition les honore.
D’après ce livre, ce furent Rangita et Rafohy qui furent les
premières à donner l’impulsion qui, bien plus tard, mena l’IMERINA (1) puis
l’ensemble du pays sur le chemin de l’unification totale, autour des idées de force, de dynamisme et de respect de
l’héritage culturel et spirituel laissé par les ancêtres.
Rafohy eut un fils, ANDRIAMANELO, qui lui succéda. Sous son
règne, au XVIe siècle, il est à noter un phénomène nouveau et assez
important : les marins indonésiens s’étaient trouvés supplantés dans le commerce des épices, au XIIIe siècle,
par des Arabes et des Persans venant du
Golfe Persique, ainsi que des peuplades islamisées venant de la côte orientale
de l’Afrique et de l’archipel des Comores, qui s’étaient mis à fréquenter les côtes de la grande île.
Non contents de pratiquer le commerce tout court, ils
développèrent activement celui des esclaves, qu’ils vinrent rafler en Afrique
comme à Madagascar, jusqu’en Imerina.
Ils introduisirent sur l’île de
l’argent, certains tissus, des perles,
ainsi que les premières armes à feu (c’étaient des mousquets).
Antananarivo, future capitale de Madagascar, fut fondée par un
souverain de l’Imerina nommé ANDRIANJAKA, lequel régna dans cette région de
1610 à 1630. Par ailleurs, ce fut sous
Andrianjaka que les Merina (2)
commencèrent l’aménagement des marécages en rizières à l’Ouest de la colline
d’Antananarivo, afin de subvenir aux besoins d’une population en croissance.
Les rois qui lui succédèrent continuèrent ce travail gigantesque pour aboutir à
la grande plaine rizicole du Betsimitatatra deux siècles plus tard. Son royaume prospéra et, tandis qu’il s’agrandissait, soucieux de le protéger,
il constitua un arsenal considérable pour son époque, en dotant son armée de cinquante fusils et de trois barils de
poudre achetés à un commerçant
européen. Ce fut probablement aussi lui qui introduisit l’usage de l’argent sur les hautes terres.
De 1675 à 1710, une autre figure de souverain marquant, toujours
en Imerina, se détache : celle d’ ANDRIAMASINAVALONA, dont le peuple
remarqua très précocément L’esprit créatif.
Son règne fut marqué par des innovations
qui contribuèrent à la prospérité de son royaume. Dans sa jeunesse, en
premier lieu, il se distingua par la
réalisation d’une grande rizière. Ensuite, une fois roi, il parvint à contenir le fleuve Ikopa dans son lit : Grâce à l’évolution des techniques de
drainage et d’endiguement qu’il initia, le
peuple put maîtriser les crues et on
aménagea de grandes superficies de rizières en lieu et place des marécages.
Ce ne fut pas tout : réorganisant la royauté, le souverain aménagea un endroit pour les
« kabary » (discours royaux), ainsi que pour les cérémonies de sacre des rois de l’Imerina. De même, la
noblesse fut aussi réorganisée.
Encore plus remarquable peut-être, Ce grand roi fut le premier à réussir l’unification des quatre régions
de l’Imerina sous son autorité. Son règne fut donc, en ce sens-là,
déterminant. Il eut également le mérite d’être long et pacifique. Hélas,
à sa fin, il commit la grande erreur de partager
à nouveau le territoire qu’il avait unifié entre
quatre de ses fils et installa, de la sorte, de nouveau la division en Imerina. Une fois qu’il
fut mort, les guerres civiles ne
tardèrent pas à ressurgir. Elles se prolongèrent dans tout le pays de l’Imerina, pendant
plus d’un demi-siècle.
On voit donc combien Madagascar fut sans cesse écartelé entre
deux forces antagonistes, et inhérentes s’il en est à la nature humaine :
morcellement et union. La langue, la culture et l’histoire commune,
malheureusement, n’y changèrent rien. Les vœux des reines sages Rangita et
Rafohy furent durs – je dirais même extrêmement durs – à réaliser, et ce tout le
long de l’histoire du pays avant le choc que constitua la colonisation.
A l’avènement du roi le plus célèbre de Madagascar,
ANDRIANAMPOINIMERINA (1787-1810), le seul pays central de l’Imerina était encore divisé en quatre principaux
royaumes, eux-mêmes divisés en districts, lesquels étaient tenus par des clans.
Le grand roi venait, à l’origine, du district d’Ambohimanga. Il
y régna d’abord de 1787 à 1794, paisiblement.
Puis, suite à un affront, il se mit à
attaquer Antananarivo. […] il dut s’y
prendre par trois fois pour la soumettre, mais ensuite, curieusement, il y transféra sa capitale. C’est alors qu’il
se souvint de son ancêtre (les ancêtres, à Madagascar, sont essentiels),
Andriamasinavalona, qui avait jadis réuni les
quatre régions de l’Imerina. Il n’en fallut pas plus pour que, tout à coup,
il se lance avec acharnement dans une
politique de conquête du pays. A cet effet, nous révèle-t-on, il employait, le plus souvent possible,
la voie diplomatique ou même la ruse, ce qui est très malgache.
Mais, le cas échéant, quoiqu’en dernier
recours, il savait faire usage de
sa puissante armée. Cela porta ses
fruits : en quelques années, il
réussit à atteindre ses objectifs.
Andrianampoinimarina était quelqu’un qui savait y faire :
intelligent au plus haut point, charismatique et réaliste, il avait l’art de sensibiliser et de mobiliser son peuple
par le moyen de kabary fréquents dans
lesquels il savait se montrait précis, très clair. Sa volonté farouche d’éradiquer les guerres intestines de
l’Imerina convainquait les gens, parlait puissamment au peuple avide de
sécurité qui ne demandait qu’à pouvoir cultiver paisiblement ses rizières. De
plus, il avait la vertu de savoir choisir
avec grand soin ses conseillers. Ce qu’il redoutait peut-être par-dessus
tout, c’était la famine. Du coup, sa
réputation de droiture devint
proverbiale. C’était un grand roi bienfaiteur, dont le but ultime était [également]
la conquête de l’île toute entière. Nourrissant une estime particulière
pour la tribu des antemoro du Sud-Est […] qui étaient les seuls lettrés de toute
l’île, il n’hésita pas à faire appel à eux en qualité de conseillers. Cela
lui profita beaucoup auprès des populations non merina, qui acceptèrent ainsi
son autorité bien plus aisément. La vassalisation
du reste de Madagascar était en route…
Lorsqu’il disparut, son héritier, RADAMA I, savait ce qu’il lui
restait à faire. En effet, son glorieux père l’avait très efficacement préparé […] à ses responsabilités.
Ça tombait bien : intelligent
et plein de hardiesse, le jeune Radama accéda
au trône de l’Imerina avec une réputation de roi guerrier. Une fois roi, et
bien roi, il se lança dans une politique
de conquête territoriale, qui visait à réaliser
le vœu de son père en agrandissant son royaume. Aucune région [de Madagascar] ne
fut épargnée par la puissance de
l’armée merina. Radama s’efforça ensuite de mettre fin à l’exportation d’esclaves à partir de
Madagascar, en grande partie sous la pression de Sir FARQUHAR, le gouverneur
anglais de Maurice (en 1820). Du coup, la
première ambassade malgache fut envoyée en Angleterre pour accompagner des
élèves malgaches devant être formés dans ce pays. En échange, des missionnaires
britanniques furent autorisés à s’implanter dans la grande île, accompagnés d’artisans chargés d’enseigner aux
locaux différentes techniques modernes et industrielles. Un autre fait marquant du règne de Radama I a été le développement de
l’écriture malgache, pour laquelle fut choisi l’emploi de l’alphabet latin.
Dans la foulée de ce mouvement, l’éducation
se développa, et des écoles furent créées, en Imerina […] parallèlement, la littérature malgache vit
le jour. L’habillement eut tendance à s’occidentaliser.
Radama I avait opté pour une politique
d’ouverture qui faisait furieusement penser à celle du Japon de l’Ere
Meiji, exactement à la même époque.
Mais c’était sans compter avec les convoitises bien attisées d’un pays :
la France.
Après Radama, ce fut une femme qui monta sur le trône :
RANAVALONA I. Par malheur pour elle, on se trouvait déjà en plein XIXe siècle,
et les grandes puissances de l’Europe de l’Ouest n’avaient qu’une obsession en
tête : se tailler des empires coloniaux au détriment de tout le reste du
monde. Elles n’en faisaient nullement mystère.
Le 9 mai 1829, six navires français s’emparent purement et
simplement de trois ports de la côte malgache. Ranavalona ne fait ni une, ni
deux : elle lève contre eux une
armée de 14 000 hommes et les
Français, à cours de munitions, battent en retraite. D’autre part, sentant
son autorité menacée par le protestantisme que diffusaient activement dans son
pays les Britanniques, elle prononça un discours, devant près de 80 000 personnes, où elle sommait sans détour son peuple de renoncer à la religion chrétienne
sous peine de condamnation. Les chrétiens furent pourchassés et cela lui
valut une réputation de reine sanguinaire.
Dans le même temps, elle dépêcha également des
ambassades [à Maurice, à Zanzibar et à Londres] pour faire valoir les droits de son pays souverain. Ce qui ne
l’empêcha pas de renvoyer de chez elle tous
les missionnaires anglais.
Ranavalona I n’était pourtant pas contre le progrès cher aux Occidentaux. Ainsi fit-elle appel à l’architecte
français Jean LABORDE pour construire le tombeau de son ex Premier Ministre et
ex époux. […] elle laissa un royaume
partiellement pacifié et relativement prospère dont elle avait réussi à
préserver la souveraineté.
Ce fut son fils qui lui succéda, sous le nom de RADAMA II. En
désaccord avec sa mère qu’il trouvait trop autoritaire, ce dernier décréta,
immédiatement, la liberté de culte
tout en relâchant les contraintes ; il allégea notamment les corvées dues au gouvernement. Les
Malgaches ressentirent un vent de liberté.
Mais, en dépit de son caractère généreux
et très sympathique, il se montrait très influençable et oublieux,
fréquemment, des responsabilités qui étaient les siennes. Il promulgua, de ce
fait, des réformes qui furent néfastes au
royaume et s’opposa à ses conseillers les plus sensés. En conséquence, notables, officiers et représentants du
peuple prirent la décision de le
destituer et de le faire exécuter, mesure passablement radicale. Son règne
ne dura que trois ans. Comme quoi les rois malgaches n’étaient pas des
« rois absolus » tels que, par exemple, Louis XIV ou Louis XV…
On mit alors sur le trône sa première épouse, la reine
RASOERINA, qui régna six ans. Comme il était d’usage depuis l’époque de
Ranavalona I, elle épousa son Premier Ministre. Elle subit aussi une réduction des prérogatives royales,
avec un plus grand contrôle du gouvernement. Bien que non chrétienne, elle respecta la liberté de culte. Elle
se rendit très populaire, surtout
auprès de la population d’Antananarivo [qui] la soutenait massivement.
Après une reine, encore une reine : RANAVALONA II, qui
était une femme intelligente et énergique.
Son fervent attachement au protestantisme ne l’empêchait pas de respecter la
liberté religieuse. Peut-être est-ce aussi lui qui l’amena à plusieurs réformes administratives, en
particulier au plan judiciaire, dans le sens de l’adoucissement. Le 2 octobre 1874, lors d’un kabary, elle abolit
solennellement et bien officiellement l’esclavage des Mozambicains, qui
continuait de sévir dans son pays. Ces gens devenaient sujets malgaches à part
entière. Ainsi, la reine prenait le risque de contrecarrer des préjugés raciaux millénaires, profondément enracinés. Cela n’allait
guère de soi.
Tout en promouvant une
justice moins dépendante de l’autorité royale, elle confia au Premier
Ministre (devenu, bien sûr, son époux) la tâche d’œuvrer dans le sens d’une administration plus efficace :
chaque village se trouva doté d’un représentant
du gouvernement, chargé de l’enregistrement
des naissances, des mariages, des litiges etc. Madagascar, spontanément,
créait son propre état civil.
La reine promulgua aussi, dans un kabary officiel, la création de huit Ministères chargés
de veiller à la bonne marche des
nouvelles règles administratives. L’état malgache, de plus en plus,
s’organisait, se structurait !
Quinze années de règne. Une reine
active, et pétrie d’idées
humanistes ! Sans renier leur passé, les Malgaches, à l’instar des
Japonais, accueillaient le monde moderne, s’ouvraient à lui, avec une réelle
volonté.
Pourtant, il y avait, plus que jamais, une ombre à ce
tableau : A la mort de Ranavalona
II, Madagascar était encore en guerre avec la France.
La Grande Île n’eut malheureusement pas autant de chance que le
Japon.
RANAVALONA III prit place
sur le trône laissé vacant par Ranavalona II. Lors d’un grand kabary, le 2 juillet 1884, elle se trouva
contrainte d’exhorter le peuple à faire
preuve de patriotisme face à la menace française, en l’occurrence de ne pas
céder la terre des ancêtres aux étrangers. Les ports malgaches occupés par
la France subissaient un dur blocus, qui se trouva encore renforcé. La France
s’empara de NOSY BE, de VOHEMAR et de DIEGO SUAREZ. L’Angleterre, quant à elle,
lâcha le gouvernement malgache en signant un accord avec la France qui lui
reconnaissait officiellement sur
Madagascar un droit de protectorat.
La guerre reprit. Le Premier Ministre et Ranavalona III, déposée
entre temps par GALLIENI, furent, suite à leur défaite, exilés en Algérie (un pays devenu possession
française) en 1896.
On ne peut s’empêcher de penser « quel gâchis ! ».
(1) L'Imerina se situe au centre de Madagascar; c'est une région de hauts plateaux.
(2) Les Merina sont les habitants de l'Imerina.
P.
Laranco .
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