Ne jamais oublier ce
que nous sommes : des subjectivités.
Des prismes
déformants.
Voir, à toute chose, une cause unique et simple est une
tendance profondément ancrée dans le fonctionnement du cerveau humain.
A preuve…elle n’épargne même pas celui des plus grands
savants !
En nous poussant à
toute force à aller de plus en plus vite, la vie moderne ne nous incite guère à
plus d’intelligence. Car l’intelligence implique aussi un approfondissement des
choses, une concentration intense sur elles.
L’immédiateté ne nous
donne que rarement le temps de traverser le stade superficiel des apparences et
de nous arrêter sur les phénomènes et les êtres dans leur essence, dans leur
densité.
Les apparences, les préjugés, les leçons tirées de nos
propres vies que l’on généralise, les simplifications commodes et les amalgames
hâtifs.
Voilà quelles sont nos dérisoires balises pour aller à la
découverte du monde.
Dieu serait-il
informaticien ?
Nous ne pourrons jamais prétendre nous rendre meilleurs que
nous ne le sommes sans la pleine et entière conscience de nos manques, de nos
failles, de nos limitations, de nos insuffisances, tant d’ordre
« moral » que d’ordre cognitif.
Le garde-fou contre nos naturelles, nos originelles
tendances à l’exaltation excessive de nous-même et à la mégalomanie n’est pas à
chercher ailleurs que là. De même que la source de la nécessaire humilité et du
non moins indispensable respect de l’autre.
L’art, au même titre
que l’amour, ou que la transe, est un transport. C’est une exaltation, qui vous
fait transpercer l’écran des apparences et qui, de ce fait, vous projette plus
loin que vous-même et que votre environnement platement habituel.
Grâce à lui, c’est
« de l’autre côté du miroir » que vous passez.
Vous continuez à sentir
et à regarder les mêmes choses, mais sous un tout autre angle, de sorte
qu’elles se trouvent radicalement changées. Votre vision, votre appréhension
des choses se modifient.
L’expression
« art visionnaire » n’a que peu de sens, et est hautement pléonasmique.
Tout art, en ce qu’il implique cet « autre regard », cette exaltation
de la « caisse de résonance » perceptive que nous sommes, est
visionnaire.
Tout est critiquable. Dans la même mesure que tout est
louangeable.
Cela dépend, toujours, du point de vue dans lequel on
veut bien se placer.
Les gens qui ne
s’intéressent en tout et pour tout qu’à leur « petite personne », qui
se « centrent « sur cette dernière s’automutilent. Car ils
refusent de s’ouvrir sur la vastitude,
la splendeur et l’intense variété de tout ce qui les entoure, de près ou de
loin.
Lapalissade,
peut-être – mais lapalissade, il me semble (hélas) hautement nécessaire – que
de dire, que de répéter encore que le monde est, et qu’il sera toujours
infiniment plus vaste, plus riche et plus intéressant que leur (notre) petit
personne si transitoire, si limitée.
Le culte du soi est-il, chez l’Homme, fait naturel ou
forme de folie ?
Il n’est pas
d’instant où je ne m’annihile pas, où je ne sois pas l’objet de quelque
« combustion spontanée » qui me réduise à un petit tas de cendres
d’où je pourrais, tel un phénix, renaître. Comme neuve.
Pas de nanoseconde à
l’intérieur de laquelle je ne subisse pas de mue.
On ne se regarde jamais correctement qu’avec les yeux de l’autre.
Avec leur altérité. Qui nous est un véritable secours. Nous avons besoin de la
« chausser » ; comme un myope ou un presbyte qui chausse des
lunettes.
Elle peut être de deux sortes : vraiment externe, à
savoir logée dans le regard observateur et attentif d’autres êtres humains,
qu’ils fassent ou non partie de notre entourage ; ou de nature interne,
lorsque nous avons développé en nous suffisamment d’introspection, de lucidité,
de dédoublement de nous-même.
Oui, lorsque « l’œil de l’autre » stationne en
nous, la conscience y gagne toujours.
Le monde
n’ « avance » que parce qu’il existe, dans l’humanité, un
certain nombre (certes, très minoritaire) d’individus pour qui il ne va pas de
soi. Souvent, ces individus – penseurs, créatifs - se sentent et sont perçus – on pourrait dire
« par la force des choses » -
comme « déconnectés », comme « ailleurs » ;
comme des excentriques plus ou moins « marginaux » et
plus ou moins « inadaptés », enfermés dans leur propre univers mental
et plus ou moins sujets au malaise lorsqu’il leur faut vivre dans l’univers
commun. En quelque sorte, un peu autistes.
Mais n’est-il pas,
tout bien considéré, parfaitement normal que qui n’arrive pas à accepter le
monde tel qu’il est soit également un créatif, un « révolutionnaire »
et un « tourmenté », qu’il soit tout ensemble un chercheur et un
insatisfait chronique, doublé d’un solitaire ?
Aimer le monde.
L’accepter. Le prendre « comme il est », « comme il
vient ». Est-ce compatible avec la pulsion de le comprendre, de lui donner
plus de sens ; cela vous pousse-t-il à essayer de le changer, de l’amener
plus loin ?
Toutes les grandes
découvertes qui firent la civilisation humaine et qui continuent de la faire ne
reposent-elles pas, en fin de compte, sur une unique, fondamentale question,
qui n’est autre que « pourquoi ? », et qui renaît, qui rejaillit
sans cesse de ses propres cendres – si « dérangeante » avec son
pouvoir de bousculer le statu quo ?
La civilisation repose sur l’inadaptation au monde. On
peut presque dire qu’elle lui doit tout.
Beaucoup, qui croient
penser, ne font, à leur total insu, que répéter des leçons apprises, qu’ânonner des certitudes et
axiomes qui sont « dans l’air du temps ».
Si les gens deviennent envieux, aigris, c’est, le plus
souvent, par un dépit de l’amour-propre. Ce fameux « amour-propre»
si mal nommé – en réalité tellement mesquin, tellement sordide qu’il devrait,
bien plutôt, être nommé « amour sale » !
Envieux, aigris,
dépités tiennent comme à la prunelle de leurs yeux au maintien et à la
perpétuation de la médiocrité
universelle. Ils ont l’art de rétrécir l’univers à leur dérisoire
mesure.
Le besoin de se rassurer quant à sa propre valeur est,
chez l’être humain, quelque chose d’aussi lancinant que pathétique.
Pour les parents
abusifs, qui s’efforcent de tuer chez leurs enfants toute confiance en soi afin
qu’ils ne s’éloignent pas d’eux, qu’ils ne leur « échappent » en
aucune manière, il est deux moyens quasi infaillibles d’arriver à leurs fins :
la maltraitance et la surprotection, précoces, prolongées et massives.
Le présent, à proprement parler, est dénué d’existence.
C’est une chimère. Il est tout entier dans un mouvement, dans une sorte de
flash fugace.
Qu’appelons-nous, au vrai, « présent »,
« maintenant », sinon ce minuscule point-charnière qui se borne à
faire la liaison entre ce qui est passé et ce qui est à naître ?
L’avenir n’en finit-il pas de commencer, là, « ici
et maintenant », sous nos yeux ? Le passé, de se fabriquer, de se
cristalliser dans le sillage de l’instant même ?
Chaque instant n’est-il pas un élan, une sorte de
« saut en avant » qui nous projette ? Chaque grumeau de présent
n’est-il pas, en fait, hâte, tension vers ce qui le continuera et le
changera ?
L’univers étant, par
essence (les physiciens l’ont bien prouvé) quelque chose de dynamique, il ne
peut être que voué à l’inventivité, au changement.
Sans doute (et on ne
peut plus paradoxalement) ceux-ci sont-ils les conditions de son maintien, de
sa survie.
Et si tous les grands, tous les vieux problèmes de la
philosophie n’étaient, en fait, que des faux problèmes, et/ou des questions mal
posées ?
Tout n’est qu’affaire
de perception ; de façon d’envisager les choses.
Il n’existe aucune
façon absolue de rendre compte des objets et des phénomènes.
Tous existent au
travers de grilles de perception et d’interprétation différentes qui,
fréquemment, s’excluent mutuellement – et là est tout le problème.
Le réel est. Mais se
prête à une multiplicité d’approches et de « traductions »
langagières. Les mathématiciens eux-mêmes – pour fascinés qu’ils soient par
leur propre mode d’approche et d’expression, pour convaincus que ce dernier est
le plus proche qui soit d’une éventuelle langue divine (cf. ce qu’écrit
Galilée), n’en reconnaissent pas moins, sans se faire prier, qu’il n’est qu’un
langage.
Descartes disait « je pense donc je suis ».
Peut-être eut-il été mieux inspiré d’écrire « je pense donc je me
scinde ». La pensée introduit toujours une sorte de divorce d’avec l’être
brut. Penser, c’est se regarder être, c’est prendre conscience du fait que l’on
est, et de la façon que nous avons d’être.
Dans l’acte de penser, l’individu en train de penser se
coupe en deux entités distinctes pour mieux prendre conscience de lui-même en
tant que soi – quel paradoxe !
Il y a là une étape qu’aucun animal autre que l’Homme n’a
jamais atteinte.
A terme, la pensée introduit même un sentiment
d’étrangeté : par le fait qu’elle nous met à distance de notre
environnement immédiat et de nous-même, elle nous isole, et nous capture. En un sens, on pourrait presque dire que la
pensée humaine, la connaissance humaine sont une forme d’exil.
Cela, la Bible avec son fameux mythe du Jardin d’Eden et
du « serpent à pomme », l’a fort bien rendu.
Ce que nous avons perdu en « être brut », en densité
animale d’être, en immersion pleine et entière dans le vécu inconscient
purement biologique, nous l’avons « compensé » en gagnant un pouvoir
de compréhension, de maîtrise (mais aussi, l’un ne va pas sans l’autre, de mise
à distance) de ce qui nous entoure.
Pour qu’il y ait
pensée, il faut toujours qu’il y ait, à l’intérieur de soi, deux entités bien
distinctes qui se répondent : l’une manie les concepts, et l’autre la
regarde faire et, au besoin, la « corrige », la conteste, la juge.
Il est bien et bon de penser. Mais mieux encore d’avoir
conscience qu’on pense et conscience de ce que l’on pense, de pourquoi on le
pense.
On pense. Cela
compense.
La lucidité ? Une pensée qui retourne contre
elle-même ses propres armes.
En somme, une sorte de « maladie
auto-immune » !
Qu’est-ce que la
conscience ? Un plus ? Un moins ? Multiplie-t-elle nos capacités
de présence au monde ? Les diminue-t-elle ?
Nous employons des mots ; comme s’ils allaient de
soi : « la pensée », « la conscience »…Nous les utilisons
allègrement – et ce depuis x-temps –
sans le moindre état d’âme, pour manier des concepts, de nature scientifique
et/ou philosophique. Mais savons-nous exactement, dans les faits, ce que de
tels termes recouvrent ?
Qui sait dans le plein sens du terme, ce en quoi ça
consiste, « penser » ? Qui est capable de définir, dans le plein
sens du terme, ce qu’est l’être humain ?
Nous venons à peine de commencer à « explorer »
vraiment le cerveau de l’Homme.
Nous ignorons toujours, pour une très large part, le détail
de notre histoire évolutive (la transition du grand singe à l’Homme, et ses
diverses étapes ; l’identification de notre ascendant le plus direct qui
soit dans le « buissonnement » de notre évolution).
Toutes les évolutions actuelles des neurosciences, de la
génétique, de la biologie, de la paléoanthropologie et même des sciences de
l’intelligence artificielle s’entendent pour nous orienter vers de véritables
abîmes (ou abysses !) de complexité.
L’ « intelligence » elle-même…qui sait
seulement à proprement parler en quoi ça consiste, l’intelligence d’un être
humain ? Comment l’ « évaluer » sans risquer de tomber dans
le réductionnisme ? N’est-on pas « revenu » d’illusions telles
que, par exemple, les tests de QI ? Les scientifiques n’invoquent et
n’évoquent-ils pas, à l’heure qu’il est, non plus « l’intelligence »,
mais « les intelligences » ?
P. Laranco.
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