Les êtres se cherchent. Parfois ils hurlent.
Regardez-moi. J’existe. Je suis présent au monde. Je suis matière.
Regardez-moi. Touchez-moi. Touchez mon corps. Je suis réel. Ecoutez-moi. J’ai
tant à dire. Je ne suis pas une image. Je ne suis pas une fiction. Les êtres se
cherchent. Certains croient pouvoir abandonner cette quête par la force du
cynisme ou du désespoir. Personne ne parviendra à désemparer leur solitude.
Mais ils ne s’arrêteront pas pour autant. Ils ne peuvent pas s’arrêter. Ils
sont ainsi faits. Ils ont besoin d’un être pour taire leur solitude. D’autres
boivent, se droguent, s’incarnent en un destin, en une transcendance, il leur
faut fuir ce qui est en eux. Le vide. Ce vide qui est une explosion, sourde et
silencieuse, quand la lucidité se mue en une parfaite blessure. Quand on ne
peut s’accrocher à rien. Les êtres se cherchent. Et parfois ils se trouvent. Ou
du moins ils croient se trouver. Durant un instant. Il n’est alors que la
symphonie des corps et de leurs songes. Le corps perd de son opacité. Il se craquèle
sous le poids de l’autre et de son désir. Il devient limpide. Il s’ouvre à
l’autre. Il devient autre. Il n’est ici nulle fusion. Mais le prolongement de
soi en l’autre. La solitude n’est désormais qu’un lointain abîme. Au bout d’un
moment, l’opacité toujours conquérante renferme l’autre dans ses entrailles. Il
devient à nouveau un corps alors qu’il était tendu vers l’autre. Le corps est
sa prison. Il ne peut s’en libérer. Ou si. Par la force d’une illusion. D’un
désir. Mais l’opacité désormais règne en maîtresse. C’est son territoire. Il
impose ses frontières à tout corps. Et la solitude peut encore se déployer. Et
les êtres se cherchent. Certains parviennent à oublier. Ce qu’ils sont. Ce
qu’il y a en eux. Il est le spectacle du monde. Son impatience et ses jeux. Il
est le spectacle de soi-même. Certains sont si imprégnés de ce paraître qu’ils
en arrivent à oublier ce qu’ils sont. Ils sont les orfèvres de l’oubli. De
l’oubli de soi. Mais la solitude sait défaire toute la trame du spectacle. Elle
la déchire, la lacère. Il ne demeure ensuite que l’être. Dans sa nudité. Face à
soi-même. En ce lieu nul échappatoire. Nul mensonge. Que sa nudité. Sa
solitude. Les plus fragiles parfois perdent la tète. Ils deviennent fous.
Certains s’enfuient. Ils n’en peuvent plus d’être ainsi. Mais la solitude est
en eux. Ancrée en eux. Crucifiée en eux. Elle infeste tout corps. Et les êtres
se cherchent. Ils se regardent, se désirent, s’effleurent, s’émeuvent
mutuellement, se violentent tant cette solitude est tenace. Parfois ils
dévorent l’autre. Ils veulent évacuer ce qui est en eux. Le corps est ainsi
cannibale. La chair de l’autre devient une même chair. La solitude cependant
est. Les êtres se cherchent. Ils ne cessent de se chercher. Et il n’est
peut-être que dans l’affrontement avec la solitude de l’autre qu’on parvient à
apprivoiser sa propre solitude. Mais pour ce faire il faut d’abord faire de sa
solitude un royaume, fait de lumière, une nécessaire absence à soi-même pour
renaître à l’autre, pour renaître à la présence. Les êtres se cherchent. Les
solitudes se cherchent. Il n’est peut-être que dans leur dénuement mutuel,
quand la solitude est royaume, royaume de lumière, qu’ils se trouveront.
Umar TIMOL
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