Alex URI
MON ARCHIPEL
– MÉMORIAL
J’avais des idées mais
je n’avais pas d’argent. Or les idées sans argent notamment dans une société de
consommation finissent par devenir des chimères, à moins qu’un mécène ne
veuille bien se dévouer.
Il y a des idées qu’on se passe de génération en génération sans pouvoir les
réaliser car elles, ces idées là, peuvent déranger les profondeurs de notre âme
où les souffrances sont allées s’enterrer. Des souffrances transmises et
compactées pour mieux les stocker, pour ne pas en
parler, car quelque part, elles nous mettent mal à l’aise en imaginant le
calvaire de celles et ceux qui ont survécu pour bâtir une hérédité souvent
chargée de paradoxes, armée de résilience mais profondément ancrée dans la liberté.
Je suis l’homme de la porte du Non- retour au Bénin
où des âmes vidées de leur sang se promènent encore sur le rivage. Je suis
aussi l’homme de la rivière du Carbet de Capesterre, Je suis encore l’homme de
Calcutta .Je suis allé au ghetto de Harlem. J’ai servi de chair à canon dans
les guerres qui ne me concernaient pas et j’ai dû y vendre chèrement ma peau,
la noire. Cela fait bien longtemps que je ne vais plus dans les champs de coton
ou les champs de canne à sucre. Je porte mon costume dans les gratte-ciel. Je
ne dis plus oui "Missié" que je regarde droit dans les yeux. Je parle
les langues de tous les anciens colons du monde et je suis même Président des
Etats Unis.
Dans cet archipel aux belles eaux, chacun de nous
est un mémorial ambulant, c’est d’abord cela qu’il convient de retenir. J’ai
dit "ambulant " pour que nous allions vers l’avant , que nous
défendions toujours nos espaces de liberté et de dignité, que nous brisions les
chaînes qui nous enchaînent au jour le jour comme si le sang avait coulé pour
rien dans cet archipel devenu mémorial.
Madame, vous, aux cheveux indisciplinés, quand,
moi, afro-indo-caribéen libre et fier de mes ancêtres, je vous dis que « je
vous aime profondément » et que vous répondiez, « c’est bien noté », vous avez
besoin d’un petit cours d’histoire ! Nous n’avions même pas le droit de nous
aimer, le saviez-vous ? Alors, je vous conseille d’aller au Mémorial, sans
acte.
Alex J. URI
Paris
Paris
le 1e mai 2015
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