mardi 15 septembre 2015

Lecture (Histoire) : POL POT, Le bourreau du Cambodge, par Paul DREYFUS, Stock, 2000.




Parmi les monstres génocidaires qui firent du XXe siècle un véritable « siècle des horreurs », le Cambodgien SALOTH Sar, alias POL POT apparaît comme le plus insaisissable, tant au plan strictement biographique qu’au plan psychologique.
Comme ce livre  de 340 pages nous le montre très bien, sa vie se déroula toute entière sous les auspices de la clandestinité, du secret (un mot qui resurgit sans cesse dans ces pages), de l’énigme au cœur du mystère.
Quel contraste, en effet, entre sa singulière discrétion et sa main de fer, le délire de ses ambitions prométhéennes, la démesure rigide de ses buts totalement a-pragmatiques et d’allure mégalomaniaque. Quel apparent fossé entre ce même effacement presque falot – presque digne, à vrai dire, d’une ombre ou de « L’homme invisible » - et le charisme qu’il manifestait dès qu’il ouvrait la bouche. Quelle incompréhensible abîme entre son dogmatisme têtu, borné d’homme somme toute assez médiocre, si ce n’est même fruste, et sa voix douce, son calme placide, sa parfaite maîtrise de soi, son comportement systématiquement doucereux et affable, lesquels lui conféraient l’air manifestement inoffensif.
Duplicité ? Schizophrénie ? Méfiance de type stalinien (c'est-à-dire paranoïde) ? Résultante du « caractère khmer » ?
Cet ouvrage à vocation pourtant biographique se déclare lui-même incompétent à trancher.
Peut-être à défaut de pouvoir le faire – d’être en mesure de cerner, de pénétrer autrement qu’en surface la psyché du (sinistre) personnage, il nous offre, en revanche, une fresque historique solide, vivante qui sait accrocher le lecteur par les qualités de son style et de son rythme pleins d’aisance, et donne le témoignage d’une réelle et sincère  compassion pour le malheureux peuple martyr du Cambodge, littéralement saigné à blanc ( dans toutes les acceptions du terme) par une clique qui péchait autant par son impitoyable et mortifère dogmatisme que par son incompétence foncière et par sa colère sans borne, passablement irrationnelle, transmuée en tout cas en un déchaînement dont on ignore encore les clés.
On ne pourra toutefois pas se défendre, à cette lecture très instructive, d’être quelque peu agacé par les nombreuses touches de franco-centrisme, de condescendance paternaliste éminemment « gauloise » et de complexe de supériorité si typique de l’Occident en général (sous prétexte, bien sûr, d’humanisme et de culte de la démocratie) qui émaillent le récit. Cet auteur, qui prétend aimer le Cambodge, ne me convainc guère vraiment de la réalité de cette affection. Il porte sur ce pays un regard qui, à certains moments, parait friser le mépris et atteint, en tout cas, l’incompréhension la plus totale.
Certes, il « connait » le pays dont il parle pour y avoir effectué de nombreux séjours et s'y être intéressé de très près. Cependant, il le juge au travers d’un véritable prisme déformant de hauteur, de sentiment de supériorité allant de soi qui n’est pas sans rappeler la bonne vieille attitude coloniale française. L’Oncle Sam est, bien sûr, la cible patente de son antiaméricanisme (primaire ?).
Plus grave encore, il se montre, vis-à-vis du Prince NORODOM Sihanouk – pour lequel il n’éprouve manifestement pas grande sympathie – profondément injuste.
Sihanouk a quand même eu le (sacré) courage de courir se jeter en plein dans la gueule du loup Khmer rouge, jusqu’à accepter de devenir, de façon effective, son otage, dans le but de tenter de sauver le Cambodge. Quoiqu’on puisse trouver à reprocher à ce dirigeant asiatique, il n’en a pas moins essayé de faire de son mieux, de « limiter les dégâts », pour autant que ça lui était possible (et dieu sait s’il devait jouer serré). Cette tâche était loin d’être aisée, mais extrêmement risquée (nous le comprenons bien dans le livre).
En outre, Sihanouk connaissait infiniment mieux sa propre patrie que monsieur DREYFUS. Quand il fait allusion (ainsi qu'en atteste un des paragraphes de ce livre) aux caractéristiques « janusiennes » de l’âme des Khmers, ce peuple proche des peuples malais et, par conséquent, sujet, parfois, à des explosions de folie violente, voire meurtrière (analogues au fameux amok), il sait de quoi il parle.
Le drame polpotien serait donc, vu sous un certain angle, une gigantesque crise d’amok venue des jungles et, dans une bien moindre mesure, de la rizière, canalisée,  prise en main (et aggravée) par un endoctrinement maoïste radical particulièrement habile (à tout le moins dans les premiers temps). Quel cocktail explosif !
Quant à la personnalité de Pol Pot lui-même, comme nous l’avons vu plus haut, c’est une autre histoire…
Le tort de cet ouvrage, c’est de juger l’Asie avec un œil européen, de surcroît fortement imbu de la soi-disant « grandeur française ».
Le génocide cambodgien fut un génocide asiatique. On ne peut donc essayer de l’expliquer, de le « comprendre » si l’on n’accepte pas, au préalable, l’Asie telle qu’elle est, et fonctionne.
Quand on se cramponne à sa culture et à une position de type paternaliste un peu hautaine, ce n’est certainement pas facile.
A quand la biographie de Pol Pot par un Cambodgien, en langue française (traduite ou non) ?






P. Laranco.

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