dimanche 7 février 2016

Le 31/01/2016, à 23h 10 sur la chaîne câblée NATIONAL GEOGRAPHIC CHANNEL : LE SEXE CHEZ LES CRO-MAGNONS.


Du sexe il y a plus de 40 000 ans. Voilà qui, bien sûr, ne devait pas nous étonner.
Ce qui, par contre, depuis peu, a tout lieu de nous causer un certain choc, c’est la nouvelle question – fort troublante – que l’on est maintenant en droit de se poser, sachant que la lointaine préhistoire a vu, au Moyen-Orient, en Europe comme en Asie, la coexistence d’au moins TROIS ESPECES HUMAINES DIFFERENTES : l’HOMME DE NEANDERTAL, qui occupait une aire s’étendant de l’Europe de l’Ouest jusqu’à la Sibérie, l’HOMO SAPIENS ( à savoir notre propre espèce) au départ strictement africain mais ayant ensuite, comme on le sait, essaimé sur l’ensemble de la planète et une troisième espèce, encore extrêmement mystérieuse : qui couchait avec qui ?.
Ce documentaire, dont la « vedette » est, sans conteste, le sympathique autant que brillant généticien suédois Svante PAÄBO (lequel eut, en premier lieu, dans sa jeunesse, la tentation de se consacrer à l’égyptologie) nous emmène tout d’abord en SIBERIE, au cœur des MONTAGNES DE L’ALTAÏ.
Pourquoi ? Parce que là, dans la GROTTE dite DE DENISSOVA, a été effectuée, voici quelques années, une découverte stupéfiante, celle d’un type humain  [fossile] complètement inconnu. Hélas, cette récolte archéologique n’a pu offrir aux spécialistes qu’une minuscule phalange de moins d’un centimètre de long, appartenant à un auriculaire infantile.
Souvenons-nous, au préalable, qu’en 2010, au laboratoire de l’INSTITUT MAX PLANCK de LEIPZIG (Allemagne) où elle exerce ses talents, l’équipe de Svante Paäbo avait réussi la prouesse de séquencer 60% du génome de l’Homme de Neandertal et avait, par la suite, découvert, à son grand étonnement, que de nombreuses populations appartenant à notre propre espèce (les Asiatiques, les Amérindiens et les Européens) recelaient, dans leur génome, un certain nombre (variable) de gènes venus de cette espèce humaine éteinte depuis longtemps, que l’on croyait pourtant, jusqu’à présent, non interféconde avec la nôtre ou non susceptible de lui transmettre ses gènes sur le long terme (puisque c’était une autre espèce).
Ainsi, la nouvelle fit le tour du globe : beaucoup d’entre nous sont [quoiqu’en des proportions minimes] des êtres hybrides de Sapiens et de Neandertal. Vous imaginez le choc !
A Leipzig, on se jeta donc sur le petit reste de Denissova comme la misère sur le pauvre monde. En l’analysant de fond en comble, on lui trouva une origine commune avec Neandertal. En fait (un dessin d’arbre généalogique très clair nous le montre), la « branche » dénissovienne dérive de la branche néandertalienne, alors que celle des Sapiens constitue une autre branche, séparée de ces deux-là.
Mais les découvertes concernant l’hybridation entre le Neandertal et notre espèce ne manqua pas de mettre la puce à l’oreille de nos valeureux chercheurs. Dénissova ne se serait-il pas, lui aussi, en ces temps reculés, mélangé avec Homo sapiens ?
C’est à la GENETIQUE DES POPULATIONS qu’il faut à présent faire appel. Le département de génétique des populations de l’Institut Max Planck, comme bien d’autres, mène des études génétiques à grande comme à petite échelle sur divers peuples contemporains d’Asie, d’Europe comme d’Afrique. Et bingo ! Voilà que, très loin de la Sibérie, le Pr Mark STONEKING identifie, sans l’ombre d’un doute, une signature dénissovienne en NOUVELLE-GUINEE, ainsi que sur l’île, plus petite, de BOUGAINVILLE, dans le Pacifique !
Aussi incroyable, aussi inimaginable que ceci puisse paraitre, nos lointains ancêtres ont eu des relations sexuelles avec des DENISSOVIENS, et des bébés ont été conçus à l’occasion de ces accouplements. Comme dans le cas des « galipettes » avec l’Homme de Neandertal, ces rejetons ont été intégrés aux groupes d’Hommes modernes. Ce qui tendrait à prouver qu’à cette époque, les gens avaient l’esprit plutôt large.
Tout de même…comment est-ce possible ?, serait-on en droit de se demander.
Neandertal, par exemple, était, physiquement, passablement différent de nous. Arcades sourcilières en bourrelet, yeux enfoncés dans les orbites, nez extrêmement volumineux, absence de menton et front plutôt incliné vers l’arrière, face très prognathe, comme étirée vers l’avant « en museau », petite taille, carrure trapue, poitrine « en tonneau » , muscles encore plus impressionnants que ceux d’Arnold Schwarzenegger soutenus par des os épais et, probablement, langage moins élaboré, intérêts artistiques et symboliques plus frustes, sinon inexistants – même si, pour certains, il enterrait ses morts, se nettoyait les dents, se peinturlurait, à l’occasion, le corps, jouait d’une flûte rudimentaire et se soignait par les plantes.
Vous trouvez ça affriolant, vous ?
Il faut croire que l’humanité préhistorique de notre espèce était nettement moins regardante et moins « rigide » que nous sur les plans esthétique et érotique.
A CENTRAL PARK (New York), le paléo artiste Victor DEAK, fortement intrigué par ces questions, consulte la psycho sexologue Helen FISHER.
Y aurait-il eu des viols entre ces espèces préhistoriques ?
Fisher répond : le viol constitue, dans l’espèce humaine actuelle, moins de 0,5 % des relations sexuelles. Et elle ajoute que s’accoupler est un besoin instinctif.
Alors, peut-on imaginer des situations un peu particulières, des situations de manque sexuel (par exemple, au cours d’expéditions de chasse ou de prospection lointaines menées uniquement entre hommes de l’espèce Homo sapiens et donnant lieu à des rencontres fortuites de femmes néandertaliennes, d’abord attirées par la curiosité, puis, ensuite, restant avec nos ancêtres, sous l’effet d’une sorte d’ « attachement », ou de fascination) ?
Une semblable situation, me semble-t-il, n’aurait rien d’invraisemblable…
Sur le banc de Central Park qu’ils partagent, Deak présente à Fisher l’un de ses portraits dessinés de femme néandertalienne. Après l’avoir examiné tout à loisir, la psychologue rend son verdict : la néandertalienne n’a pas l’air de venir de Mars. Pensez à d’autres exemples : les Chinois ne nous ressemblent pas ; les Norvégiens ne nous ressemblent pas…Quand un homme et une femme se trouvent face à face, il se passe toujours quelque chose.
Convenons-en…lorsqu’on regarde le comportement de nos semblables – même postmodernes – on ne peut que lui donner raison. Ce qui prouve que la préhistoire n’est pas aussi loin de nous qu’on se l’imagine.
L’Homo sapiens est une espèce très portée sur la sexualité. Elle va, parfois, jusqu’à porter ses désirs sur son propre sexe, sur de très proches parents, sur des impubères et même sur des animaux. Si l’Homme n’était pas si « obsédé » de « la chose », serions-nous, à l’heure actuelle, sept milliards de Terriens ?
Et puis les tout premiers représentants de l’espèce Homo sapiens émergente (ceux que l’on nomme les « Homo sapiens archaïques ») n’étaient pas tout à fait semblables à notre type humain actuel. Certains de leurs traits (notamment au niveau du visage, des arcades sourcilières ou du prognathisme) n’étaient, tout bien considéré, pas si différents de ceux des autres espèces humaines qui leur étaient contemporaines, et ils fabriquaient exactement les mêmes types d’outils (l’industrie lithique moustérienne).
Après son entretien avec Helen Fisher, Victor Deak – qui s’est mis en tête de reconstituer, avec des acteurs, des scènes (y compris érotiques) du paléolithique afin de les photographier et d’illustrer, de la sorte, l’évolution humaine – reste tout de même un peu sur sa faim. Passionné par tout ce qui a trait à notre très lointain (et encore si mystérieux) passé, il prend son travail très à cœur.
Or, on ne sait toujours pas à quoi ressemblaient les Dénissoviens. Cela le frustre. Et il n’est d’ailleurs pas le seul.
Mais il se trouve que récemment, dans une salle d’archives archéologiques sibérienne où elle se trouvait stockée (et oubliée là) depuis dix ans, les Russes ont redécouvert une très grosse dent, d’origine totalement inconnue.
Et si elle était dénissovienne ?
Par bonheur, elle renferme une faible quantité d’ADN, laquelle suffit à confirmer cette hypothèse. Il s’agit là d’une dent d’adulte (sans doute d’une dent de sagesse) et il s’avère qu’elle est énorme. Probablement devait-elle, en déduisent les préhistoriens, appartenir à un individu assez grand (compte tenu que la corrélation existante entre la taille et la dimension des dents chez tout individu) et passablement massif, qui devait être bougrement impressionnant. Homme ou femme ? Impossible de le dire.
Si c’était une femme, je vous laisse imaginer la taille et les mensurations de l’homme appartenant à la même espèce, rient, avec raison, les chercheurs.
Une telle dent, c’est bien. Mais il faudrait un crâne, maintient (et regrette) Paäbo.
Seul un crâne – ou, à la rigueur, un os long – pourrait nous dire enfin quel pouvait être l’aspect physique de l’Homme de Dénissova. Car, hélas, la génomique ne nous dit presque rien sur leur apparence.
En attendant, accompagné – entre autres – de sa consœur Suzan SAWYER, le savant suédois se plonge dans l’étude d’une carte géographique représentant la vaste région Asie/Pacifique. Cela leur permet, immédiatement, de se livrer à un constat de taille : un immense territoire sépare l’Altaï (où se trouve la grotte de Dénissova) de l’Océanie, où vivent les peuples actuels porteur de gènes dénissoviens : la CHINE.
Donc, ils font appel à une jeune archéologue chinoise travaillant à Leipzig, KIAO Mei-Fu. La jeune chercheuse a tôt fait de leur apprendre qu’il existe divers crânes chinois que l’on n’a toujours pas réussi à classer dans la taxinomie officielle. Par ailleurs, jusqu’à preuve du contraire, tous les paléoanthropologues savent que Neandertal n’a pas laissé de vestiges en Chine. Ne restent donc à se mettre sous la dent que l’HOMO ERECTUS et l’Homo sapiens, archaïque ou non.
Les membres de l’équipe décident, ainsi, de se déplacer en Chine.
Bientôt, Victor Deak, à son tout, rejoint Svante Paäbo et son homologue Kiao Mei-Fu à PEKIN, très exactement à l’IVPP (Institut de paléontologie). Là, l’équipe rencontre le Pr JIN Ji-Woo, qui leur présente toute une série de crânes très anciens (certains étant même dotés de crêtes), dont un au sujet duquel il fait remarquer : ce crâne combine des caractères chinois avec des caractères archaïques. En contrepartie, Paäbo lui dévoile sa grosse dent dénissovienne. Jin Ji-Woo la juge, selon ses propres termes, très étrange et se montre de suite, à son propos, catégorique : il déclare n’avoir jamais vu de quenotte fossile de ce type en Chine.
De son côté, Deak, le paléo artiste, se plonge dans l’étude des mystérieux crânes de l’institut pékinois. On lui présente le squelette du plus vieil hominidé moderne connu en Chine : il est daté de 40 000 ans. Ses restes ont été retrouvés à deux heures de route de Pékin, dans une grotte contenant, par ailleurs et entre autres, quatre espèces de cervidés, par la population locale. Les archéologues de Svante Paäbo prennent la peine d’aller visiter cette cavité. Sur place, très satisfait, le savant de Leipzig la catalogue comme un bon endroit du point de vue de la conservation [des restes fossiles] ; la décision est par conséquent prise : Kiao Mei-Fu a le feu vert pour pratiquer des tests ADN sur le squelette en sa possession.
Pendant ce temps, Deak rejoint son studio, situé à New York. Là, il réalise un modèle numérique de l’Homme de Dénissova, uniquement à partir de spéculations par la force des choses.
Il fait toutefois appel, dans sa démarche, à l’appui du généticien John HAWKES, qui éclaire un peu sa lanterne en déclarant : les Dénissoviens n’avaient ni les nuances de pigmentation des Européens, ni celles des Asiatiques [d’Asie de l’Est] ; leur pigmentation s’adaptait aux climats, ainsi que ça se passe pour toutes les populations humaines. Ils devaient, pour supporter des froids comme celui qui régnait dans la grotte de Dénissova par exemple, s’envelopper de vêtements chauds, mais ce n’étaient sûrement pas des fashionistas.
La grotte de Dénissova se situe dans une vallée verte, qui a toujours été un carrefour de peuplements. A l’époque qui nous intéresse (entre 30 et 50 000 ans), trois espèces s’y sont probablement rencontrées : Neandertal, nous et l’Homme-mystère.
Mais revenons en Chine, où la jeune Kiao Mei-Fu a effectué, en bonne et due forme, le séquençage de l’ADN mitochondrial (ou ADNmt, qui est transmis uniquement par les femmes) du fameux squelette chinois daté de 40 000 ans. La conclusion est nette et claire, imperméable au moindre doute (quoique décevante pour les chercheurs) : c’est de l’Homme moderne, pas du Dénissova, point barre.
Aussitôt, Svante Paäbo contacte Deak par Internet : lui faisant part de sa déception, il conclut qu’il est impossible de reconstituer un visage de Dénissovien.
« Denissova » est, décidément, un insaisissable personnage. Le moins qu’on puisse dire est qu’il donne du fil à retordre à ses « poursuivants ». Tout ce qu’il a su faire jusqu’à présent, c’est « se donner » au compte-goutte. Il le fait une fois de plus quand, à nouveau en Sibérie et dans la grotte de Dénissova, deux ans après la découverte de la phalange si déterminante, les archéologues russes ont la bonne fortune d’exhumer une poignée d’os, dont certains font penser à des dents de renard, et, surtout, parmi lesquels on remarque une deuxième dent, encore plus grosse que celle, de type dénissovien, dont on disposait déjà.
Après transfert à l’Institut Max Planck de Leipzig et analyse génétique pointue, la dent mahousse nous révèle un ADNmt très différent de celui que portent les autres échantillons dénissoviens connus. Voici là l’indication d’une très grande diversité génétique à l’intérieur de l’énigmatique population dénissovienne, ce qui fait dire à l’une des chercheuses : cette population devait être immense.
Par ailleurs, de nouvelles traces génétiques dénissoviennes ont été dénichées dans l’ADN de certains groupes des ILES FIDJI et de la POLYNESIE, de L’EST DE L’INDONESIE et des PHILIPPINES, de nouvelles régions de la NOUVELLE-GUINEE, ainsi que dans des groupes d’ABORIGENES DU NORD/CENTRE DE L’AUSTRALIE. Ce qui est également remarquable, c’est que les groupes en question tranchent d’une manière frappante avec toutes les autres populations qui les entourent, puisque celles-ci ne présentent aucune trace de génome dénissovien.
Pour Jean-Jacques HUBLIN, le fait qu’on trouve des traces fossiles de Dénissoviens dans les montagnes glacées de l’Altaï aussi bien que dans des zones tropicales d’Indonésie et d’Australie plaide, à coup sûr, pour un habitat très étendu et très varié de ladite population à l’époque où elle existait. Voire…C’est peut-être un peu vite dit. Car les Dénissoviens ont pu, ici et là, transmettre leurs gènes aux Hommes modernes ancêtres des Mélanésiens actuels quand ceux-ci se trouvaient encore, relativement massivement, établis sur les franges sud du continent asiatique.
On sait que les Mélanésiens (soupçonnés d’être les descendants de la toute première vague migratoire de l’espèce humaine moderne « out of Africa » il y a à peu près 70 ou 60 000 ans, appelée encore « migration côtière », puisqu’elle aurait longé tout le littoral du sud du continent asiatique jusqu’à la Nouvelle-Guinée et à l’Australie) ont occupé, à une certaine époque, de sans doute vastes territoires dans le sous-continent indien, dans la péninsule indochinoise, de même que dans les îles de l’Asie de l’extrême sud-est (Philippines et Indonésie) ; ils en ont été peu à peu « repoussés », ultérieurement, par de nouvelle vagues migratoires de peuples très divers et nettement plus « avancés » technologiquement venus de l’ouest, du centre ou du centre-est du continent asiatique et, à la longue, ne se sont plus retrouvés que dans des régions périphériques et isolées, comme la Nouvelle-Guinée, l’Australie et la Tasmanie, toutes les îles mélanésiennes actuelles du Pacifique (tel le Vanuatu) ou, par « poches » extrêmement confinées et extrêmement réduites, dans les îles Andaman et Nicobar, en divers points du nord ou du centre de l’Inde (groupes « tribaux »), dans les jungles du Sri Lanka (les Veddas), aux Philippines (les « Negritos »).
Pour en revenir aux Dénissoviens proprement dits, la seule réelle certitude me parait être que leur nombre fut, à un moment donné, important. Cela contraste singulièrement avec l’extrême discrétion de leurs vestiges – du moins au point où nous en sommes.
Quand les Dénissoviens se décideront-ils enfin à sortir de l’ombre ?
Pour Paäbo, en tout cas, leur quête [nouveau Graal scientifique] ne fait que commencer ; dans les années à venir, nous en saurons de plus en plus sur la préhistoire de l’Asie.
Cela nous promet encore bien des recherches…et des questions. Parmi celles-ci, l’une – et non des moindres – a, certes, de quoi nous interpeller : combien d’autres espèces humaines se dissimulent dans notre ADN ?.







P. Laranco.

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