La
fragilité de l’Homme a, très probablement, joué un certain rôle dans le
développement faramineux de son inventivité, de son esprit d’entreprise, de son
intelligence. Car, au départ, il devait posséder assez peu d’atouts à son actif
pour « s’en sortir ».
L’idée
de se servir du feu, par exemple, lui fut précieuse en ce qu’elle lui permit d’éloigner
les fauves des campements dans lesquels il s’établissait et, donc, de mieux protéger sa fragile progéniture.
On
peut, à bon droit, imaginer que ce qui stimula considérablement son sens de l’invention,
ce fut, dans les tout premiers temps de son émergence, sa condition de bipède
livré à la vie de savane sans crocs, sans griffes et obligé, pour se défendre,
de fabriquer des outils de plus en plus perfectionnés et d’accroître, au cœur de
ses petits groupes, la solidarité et la prégnance de l’organisation sociale. La
chasse, notamment, donna obligatoirement lieu à l’élaboration de stratégies qui
impliquaient une certaine répartition des rôles, voire une certaine discipline.
Les plus lointains de nos ancêtres étaient soudés entre eux et agissaient de
concert, en étroite coopération, car c’était impératif pour survivre ; ils
n’avaient pas le choix. Et plus ils développaient, par voie de conséquence,
leurs capacités prédatrices, plus ils développaient, avec le temps, leur art de
s’attaquer au gros gibier et, ce faisant, leurs possibilités d’augmenter leur
consommation de viande, laquelle, en leur apportant des protéines
supplémentaires, stimulait grandement la croissance et la complexification de
leur cerveau.
Sans
doute, l’Homme est-il un cas éclatant de force qui procède de la faiblesse.
Et,
curieusement, on retrouve ce processus à l’œuvre au niveau de la vie humaine
individuelle.
Sans
défense, exposé à tous les abus, aux formes de dépendance les plus extrêmes, le
tout petit enfant n’aspire, les années passant, qu’à s’en extraire, et à
dominer à son tour, pour ne plus être dominé.
L’individu
humain semble habité d’une telle hantise d’être jugé « insignifiant »,
de trop peu de poids par ses congénères, qu’il est possédé par l’appétit de
faire ses preuves, de briller, de « réussir », de dépasser les
autres, sinon même de leur « imposer sa loi ». Si l’on fouille les
replis les plus obscurs, les plus labyrinthiques de l’être, on s’apercevra bien
souvent qu’une telle ambition ressortit d’une sorte d’ « esprit de
revanche ».
Plus
il aura été rabaissé, infantilisé, voire méprisé pendant ses années de
faiblesse infantile, plus il fera montre d’un appétit de victoire, de hautes
positions, de conquêtes.
Le
bébé et l’Homme paléolithique terrorisé par les grands fauves possèdent, au
fond, bien des points en commun.
Ce
dont il faut tout de même bien se rendre compte, c’est que nous vivons dans une
société barbare, dont la toute première forme de barbarie est la violence
(potentielle ou non) que font peser en permanence les hommes sur les enfants,
les vieillards et les femmes.
Certaine
conception masculine, qui prévaut encore actuellement dans une très large
mesure, à savoir l’assimilation de la sexualité et, plus largement, du rapport
entre les sexes à une forme de l’appropriation, de la prédation et du pouvoir
ressortit, notamment, de la plus archaïque des barbaries.
Le
premier réflexe de quelqu’un, lorsqu’il voit pour la première fois une autre
personne, est de se prémunir contre l’inquiétude diffuse, la sensation de « mystère »
que font à tout coup jaillir en lui la présence d’un inconnu et la nécessité de
le décrypter, en projetant de suite sur lui des « modèles standard » intériorisés
par son cerveau de longue date, au fil de son éducation. Etiquettes, fantasmes,
clichés et autres généralisations – pour abusifs, expéditifs, réducteurs, pesants
et sots qu’ils nous apparaissent à plus ample examen – « apprivoisent »
l’inconnu et lui rendent une certaine familiarité.
Tous,
nous sommes porteurs de ces grilles de lecture et d’interprétation, de ces
cascades d’associations d’idées étroitement liées aux « codes »
définis par notre société, de ces « balises » intérieures liées à des
manifestations et phénomènes tels que la façon de s’habiller, les manières, l’âge,
le sexe, la couleur de peau, certaines caractéristiques physiques (taille,
poids, carrure…), et autres signes extérieurs qu’émet l’autre, et qui s’imposent
à notre regard, déterminant nos réactions. C’est ainsi, il faut à tout prix que
le cerveau « maîtrise » la nouveauté qu’il découvre.
Chaque
chose, chaque phénomène se prête à une multitude d’angles d’approche.
Connaître, c’est, d’abord, autant que faire se peut, n’en négliger aucun, et ne
jamais se polariser exclusivement sur l’un d’entre eux. Car la réalité est, par
essence, infiniment complexe. Car l’objet qui la perçoit, qui l’observe, qui l’étudie,
qui l’interprète (notre cerveau humain) se projette au surplus sur elle. Or
notre cerveau est l’une des réalités les plus complexes que renferme cet
univers.
C’est
tellement facile, de se dire : « ça ne me concerne pas ! ».
Je
suis vide de tous ceux que j’ai perdus…et pleine à craquer de l’écho de leur
absence.
Si
le pouvoir intéresse et attire si souvent les gens, c’est, dans nombre de cas –
du moins, à l’origine – parce qu’ils y voient le moyen le plus sûr, le plus
radical qu’il y ait au monde d’acquérir une certaine stature, par le biais de l’autorité.
Le
pouvoir nous rend important, aux yeux du monde extérieur comme aux nôtres.
Beaucoup
de gens en rêvent comme on fantasmerait sur une revanche, sur une compensation
qui, enfin, restaurerait, dans sa plénitude, l’estime de soi parfois
défaillante. De là découle un phénomène fréquemment regretté, déploré : la
prolifération, à tous les niveaux des sociétés humaines, de ce qu’il est
convenu d’appeler des « chefaillons ».
Le
pouvoir, l’amour et la soif du pouvoir sont, dans le fond, et dans 99% des cas,
des affaires de minables, de frustrés, d’individus peu sûrs d’eux-mêmes, peu
convaincus de leur réelle valeur. Régner – ne serait-ce que sur une
microparticule d’emprise – et en tirer certains avantages les exalte, les
rassure quant à la place qu’ils occupent dans l’univers.
Se
sentir dominant, sentir, chez les autres, toute l’étendue de la dépendance,
cela ne confère-t-il pas, en quelque sorte, un sens à la vie même ?
Allez
savoir si trop de lucidité ne jouxte pas la folie !
P.Laranco.
Splendide de vérité !
RépondreSupprimerMerci infiniment, Christine !
RépondreSupprimer<3