jeudi 9 mai 2013

Un texte d'Aqiil GOPEE (Île Maurice).


MONTAGNES.


Faim d’espoir faim de ton corps. Je contemple d’un sommeil titubé la laideur de ma chair les baleines échouées de mes bras de mes jambes sur le sable de la nuit mes yeux engourdis de larmes s’arrachent de leurs orbites je n’aurais jamais dû te voir jamais dû t’aimer jamais dû trouver en toi cette beauté longtemps recherchée par ma peau ô effleure moi dis moi que nous pouvons ensemble bâtir des temples et des nuages dis moi que ton corps-lait s’ouvrira comme un coquillage à mon vieux corps esseulé dis moi que ton regard-cœur m’arrachera de moi-même brise moi amasse mes morceaux et plie les en quatre de tes mains douces comme la poésie dépose ton souffle sur mes cheveux et laisse-le sillonner son chemin à travers les remous de mon âme fais quelque chose n’importe quoi

apprends-moi à exister

parce que je ne sais pas je ne sais pas comment t’aimer comment t’avouer comment te regarder de mes yeux creux comme le vent comment poser ma lèvre sur la vérité et te la chuchoter à l’oreille j’ai faim de toi j’ai faim de ton âme de ta présence tu ne le vois pas tu ne le verras jamais car pour toi je ne suis qu’une montagne et qui s’intéresse aux montagnes elles passent leur vie à croire qu’elles poussent à croire que plantées dans leur lit d’arbres leur regard est le plus beau du monde que leur roche n’éclatera jamais comme le jour éclate la nuit mais elles se trompent elles se trompent car elles ne poussent pas elles passent leur journées à rêver à l’âme des autres au corps des autres et jamais à leur propre corps qui se dessèche et qui se strie de fissures rose-argent ils sont gros ils sont graisseux comme moi et comment peux-tu t’intéresser à ce corps gris et sec qui n’attirera jamais le regard des autres qui ne se contentera que d’un sourire figé contre la porte du temps d’un sourire qui ne veut rien dire d’un simple sourire d’admiration et de pitié qui dit comme je vous plains de rester immobile à regarder passer la beauté des autres leurs âmes qui s’embrassent et qui se tiennent par le bout des doigts moi je n’ai pas de main si j’en ai une elle est énorme et repoussante qui voudrait l’attraper elle est ensemencée de terre de racines et de crasse

apprends-moi à accepter mon destin

parce que je suis né et demeurerai montagne pour le restant de mes nuits aide-moi à trouver un symbolisme une raison à ma présence dis-moi suis-je né pour être l’éternel absent suis-je né pour ne jamais exister ?

tu me dis que j’existe que malgré ma laideur il y a en moi enfoui quelque part une beauté maladive qui s’appelle écriture que je dois la soigner que je dois la modeler de mes mains-éléphants que je dois la mâcher de mes lèvres de roc que j’ai des lèvres non pas pour embrasser mais pour mâcher des mots et les cracher sur les autres

mais non ne dis pas ça s’il te plait je ne veux pas passer ma mort à cracher écriture sur la plaie des autres la pluie est là elle le fera à ma place moi je n’ai qu’une envie d’embrasser j’ai envie de goûter de ma langue l’éjaculat de ton corps pourquoi me le refuses-tu non tu ne me le refuses pas c’est moi qui ai peur de te demander je n’ai pas le courage je n’ai pas la force je n’ai pas le rire qu’il faut pour te séduire j’ai honte de moi-même honte de mon corps honte de ma chair mais j’espère qu’un jour

tu m’apprendras à me lever

de mon lit d’arbres à me lever comme la lune qui se lève de son lit d’océans fière de sa blancheur fière d’être secrète fière d’être ronde et grosse fière ses cratères et de ses fissures oui c’est ça apprends moi à devenir lune à mourir mon corps de montagne et à l’élever haut dans la nuit c’est seulement à ce moment-là que je pourrais prétendre avoir le regard le plus beau du monde

entre-temps je me contenterai de cracher écriture et poésie sur les autres

pour faire semblant d’exister.





Aqiil GOPEE.

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