MONTAGNES.
Faim
d’espoir faim de ton corps. Je contemple d’un sommeil titubé la laideur de ma
chair les baleines échouées de mes bras de mes jambes sur le sable de la nuit
mes yeux engourdis de larmes s’arrachent de leurs orbites je n’aurais jamais dû
te voir jamais dû t’aimer jamais dû trouver en toi cette beauté longtemps
recherchée par ma peau ô effleure moi dis moi que nous pouvons ensemble bâtir
des temples et des nuages dis moi que ton corps-lait s’ouvrira comme un
coquillage à mon vieux corps esseulé dis moi que ton regard-cœur m’arrachera de
moi-même brise moi amasse mes morceaux et plie les en quatre de tes mains
douces comme la poésie dépose ton souffle sur mes cheveux et laisse-le
sillonner son chemin à travers les remous de mon âme fais quelque chose n’importe
quoi
apprends-moi à exister
parce que je ne sais pas je ne sais pas
comment t’aimer comment t’avouer comment te regarder de mes yeux creux comme le
vent comment poser ma lèvre sur la vérité et te la chuchoter à l’oreille j’ai
faim de toi j’ai faim de ton âme de ta présence tu ne le vois pas tu ne le
verras jamais car pour toi je ne suis qu’une montagne et qui s’intéresse aux
montagnes elles passent leur vie à croire qu’elles poussent à croire que
plantées dans leur lit d’arbres leur regard est le plus beau du monde que leur
roche n’éclatera jamais comme le jour éclate la nuit mais elles se
trompent elles se trompent car elles ne poussent pas elles passent leur
journées à rêver à l’âme des autres au corps des autres et jamais à leur propre
corps qui se dessèche et qui se strie de fissures rose-argent ils sont gros ils
sont graisseux comme moi et comment peux-tu t’intéresser à ce corps gris et sec
qui n’attirera jamais le regard des autres qui ne se contentera que d’un
sourire figé contre la porte du temps d’un sourire qui ne veut rien dire d’un
simple sourire d’admiration et de pitié qui dit comme je vous plains de rester
immobile à regarder passer la beauté des autres leurs âmes qui s’embrassent et
qui se tiennent par le bout des doigts moi je n’ai pas de main si j’en ai une
elle est énorme et repoussante qui voudrait l’attraper elle est ensemencée de
terre de racines et de crasse
apprends-moi à accepter mon destin
parce que je suis né et demeurerai
montagne pour le restant de mes nuits aide-moi à trouver un symbolisme une
raison à ma présence dis-moi suis-je né pour être l’éternel absent suis-je né
pour ne jamais exister ?
tu me dis que j’existe que malgré ma
laideur il y a en moi enfoui quelque part une beauté maladive qui s’appelle
écriture que je dois la soigner que je dois la modeler de mes mains-éléphants
que je dois la mâcher de mes lèvres de roc que j’ai des lèvres non pas pour
embrasser mais pour mâcher des mots et les cracher sur les autres
mais non ne dis pas ça s’il te plait je
ne veux pas passer ma mort à cracher écriture sur la plaie des autres la pluie
est là elle le fera à ma place moi je n’ai qu’une envie d’embrasser j’ai envie
de goûter de ma langue l’éjaculat de ton corps pourquoi me le refuses-tu non tu
ne me le refuses pas c’est moi qui ai peur de te demander je n’ai pas le
courage je n’ai pas la force je n’ai pas le rire qu’il faut pour te séduire
j’ai honte de moi-même honte de mon corps honte de ma chair mais j’espère qu’un
jour
tu m’apprendras à me lever
de mon lit d’arbres à me lever comme la
lune qui se lève de son lit d’océans fière de sa blancheur fière d’être secrète
fière d’être ronde et grosse fière ses cratères et de ses fissures oui c’est ça
apprends moi à devenir lune à mourir mon corps de montagne et à l’élever haut
dans la nuit c’est seulement à ce moment-là que je pourrais prétendre avoir le
regard le plus beau du monde
entre-temps je me contenterai de cracher
écriture et poésie sur les autres
pour faire semblant d’exister.
Aqiil GOPEE.
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