L’ISLAM INVISIBLE.
On
n’arrête pas de parler de l’Islam. Cette religion est constamment dans les
médias. Elle est l’objet de toutes les attentions. D’une part parce que
l’actualité s’y prête, événements du Moyen-Orient, actes terroristes ou encore
guerres. D’autre part parce que l’islam fascine et fait peur, il suscite des
réactions souvent extrêmes, qui vont de l’admiration à la haine.
L’islam,
pourtant, demeure invisible.
Les
médias nous proposent une vision profondément tronquée de cette religion et de
ses fidèles. Ainsi sa complexité est ensevelie sous quelques clichés, qui à
force de répétitions, en viennent à remplacer une réalité faite de nuances. Des
mots tels que « intégristes », « islamistes » ou encore « musulman
modéré » sont monnaie courante mais ils traduisent mal toutes les
subtilités d’une identité plurielle. Il ne s’agit pas de nier le phénomène « extrémiste »
au sein du monde musulman. Il est clair qu’il y a des musulmans qui estiment
que la violence est leur seul recours. Cette violence se déploie, certes, selon
un contexte mais rien ne peut justifier de tels actes. Ils sont souvent, par
ailleurs, le fait d’êtres qui se trouvent aux marges de la communauté, qui ne
représentent personne sinon eux-mêmes. On doit impérativement les distinguer de
la masse des croyants.
Les
médias ne nous disent pas qu’il y a plus d’un milliard de musulmans dans le
monde, qui sont répartis dans presque tous les pays du monde, que leur pratique
de la religion est loin d’être uniforme, que c’est une communauté qui n’est en
rien homogène, où s’exprime une grande diversité d’opinions. Il y a une
sensibilité commune qui unit tous les croyants mais il n’y pas de musulman
type. Ainsi les termes « intégristes » ou « modérés »
servent à figer une réalité multiforme. Les médias ne nous disent pas l’humanité
des musulmans, qui sont des gens comme les autres, qui ont les mêmes
aspirations, les mêmes désirs et les mêmes peurs. Ainsi, dans le cinéma
Hollywoodien, vous ne verrez jamais ou presque un musulman humain, on nous sert
toujours en pâture cette image du fanatique avide de sang. Les médias ne nous
disent pas que les musulmans sont nombreux à condamner toute forme de violence,
que leur revendication fondamentale est celle de la paix, que s’ils sont certes
souvent ancrés dans un mode de vie « traditionnel », ils ne sont pas
nécessairement opposés à la modernité. Les médias ne nous disent pas les
raisons à la colère des musulmans, qui sont parfois tout à fait légitimes,
ainsi la situation en Palestine ou encore la persécution des Rohingyas en
Birmanie. On a souvent le sentiment que la vie d'un musulman est de moindre
importance que celle d'un Européen. La représentation du musulman est celle
d'un être désincarné qui existe en dehors du temps, de tout contexte, social,
politique ou autre dont le comportement s'explique nécessairement par la
religion ou un fanatisme inné. On délégitimise toute revendication en la
mettant sur le compte de l'intégrisme ou de l'islamisme.
Mais
les musulmans sont, dans une certaine mesure, responsables de cette situation.
Nous n’arrivons pas toujours à articuler un discours cohérent qui puisse rendre
compte de la complexité de notre vécu. Nous ne parvenons pas à témoigner de la
beauté de notre religion, dont les expressions sont multiples. Notre rapport
aux autres est souvent frileux, nous hésitons à établir le dialogue, souvent
impatients de juger et de condamner. Notre compréhension du monde ne fait pas
toujours appel à l’analyse et à l’intelligence (une vertu profondément islamique)
mais à des théories complotistes qui récusent toute rationalité. Nous avons
peine à proposer une image autre que celle qu’on ne cesse de nous asséner à
tout bout de champ. Face à la violence symbolique des images nous nous
enfermons dans une logique faite de méfiance et de suspicion.
L’islam
dispose donc d’une hyper-visibilité tout en étant invisible. On ne voit que le
sommet de l’iceberg qu’on confond finalement avec l’iceberg, d’où des
raccourcis de l’esprit et de nombreux stéréotypes. Et l’actualité contribue à
renforcer ces stéréotypes. On a parfois l’impression d’être pris dans un
véritable engrenage, qui génère des discours et des comportements excessifs de
part et d’autre. Cette situation est dangereuse. Elle est propice aux
dérèglements, elle prépare le terrain à la violence. Elle ouvre la porte à des
dérives totalitaires et fascisantes. Elle nous fait oublier les conséquences
des extrémismes. Elle nous fait oublier qu’au-delà de toutes les barrières, de
toutes les frontières, on trouve des êtres humains, qui ne souhaitent qu’une
chose, vivre en paix.
On ne
peut certes pas toujours se comprendre mais il faut essayer de s’entendre,
d’être à l’écoute de l’autre, d’être au plus proche de sa complexité.
Il faut espérer que les hommes et femmes de bonne foi
sauront rendre au « visible » l’essentiel chez soi et en l’autre, il
n’est de plus grave danger que celui qui consiste à cesser de voir en l’autre
un humain, d’en faire un monstre, de le déshumaniser, de le confiner à
l’invisible, qui est le premier pas vers la barbarie, d’où qu’elle vienne.
Umar TIMOL
le 08 janvier 2015
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