L’Homme a « la
guerre dans la peau ». En s’appuyant sur force preuves et exemples, tant
tirés du travail archéologique de ces dernières années que des observations portant sur les dernières
sociétés n’étant pas entrées dans « l’âge de l’écriture » quoique lui
étant contemporaines à diverses époques (y compris les tout derniers
chasseurs-cueilleurs que compte notre planète), voilà ce que cet ouvrage, écrit par un professeur d'anthropologie de l'université de l'Illinois, et que j’ai
trouvé passionnant, tend nettement, hélas, à démontrer.
En totale
contradiction avec ce que nous aimerions à penser, il n’y a jamais eu le
moindre « Âge d’or » préhistorique, pas plus qu’il n’y a eu de
« Bons sauvages » rousseauistes ou néo-rousseauistes.
La violence homicide existerait, chez
l’Homo sapiens du moins, depuis le Paléolithique – et même le Paléolithique le
plus ancien, alors même que les différentes sociétés humaines n’étaient
constituées que de simples groupes très réduits.
Non seulement la
guerre propre aux sociétés non étatiques était fréquente et répandue, mais elle se
caractérisait aussi (ce qui fait froid dans le dos) par des visées proprement
génocidaires. Il s’agissait bel et bien non seulement de piller, de razzier
l’ennemi, mais encore de l’anéantir à la faveur de ce qu’on pouvait appeler une
guerre totale d’une férocité
étonnante.
Seule une mise à
distance très prononcée des divers groupes humains, une dispersion important
assortie d’absence de contact entre lesdits groupes était en mesure de garantir
la totale absence de conflits, dans ces microsociétés
extrêmement égalitaires et dénuées de pouvoir fort. La paix fut, dans toute
l’histoire de l’humanité, une denrée singulièrement rare.
L’auteur n’hésite
pas à avancer : […] plus de 100
millions d’êtres humains sont morts sur notre planète par suite des
conséquences multiples et variées de la guerre […] au cours du XXe siècle. […] .
Bien qu’épouvantable, ce chiffre est vingt fois inférieur aux pertes
qu’aurait subies la population du monde, si ce dernier était toujours organisé
en bandes, tribus et chefferies. Une société tribale type perdait chaque année
environ 5% de sa population au combat (figure 6.1.). Appliqué aux populations
du XXe siècle, ce taux aurait impliqué plus de 2 milliards de morts par
faits de guerre depuis 1900. Contrairement à ce qu’on a cru, cette
omniprésence de la guerre n’a aucun lien direct avec l’augmentation de la
population, ni avec sa densité ;
pas plus qu’elle ne voit son risque potentiel atténué d’une quelconque façon
par les relations commerciales (troc) et par les mariages interethniques (ce
serait même, plutôt, le contraire).
Et la
« civilisation » (étatisation, écriture, urbanisation) serait plutôt
un facteur de régulation et de recul notable des pratiques guerrières !
Plus les groupes
humains s’agrégeraient sous la houlette d’états structurés, centralisés et
étendus au fort pouvoir de contrôle des individus et des petits groupes (par la
« police » et par la loi et l’arbitrage judiciaire), plus le « chaos
originel » où baignent les égaux
primitifs serait mis en échec et, au final, complètement neutralisé.
D’autre part, il
faut compter avec la plasticité
foncière du comportement humain. Exactement à l’instar des individus, les
groupes et les sociétés changent. Tant et si bien qu’elles sont parfois à même
de se métamorphoser de manière frappante autant que surprenante (exemple :
les redoutables Vikings, mués de nos jours en pacifiques scandinaves).
Ainsi, pour notre
auteur, l’humain n’est pas foncièrement mauvais. Il est, tout bonnement,
complexe. Ses capacités innées de coopération
côtoient – d’une manière qui, peut-être, ne cessera jamais de nous étonner – sa
propension non moins innée à la colère, à la convoitise, au manque, à l’envie,
à l’orgueil qui le conduisent à l’antagonisme.
La guerre elle-même
n’est-elle pas à sa façon elle aussi, une affaire de sentiment d’appartenance,
de solidarité de groupe, de lien chevillé au corps avec le cercle de proches
dont on fait partie ?...Un acte social ?
La « mondialisation »
en cours serait-elle un facteur de son éradication, à terme ?
Voilà, en tout cas,
un livre qui bouscule bien des idées reçues contemporaines, bien des convictions qui nous sont chères. D’où son caractère
indéniablement stimulant.
P. Laranco
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