vendredi 17 avril 2015

Lecture (anthropologie) : Lawrence H. KEELEY : "LES GUERRES PRÉHISTORIQUES", Editions Perrin – collection Tempus, 2009.

L’Homme a « la guerre dans la peau ». En s’appuyant sur force preuves et exemples, tant tirés du travail archéologique de ces dernières années que des observations portant sur les dernières sociétés n’étant pas entrées dans « l’âge de l’écriture » quoique lui étant contemporaines à diverses époques (y compris les tout derniers chasseurs-cueilleurs que compte notre planète), voilà ce que cet ouvrage, écrit par un professeur d'anthropologie de l'université de l'Illinois, et que j’ai trouvé passionnant, tend nettement, hélas, à démontrer.
En totale contradiction avec ce que nous aimerions à penser, il n’y a jamais eu le moindre « Âge d’or » préhistorique, pas plus qu’il n’y a eu de « Bons sauvages » rousseauistes ou néo-rousseauistes.
La violence homicide existerait, chez l’Homo sapiens du moins, depuis le Paléolithique – et même le Paléolithique le plus ancien, alors même que les différentes sociétés humaines n’étaient constituées que de simples groupes très réduits.
Non seulement la guerre propre aux sociétés non étatiques  était fréquente et répandue, mais elle se caractérisait aussi (ce qui fait froid dans le dos) par des visées proprement génocidaires. Il s’agissait bel et bien non seulement de piller, de razzier l’ennemi, mais encore de l’anéantir à la faveur de ce qu’on pouvait appeler une guerre totale d’une férocité étonnante.
Seule une mise à distance très prononcée des divers groupes humains, une dispersion important assortie d’absence de contact entre lesdits groupes était en mesure de garantir la totale absence de conflits, dans ces microsociétés extrêmement égalitaires et dénuées de pouvoir fort. La paix fut, dans toute l’histoire de l’humanité, une denrée singulièrement rare.
L’auteur n’hésite pas à avancer : […] plus de 100 millions d’êtres humains sont morts sur notre planète par suite des conséquences multiples et variées de la guerre […] au cours du XXe siècle. […] . Bien qu’épouvantable, ce chiffre est vingt fois inférieur aux pertes qu’aurait subies la population du monde, si ce dernier était toujours organisé en bandes, tribus et chefferies. Une société tribale type perdait chaque année environ 5% de sa population au combat (figure 6.1.). Appliqué aux populations du XXe siècle, ce taux aurait impliqué plus de 2 milliards de morts par faits de guerre depuis 1900. Contrairement à ce qu’on a cru, cette omniprésence de la guerre n’a aucun lien direct avec l’augmentation de la population, ni avec sa densité ; pas plus qu’elle ne voit son risque potentiel atténué d’une quelconque façon par les relations commerciales (troc) et par les mariages interethniques (ce serait même, plutôt, le contraire).
Et la « civilisation » (étatisation, écriture, urbanisation) serait plutôt un facteur de régulation et de recul notable des pratiques guerrières !
Plus les groupes humains s’agrégeraient sous la houlette d’états structurés, centralisés et étendus au fort pouvoir de contrôle des individus et des petits groupes (par la « police » et par la loi et l’arbitrage judiciaire), plus le « chaos originel » où baignent les égaux primitifs serait mis en échec et, au final, complètement neutralisé.
D’autre part, il faut compter avec la plasticité foncière du comportement humain. Exactement à l’instar des individus, les groupes et les sociétés changent. Tant et si bien qu’elles sont parfois à même de se métamorphoser de manière frappante autant que surprenante (exemple : les redoutables Vikings, mués de nos jours en pacifiques scandinaves).
Ainsi, pour notre auteur, l’humain n’est pas foncièrement mauvais. Il est, tout bonnement, complexe. Ses capacités innées de coopération côtoient – d’une manière qui, peut-être, ne cessera jamais de nous étonner – sa propension non moins innée à la colère, à la convoitise, au manque, à l’envie, à l’orgueil qui le conduisent à l’antagonisme.
La guerre elle-même n’est-elle pas à sa façon elle aussi, une affaire de sentiment d’appartenance, de solidarité de groupe, de lien chevillé au corps avec le cercle de proches dont on fait partie ?...Un acte social ?
La « mondialisation » en cours serait-elle un facteur de son éradication, à terme ?
Voilà, en tout cas, un livre qui bouscule bien des idées reçues contemporaines, bien des convictions qui nous sont chères. D’où son caractère indéniablement stimulant.




P. Laranco

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