dimanche 6 mars 2016

Lecture (Thriller, Afrique du Sud) : Roger SMITH, "PIÈGES ET SACRIFICES", Le Livre de Poche, 2013.


Dans la sommaire notice qui inaugure cet ouvrage, son auteur, Roger SMITH, est qualifié de nouvelle voix du roman policier sud-africain. Ses polars, quant à eux, reçoivent l’appellation de protest books sous la plume de la critique française Sabrina CHAMPENOIS, du journal Libération, en quatrième de couverture. Cela saute aux yeux, en tout cas, en ce qui concerne celui-ci.
Contrairement à ce qu’aimerait bien se figurer l’angélisme désinvolte des bourgeois bohèmes de la « gauche caviar » parisienne, l’ancien pays de l’apartheid ne semble ressembler encore que d’assez loin au merveilleux reflet qu’en donne la fameuse production cinématographique hollywoodienne INVICTUS.
Les « bobos » adorent voir du « vivre ensemble » partout. Mais Nelson MANDELA, malgré toutes les qualités qui étaient les siennes, n’a pas suffi à balayer, d’un coup de baguette magique (le pouvait-il ?) toutes les gangrènes qui continuent de ronger ce pays en état permanent de guerre non déclarée.
C’est avec un brio certain doublé d’une crudité percutante que Roger SMITH sait nous mettre pleinement face à cette cruelle réalité, c'est-à-dire nous montrer à quel point la nation dite « arc-en-ciel » suffoque encore sous les contrastes de niveau de vie proprement vertigineux, l’arrogance persistante des Blancs retranchés dans leurs résidences fortifiées de grand luxe où ils vivent entre eux, comme en état de siège - et demeurent toujours persuadés de pouvoir tout se permettre en profitant du dénuement endémique de tout le reste de la population pour le « tenir » au moyen d’une corruption totalement « décomplexée » - la misère, tant matérielle que morale, mentale des métis qu’il met en scène et la haine, l’atroce violence de tous les jours qui en résultent.
L’Afrique du Sud vue par R. Smith, c’est un pays de psychopathes aussi brutaux, manipulateurs et cyniques que le furent, en leur temps, certaines gens de l’ancien Far-West. C’est l’une des illustrations les plus parfaites, les plus intransigeantes  qui soient au monde de l’immense gâchis qu’a forgé et laissé derrière lui le colonialisme européen.
Dans toutes les nations qui ont été marquées par ce que d’aucun osent appeler « l’aventure coloniale » ( et par la façon de penser qui n’a jamais manqué de s’installer avec elle) ou sont nées de sa survenue (tels les U.S.A, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les petites îles des Antilles ou bien de l’Océan Indien, l’Amérique latine continentale et, bien sûr, l’Afrique du Sud), on retrouve, sous des formes latentes ou manifestes et à des degrés divers, l’ombre de cette violence née des oppositions interethniques et des exclusions, des inégalités criantes et des mal-être chroniques. De telles sociétés, au fond, ne peuvent déboucher que sur une forme de folie, car elles doivent leur genèse à des chocs d’une inimaginable  violence.
En Afrique du Sud, le « choc colonial » a fait des ravages au-delà de toute expression. A en juger par ce livre, le cloisonnement social lié à l’appartenance ethnique perdure tout naturellement, en dépit du « changement de régime », juste sous une forme officieuse, plus hypocrite, beaucoup plus discrète. Un peu comme à Maurice ou en Inde (un autre pays très, très, très dur), la caste, la couleur de peau et la richesse (sans compter la corruption) jouent un rôle déterminant, extrêmement malsain, avec ici, en supplément, une haine inter et intra communautaire d’autant plus redoutable qu’elle demeure exacerbée, inamovible. La violence et le désespoir sans fond sont – c’est vraiment le cas de le dire – « à fleur de peau » (et à fleur de vie). Nous sommes sur un baril de poudre.
Dans ce livre, tout ceci se trouve étonnamment bien exprimé par une écriture vive, directe, tendue, électrique et nerveuse, qui réussit au-delà de toute espérance à se faire le fidèle reflet du cadre dur, implacablement marqué par la lourdeur et la nocivité de l’héritage colonial  qu’elle cherche à  dépeindre. Nous avons également droit à des portraits – sans concessions quoique subtils – de personnages – de « types », plutôt – auxquels on a, il faut bien le dire, un certain mal à s’attacher : un magnifique portrait de bourgeois rempli d’ « états d’âme » du genre « le Sanglot de l’Homme Blanc », mais sans caractère, sans la moindre étincelle de volonté, de « suiveur » d’une veulerie et d’une cruauté involontaire consternantes, celui d’un « caïd » psychopathe au dernier degré des slums ultra-sordides du Cap qui terrifie (à raison) tout le monde et, pour finir, celui d’une jeune desperada métisse complètement paumée et terriblement seule sur le plan affectif, ce qui ne l’empêche pas de se montrer retorse.
Un véritable polar social comme je les aime et qui, pour ma part, m’a singulièrement  « scotchée ».
Roger Smith : pour tous ceux qui apprécient ce genre littéraire, un auteur, sans conteste, à suivre…




P. Laranco.


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