Voici un remarquable
documentaire, qui a le mérite d’être très récent, et qui aborde, du point de
vue de la recherche neuroscientifique la plus en pointe, une question
essentielle, que se posent les philosophes depuis X temps : quelle est la
nature de la conscience humaine ?
D’emblée, une voix
féminine lénifiante nous met sur les rails, sur un fond d’images maritimes et de
musique classique prenante et solennelle : racontée par une voix intérieure, notre conscience serait un film […] tissé de souvenirs et de sensations
qui n’appartiennent qu’à vous.
Mais encore ? La
conscience humaine ne demeure-telle pas un grand mystère ?
Peut-on OBSERVER la conscience, ce JE, ce MOI qui fait
l’expérience de la vie et du monde ?
Empiriquement, bien
sûr, une telle observation est possible. La conscience est sans nul doute liée
à un sentiment global de présence au monde, alimenté par le fait d’être là, de
voir, d’entendre, de ressentir – et de réagir à ces informations que nous
transmettent nos sens. Sensations et émotions sont donc à la base de la
conscience. Au point qu’on pourrait d’ores et déjà en inférer un aphorisme, du
genre « pas de conscience sans sensibilité », ou encore « plus
on est sensible, plus on est conscient ».
Mais ce n’est pas
tout : ce qui donne son unité à la
conscience vient du fait que ça m’arrive à moi. La conscience résulte donc,
aussi, de la perception de notre INTÉRIORITÉ,
sans laquelle, la science est formelle là-dessus, elle n’existerait pas.
Pour Antonio DAMASIO,
spécialiste du cerveau de renommée mondiale et anticartésien convaincu, il ne
fait pas de doute que la conscience est un aller-retour incessant entre notre corps
et le monde qui l’entoure. Nous
sommes, bien sûr, matière, mais matière
organisée de façon extrêmement complexe.
Or, lorsqu’un certain
degré de COMPLEXITÉ se trouve atteint, l’on constate l’apparition de ce que les
savants nomment des ÉMERGENCES, c'est-à-dire des phénomènes totalement inédits.
En d’autres termes, la complexité crée du neuf (autant que la sélection
naturelle, les mutations aléatoires ou la dérive génétiques). Notre conscience
en est un exemple particulièrement frappant.
La conscience émerge de l’activité complexe qui existe entre
l’environnement, notre corps et notre cerveau,
nous précise un autre scientifique. Elle résulte, poursuit-il, de la capacité biologique d’emmener dans son
cerveau une représentation de plus en plus sophistiquée du monde extérieur.
Ladite capacité biologique s’est développée au fil de l’évolution des
organismes vivants, probablement pour la raison qu’elle constituait un avantage (avantage qui reste à trouver).
Mais, en même temps –
et là est le plus troublant – il faut bien se dire que ce que nous voyons
n’est que la RECONSTRUCTION inconsciente de la réalité extérieure.
Il y a bien, comme le
postulaient les philosophes, un « en-soi » et un
« pour-soi ». L’une des preuves les plus éclatantes de ce fait nous
est apportée par de multiples tests, telle, par exemple, l’ « expérience
des points jaunes », qui montre la sélectivité de notre perception.
Reconstruction inconsciente ?
Le terme « inconsciente » est primordial. Pourquoi ? Pas pour
des raisons « freudiennes », mais pour la raison – beaucoup plus
solide – que les spécialistes se sont aperçus, au cours de leurs multiples
expériences dont certaines sont très récentes, que LE CERVEAU TRAITE DES INFORMATIONS QUI N’ ACCÈDENT PAS A LA
CONSCIENCE. A notre insu, il se
livre sans cesse à d’innombrables calculs,
et nous ne pouvons être conscients
que de leur résultat final.
Les spécialistes sont
formels : des expériences telles que celle des points jaunes leur
indiquent clairement que LA PERCEPTION DE
LA RÉALITÉ N’EST QU’UNE ILLUSION DONNÉE PAR LE CERVEAU. D’autres
expériences, menées à partir d’images subliminales
qui n’apparaissent que le temps de quelques millisecondes à l’observateur-cobaye,
ne font que confirmer cette façon de voir : un chiffre subliminal met très
exactement 33 millisecondes pour se
voir refusé l’accès à la conscience et être, ainsi, perdu pour elle.
Grâce à l’imagerie
cérébrale, nous connaissons maintenant le processus qui régit la prise de
conscience d’un objet externe : tout commence par le stimulus rétinien résultant de la vision directe ; ce stimulus
des cellules de la rétine est ensuite, et très vite, transmis aux aires visuelles qui sont logées dans le
cerveau et qui, de suite, se lancent dans son analyse ; immédiatement
après, l’analyse des données visuelles est transférée dans deux autres zones
cérébrales, le cortex frontal et le cortex pariétal ; c’est à ce stade-là
que se produit un processus d’harmonisation
entre les différentes zones cérébrales convoquées : la représentation créée accède seulement
alors à la conscience.
Cette dernière apparaît donc comme un PARTAGE
D’INFORMATIONS qui se déroule dans le cerveau. Et, oui, on peut l’OBSERVER,
nos machines magiques nous le permettent… Électrodes crâniennes, scanners, IRM
mettent en relief, sous nos yeux, l’embrasement
du cerveau qui constitue la signature
neuronale de la conscience !
Toutefois, on ignore
toujours quel est le premier moment
de celle-ci.
Quand et comment la
conscience naît-elle chez le fœtus et le bébé, par exemple ? Pour ce qui
est du fœtus, on est encore bien en peine de le déterminer de manière certaine.
En revanche, chez le bébé, on suppose qu’elle COMMENCE PAR DES PERCEPTIONS.
Pour en avoir le cœur
plus net, on s’est récemment mis à soumettre à des expériences d’imagerie
cérébrale des bébés de cinq à quinze mois
d’âge. Les résultats en ont pointé les
mêmes mécanismes que chez l’adulte, à ceci près que le temps de traitement des stimuli par le cerveau, encore immature,
du tout jeune enfant est trois à quatre
fois plus long qu’il ne l’est dans le cas de l’Homme fait. Il n’empêche
que, dès cinq mois, le bébé est conscient
de ses perceptions (puisque, déjà, il en garde mémoire); autrement dit, on sait qu’il pense, de façon sûre.
Développée dans les
années 1670, l’EXPÉRIENCE DU MIROIR nous a décisivement renseignés sur
l’émergence précoce de la CONSCIENCE DE SOI. Le fameux test de la tâche de
peinture sur le visage révèle que cette dernière s’acquiert, chez l’enfant,
entre le dix-huitième mois et le vingt quatrième, au moment où le sujet de
l’expérience devient capable de se
toucher lui-même en fonction du reflet qu’il voit dans le miroir – ce qui
signifie qu’il se reconnait.
Il va de soi également
que, chez l’humain, les attentes du monde
(et, tout particulièrement, le besoin
d’être aimé, qui est essentiel) comptent énormément dans le processus
d’élaboration de la conscience, qui, comme une spécialiste le souligne,
s’effectue par empilement de couches
successives, un peu comme dans un processus de sédimentation géologique.
Pour les
neuroscientifiques, la conscience est une
IMAGE RÉFLÉCHISSANTE DE SOI tout en même temps qu’un FILTRE – ce qui la rend d’autant plus captivante : en étant
conscient, on se raconte une histoire
pour vivre sa propre histoire, sans forcément comprendre que c’est une histoire…ouh !
L’Homo sapiens est,
par excellence, UNE ESPÈCE FABULATRICE (le mot est de Nancy HOUSTON). Compte tenu de cela, rien d’étonnant,
finalement, au fait que nous créons la
fiction de notre vie.
Il faut bien se dire
que, chez notre espèce, le récit est irrépressible.
Non content de parler histoire de se raconter des histoires – ou des
historiettes – nous interprétons automatiquement ce que nous avons devant les
yeux. Notre cerveau fait de nous des sortes de machines interprétatives, car il lui faut DONNER DU SENS. Comme
s’il ne parvenait pas à supporter que le monde ne lui « parle pas ».
Serait-ce là le résultat d’un désir, inné, d’appropriation, de maîtrise ?
D’une angoisse « instinctive » qui aurait un impérieux besoin de se
rassurer ?
Nos savants,
semble-t-il, hésitent à se prononcer là-dessus, même s’ils concèdent clairement
que nous sommes enfermés dans le sens,
et que le sens prend place dans l’écart
entre le réel brut et sa représentation. Belles phrases, dignes d’un
philosophe !
Mais quel rapport
existe-t-il entre la conscience et le langage ? « Au commencement
était le verbe », nous disent bien des écoles de pensée. A cela,
cependant, nos pionniers de la science du cerveau (et de la nouvelle
anthropologie) répondent avec une singulière vigueur par la dénégation : on ne peut pas réduire la conscience au fait
d’avoir un langage, une communication.
La preuve ? Ils
la trouvent, là, dans ce qu’ils nomment LES
ETATS DE CONSCIENCE ALTÉRÉE.
Nathan est un jeune
homme très malade, en état de conscience minimal suite à un grave accident de
voiture, lui-même suivi par un coma qui a duré quatre années. Parfois éveillé, parfois complètement absent, il exprime, dans un langage atrophié, qu’il se
croit mort. Ce qui se passe en réalité, c’est que, diminuée, sa conscience est
devenue fluctuante, intermittente.
Lorsqu’il est en état d’absence, il n’a, en fait, conscience de rien, même pas
du fait qu’il est vivant. Et c’est normal, nous dit-on, car quand nous sommes conscients, nous sommes
toujours CONSCIENTS DE QUELQUE CHOSE.
Consécutivement à des
mesures de l’activité cérébrale menées chez nombre de malades au cerveau très
gravement détérioré (comateux, semi-comateux, paralysés, etc.), les savants ont
pu constater que plus d’un tiers de
ces malheureux individus se trouvaient dans le même cas que Nathan, réduits à
une conscience fluctuante, certes, mais une conscience tout de même. Ce qui
renforce l’idée que la conscience n’est pas dénuée de résistance, de force.
A Milan (Italie), le
neurologue Marcello MASSIMINI – obsédé, depuis toujours, de son propre aveu,
par la frontière entre être et ne pas
être – a fini par élaborer ce qu’il appelle un CONSCIENTIMÈTRE, dispositif qui consiste à administrer une brève impulsion électromagnétique d’abord dans
un cerveau éveillé, puis dans un cerveau en état de sommeil profond [sans rêves ], pour comparer leurs réactions (après
mesure de l’écho de l’onde
électromagnétique). Les résultats de cette expérience ont été pour le moins
étonnants, puisqu’ils l’ont amené au constat qu’EN SOMMEIL PROFOND, NOTRE CONSCIENCE DISPARAÎT. Le sommeil
profond, c’est, en quelque sorte, l’équivalent de l’anesthésie qui inaugure les
interventions chirurgicales !
Mais qu’est-ce qui
change exactement, par rapport à l’état de veille ?
Eh bien, à la fois
beaucoup et peu : le cerveau ne
s’éteint pas ; néanmoins la conscience s’évanouit. Dans le cerveau
en éveil, le choc électrique se réverbère
longtemps et de manière complexe. Par contraste, sa réponse pendant
la phase de sommeil sans rêves, pauvre, qualifiée d’ennuyeuse, pourrait se comparer, d’après Massimini, à un court monologue, rien de plus.
Qu’est-ce qui fait
toute la différence dans ce cas-ci ? Le degré de COMPLEXITÉ. Car mesurer [la] complexité [de l’écho
expérimental], c’est mesurer notre état de conscience.
Le sommeil sans rêve
est ainsi, par essence, une activité peu
complexe. Et mesurer, de la sorte, la complexité de l’écho, de la musique de la conscience est un bien bel
exploit !
En ce qui concerne le
rêve, FREUD se trouve sacrément battu en brèche. Loin d’être, comme il l’a
prétendu, « la voie royale vers l’inconscient », il se range au
contraire pleinement dans la catégorie…des états de conscience.
Comment l’a-t-on
su ?
En 1978, un savant
anglo-saxon du nom de Stephen LABERGE s’est intéressé de très près au phénomène
du RÊVE LUCIDE.
Le rêve lucide,
explique-t-il, c’est rêver en savoir
qu’on rêve, et cela se produit
lorsqu’on se trouve à cheval entre rêve et éveil. Si le rêve n’était pas
conscience, comment pourrions-nous le raconter ? Il semble que les
psychanalystes n’aient pas pris cette question en compte.
Mais Stephen Laberge
va plus loin : il n’hésite pas à prononcer des phrases qui défient un peu
le « sens commun » : la
conscience n’est qu’un type de rêve particulier ; être éveillé, c’est rêver en subissant la contrainte du réel…alors que rêver, c’est
n’utiliser que ce qui est déjà à
l’intérieur du cerveau [par exemple, les souvenirs], ou encore percevoir les choses sans la contrainte de
la réalité. Voilà qui donnerait presque raison à Calderón de la
Barca !
Sans les rêves, les
savants soupçonnent fort que nous serions moins flexibles et moins créatifs.
D’un certain point de
vue, affirment-ils aussi, nous sommes
enfermés dans notre crâne.
Alors, où se situe le
rôle de notre corps dans notre conscience ?
Il ne fait pas de
doute que la conscience humaine fait
appel au corps ; elle se rend bien compte qu’elle y est reliée, elle s’identifie à lui, en particulier à la
tête. Le corps et la conscience sont [par conséquent ] intimement liés.
En trompant, par des
procédés artificiels, expérimentaux, le cerveau, démonstration a été faite
qu’on arrive à tromper le corps – ou plus exactement, la représentation du
corps que le cerveau se fait ; au point qu’on en arrive, même, à faire se
prendre une personne tout à fait normale pour…une poupée !
A Berlin (Allemagne),
on cherche la signature cérébrale de
notre libre-arbitre.
Peut-on prévoir le choix de quelqu’un avant même qu’il ait la
sensation d’avoir pris sa décision ?
Eh bien, je vous le donne en mille, oui !
Au cours d’une
expérience berlinoise impliquant un scanner ainsi que deux boutons à
sélectionner, on est parvenu à deviner
– à lire, plutôt, sur les images cérébrales en couleurs – le bouton sur lequel
le « cobaye » allait appuyer sept
secondes avant qu’il appuie dessus. Tout cela parce qu’à l’imagerie, certaines zones du cerveau s’activent selon le choix.
Conclusion qu’en
tirent les scientifiques allemands : IL
N’EXISTE PAS DE LIBRE-ARBITRE ; notre conscience subit des décisions qui sont comme la partie immergée
d’un iceberg, et 95 à 98% de l’activité
de notre cerveau serait inconsciente.
Car l’essentiel, pour
lui, c’est avant tout de produire des
pensées.
Donc, comment faire
pour être plus libre ? Est-ce
seulement envisageable ?
A cela, les scientifiques
tendent de répondre tout de même plus je
prends conscience de ce qui est en train de se passer, plus j’augmente ma
liberté.
De plus, certaines
investigations ont aussi apporté la preuve que certaines entreprises visant le
cerveau, telles, par exemple, la MÉDITATION et la PSYCHOTHÉRAPIE, possèdent le
pouvoir de modifier le fonctionnement de ce dernier.
Afin d’aider ses
confrères scientifiques à démontrer décisivement que LA CONSCIENCE INFLUENCE LE FONCTIONNEMENT DU CERVEAU, le prix Nobel
devenu moine bouddhiste Matthieu RICARD (lequel totalise 30 à 50 000 heures de
méditation) a accepté de se soumettre à deux jours d’IRM et de Pet-scans. Le
but était de « sonder » son cerveau dans le même temps qu’il faisait
passer volontairement et alternativement celui-ci d’un état de conscience
augmentée, élargie à un état – diamétralement opposé – de torpeur cérébrale. Cette expérience a permis de mettre en relief,
chez lui, une variation de 20 à 30% de la
complexité de l’activité cérébrale. Ce fut donc là une patente illustration
du fameux « pouvoir de la pensée ».
Nous voici rassurés :
notre cerveau, par le seul effet de la
pensée, peut modifier son mode de fonctionnement le plus intime. Envers et
contre tout, nous disposons d’une petite
marge de manœuvre, sous l’espèce de ce pouvoir de changer l’histoire que
nous nous racontons.
En dépit de tout cela,
LE POSTE DE CONTRÔLE, DANS LE
CERVEAU, DEMEURE INSAISISSABLE.
Il faudrait, bien
plutôt, peut-être, voir en ce qu’on appelle « la conscience » une
harmonisation d’aires et de tâches cérébrales spécifiques qui se sont mises à
travailler de concert du fait de l’interconnexion.
Quoi qu’il en soit,
les neuroscientifiques se montrent, sur deux points, catégoriques : il n’y a pas un moi isolé […] mais un réseau
de relations hyper-complexes. Et notre conscience est un récit, tant individuel que collectif.
Voilà qui peut déboucher
sur des réflexions riches, aussi amples qu’excitantes.
P. Laranco.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire