mercredi 25 mai 2016

Lecture (sociologie, pamphlet) : Corinne MAIER, "TCHAO LA FRANCE", Flammarion, 2010





Quel réquisitoire ! Quel portrait au vitriol !
Française de l’étranger, Corinne MAIER propose, dans cet ouvrage – au demeurant extrêmement divertissant de par son ton enlevé, enjoué, aussi pétillant que des bulles de champagne et empreint d’une ironie corrosive qui force, à certains moments, le trait jusqu’à avoisiner la caricature – 40 raisons de faire comme elle en quittant les vieux rivages de l’orgueilleux « Pays des Droits de l’Homme ».
Abandonner le navire « France » ? Pourquoi ?
Parce que la France, c’est « du lourd » ; du « plus que relou » - dirait-on, dans le cas où nous causerions verlan.
En fait, C. Maier reprend, sous une forme humoristique très décapante, terriblement « vacharde », qui incite à bien des éclats de rire – la déjà ancienne litanie que des auteurs tels que Michel CROZIER, Alain PEYREFITTE, François de CLOSETS (et pas mal d’autres, Français ou non) diffusent depuis plus de quarante ans.
La France est bel et bien un pays qui « casse » ses habitants, une « société bloquée », verrouillée par une authentique oligarchie, rigidifiée par son corset étatique centralisateur (héritage de l’idéal jacobino-napoléonien), muselée par l’esprit de hiérarchie autant que par des lourdeurs et des complications administratives ubuesques et, de façon de plus en plus accentuée, générateur d’échec et d’exclusion à tous les niveaux (ainsi qu’en témoigne son chômage endémique, qui ne semble pas vouloir se résorber).
Si le Français est grognon, dépressif (si ce n’est bien souvent suicidaire, ainsi que le démontrent les statistiques), c’est que tout, en France, semble fait pour susciter l’agacement, ou le manque d’enthousiasme.
En toute franchise, ce n’est pas moi qui contredirais madame Maier (même si elle exagère parfois). Comparée à nombre de pays à la pointe du développement, de la liberté et de la tolérance (notamment, à la référence que constituent les pays du Nord-Ouest de l’Europe), la France fait plutôt pâle figure. Paternalisme, chauvinisme chevillé à l’identité, véritable emprisonnement dans le poids de l’Histoire, de la culture et de la langue, couplé, assez contradictoirement, à une prétention à l’universalisme (le tout donnant, au final, une indifférence au monde extérieur qui peut très vite dégénérer en une xénophobie fate), autoritarisme dont l’état est le premier à donner l’exemple et qui débouche sur la prolifération des petits chefs, obsession de la loi qui n’a d’égale que la propension à la contourner à longueur de temps grâce aux combines, aux pistons, aux passe-droits et autres réseaux de copinage à forte connotation clientéliste ou courtisane, misogynie qui, à tous niveaux, fait autant de résistance que les Maquis pendant la Seconde guerre mondiale (La France, un truc de mecs), formatage ayant pour effet d’entretenir, par le dressage scolaire, un conformisme qui finit par transformer le célèbre « pays où il fait bon vivre » en une contrée ennuyeuse de « petites filles et de petit fils de Français moyens » (pour paraphraser les paroles d’une ancienne chanson populaire datant des années 1970 et interprétée par une vedette de l’époque dénommée SHEILA) dont la frilosité, la peur pour pas grand-chose, le goût du « train-train sans emmerdes » sont devenus proverbiaux.
La France déteste que les choses « bougent ». D’où son repli sur soi actuel. Repli sur soi d’autant plus facile, au demeurant, qu’en elle, cette sorte d’ «insularité » que constituent tout ensemble la « Vieille France de toujours » (mâle, âgée, terrienne, fille de Jeanne d’Arc, de Louis XIV, de Napoléon et de De Gaulle, et résolument Blanche) et « l’exception française », sorte de « défi », un peu grotesque, au reste du monde chargé de protéger la pérennité de son sacro-saint modèle tout comme de faire ressortir son « esprit frondeur » chronique si réputé – ne peut que lui servir de (solide) appui.
Un pays d’oligarques, de notables, de petits cadors et de « petits maîtres [d’école] »…le pays par excellence du « coinçage », du « fais pas ci »…voilà, en gros, la France.
C’est vrai qu’en survolant un tel ensemble, point n’est lieu d’être particulièrement fier, fondé à « bomber le torse ».
La France est dépassée par un monde qui va trop vite, de plus en plus vite. Elle peine à suivre, s’essouffle et, plus que jamais, se recroqueville. Elle qui se veut, depuis si longtemps, le « berceau de la modernité » !
Quelle modernité en pointe y-a-t-il, en réalité, dans un type d’organisation sociale qui, loin d’être une méritocratie, divise, grosso modo, l’ensemble de la société en deux : d’un côté, les « grands » qui se pavanent sur des sommets inaccessibles, et de l’autre, une masse d’ « obscurs », de silencieux majoritairement rattachés à la classe moyenne qui doivent, bien sagement, se contenter de demeurer de braves consommateurs doublés de « petits Français » attachés à leur petit bout de médiocrité confortable ?
En France, confiance en soi et ambitions restent réservées à l’élite. A ceux qui font partie, depuis X-temps, du « sérail » et des hauts réseaux ou bien à ceux qui vous écrasent de leurs montagnes intimidantes de diplômes (la diplômite, vous connaissez ?), ce qui, du reste, va souvent de pair. Si vous n’êtes pas dans ce cas, l’on vous remet fort prestement « à votre place ». Il ne saurait y avoir de créneau pour les autodidactes, les « self-made » ou les surdoués, ces grands prétentieux !
Dans ce pays d’arrogance (où l’on n’est pas à un paradoxe, à un oxymore près), on vante d’ailleurs à qui mieux-mieux la « modestie ».
Volontiers fanfaron, le Français, sur ce chapitre, rappelle sans cesse ses semblables à l’ordre. En particulier, les femmes et les sans-grades de tous poils…comme c’est curieux ! Culpabiliser les gens pour qu’ils renoncent à leurs ambitions (toujours trop grandes) semble, ici, une espèce de tic.
Par ailleurs, les qualités d’accueil laissent assez fortement à désirer. La France est également une contrée de petites coteries, d’ « entre-soi » et de morcellements « tribaux », où l’on a à cœur de se regrouper scrupuleusement « par affinités », ce qui, on le conçoit bien, ne favorise guère, là encore, l’ouverture de l’esprit sur l’ailleurs et sur l’inconnu. Effet de la réserve, de la frilosité congénitales ? Probablement.
Avec cela, on ne peut que constater que la France, ce bloc difficilement pénétrable, DEMANDE beaucoup. Que l’on vive dans un pays sans forcément l’aimer avec passion et y adhérer sans réserve est tout de même un droit. Chaque être humain, que je sache, est (du moins selon les principes démocratiques) libre de ses sentiments et de ses ressentis, comme il est libre, par exemple, de s’habiller, de s’exprimer à sa convenance (sous réserve que ses sentiments, ses désirs personnels, sa façon de vivre ne portent aucune atteinte physique et morale à autrui). Mais le hic – et cela, Corinne Maier le pointe très bien – est que la France est un « moule » (qu’elle appelle, sans grand ménagement, le moule franchouille). Comme aux temps féodaux, il faut lui prêter allégeance (presque « main sur le cœur »), se fondre en elle de façon radicale, définitive. « LOVE IT OR LEAVE IT » selon la fameuse formule (totalitaire) consacrée…Voilà qui laisse, in fine, assez peu de place au cosmopolitisme. Qui est pourtant une richesse.
La France, en panne ? La France à bout de souffle, et au bout du rouleau ?
Finalement, Maier lui répond du tac au tac par un « LEAVE IT » retentissant et provocateur.
Ce petit livre risque de déplaire à bon nombre de gens, mais elle assume.
Et nous, du coup, nous nous amusons…autant que nous réfléchissons. Coup double !




P. Laranco.

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