Quel réquisitoire ! Quel portrait au vitriol !
Française de l’étranger, Corinne MAIER propose, dans cet ouvrage
– au demeurant extrêmement divertissant de par son ton enlevé, enjoué, aussi
pétillant que des bulles de champagne et empreint d’une ironie corrosive qui
force, à certains moments, le trait jusqu’à avoisiner la caricature – 40 raisons de faire comme elle en
quittant les vieux rivages de l’orgueilleux « Pays des Droits de
l’Homme ».
Abandonner le navire « France » ? Pourquoi ?
Parce que la France, c’est « du lourd » ; du
« plus que relou » - dirait-on, dans le cas où nous causerions
verlan.
En fait, C. Maier reprend, sous une forme humoristique très
décapante, terriblement « vacharde », qui incite à bien des éclats de
rire – la déjà ancienne litanie que des auteurs tels que Michel CROZIER, Alain
PEYREFITTE, François de CLOSETS (et pas mal d’autres, Français ou non)
diffusent depuis plus de quarante ans.
La France est bel et bien un pays qui « casse » ses
habitants, une « société bloquée », verrouillée par une authentique oligarchie,
rigidifiée par son corset étatique centralisateur (héritage de l’idéal
jacobino-napoléonien), muselée par l’esprit de hiérarchie autant que par des
lourdeurs et des complications administratives ubuesques et, de façon de plus
en plus accentuée, générateur d’échec et d’exclusion à tous les niveaux (ainsi
qu’en témoigne son chômage endémique, qui ne semble pas vouloir se résorber).
Si le Français est grognon, dépressif (si ce n’est bien souvent
suicidaire, ainsi que le démontrent les statistiques), c’est que tout, en
France, semble fait pour susciter l’agacement, ou le manque d’enthousiasme.
En toute franchise, ce n’est pas moi qui contredirais madame
Maier (même si elle exagère parfois). Comparée à nombre de pays à la pointe du
développement, de la liberté et de la tolérance (notamment, à la référence que
constituent les pays du Nord-Ouest de l’Europe), la France fait plutôt pâle
figure. Paternalisme, chauvinisme
chevillé à l’identité, véritable emprisonnement dans le poids de l’Histoire, de
la culture et de la langue, couplé, assez contradictoirement, à une prétention
à l’universalisme (le tout donnant, au final, une indifférence au monde
extérieur qui peut très vite dégénérer en une xénophobie fate), autoritarisme
dont l’état est le premier à donner l’exemple et qui débouche sur la
prolifération des petits chefs,
obsession de la loi qui n’a d’égale que la propension à la contourner à
longueur de temps grâce aux combines, aux pistons, aux passe-droits et autres réseaux de copinage à forte connotation
clientéliste ou courtisane, misogynie qui, à tous niveaux, fait autant de
résistance que les Maquis pendant la Seconde guerre mondiale (La France, un truc de mecs), formatage
ayant pour effet d’entretenir, par le dressage
scolaire, un conformisme qui finit par transformer le célèbre « pays
où il fait bon vivre » en une contrée ennuyeuse de « petites filles
et de petit fils de Français moyens » (pour paraphraser les paroles d’une
ancienne chanson populaire datant des années 1970 et interprétée par une
vedette de l’époque dénommée SHEILA) dont la frilosité, la peur pour pas
grand-chose, le goût du « train-train sans emmerdes » sont devenus
proverbiaux.
La France déteste que les choses « bougent ». D’où son
repli sur soi actuel. Repli sur soi d’autant plus facile, au demeurant, qu’en
elle, cette sorte d’ «insularité » que constituent tout ensemble la
« Vieille France de toujours » (mâle, âgée, terrienne, fille de Jeanne
d’Arc, de Louis XIV, de Napoléon et de De Gaulle, et résolument Blanche) et
« l’exception française », sorte de « défi », un peu
grotesque, au reste du monde chargé de protéger la pérennité de son sacro-saint
modèle tout comme de faire ressortir
son « esprit frondeur » chronique si réputé – ne peut que lui servir
de (solide) appui.
Un pays d’oligarques, de notables, de petits cadors et de « petits maîtres [d’école] »…le pays
par excellence du « coinçage », du « fais pas ci »…voilà,
en gros, la France.
C’est vrai qu’en survolant un tel ensemble, point n’est lieu
d’être particulièrement fier, fondé à « bomber le torse ».
La France est dépassée par un monde qui va trop vite, de plus en
plus vite. Elle peine à suivre, s’essouffle et, plus que jamais, se
recroqueville. Elle qui se veut, depuis si longtemps, le « berceau de la
modernité » !
Quelle modernité en pointe y-a-t-il, en réalité, dans un type
d’organisation sociale qui, loin d’être une
méritocratie, divise, grosso modo, l’ensemble de la société en deux :
d’un côté, les « grands » qui se pavanent sur des sommets
inaccessibles, et de l’autre, une masse d’ « obscurs », de
silencieux majoritairement rattachés à la classe moyenne qui doivent, bien
sagement, se contenter de demeurer de braves consommateurs doublés de
« petits Français » attachés à leur petit bout de médiocrité confortable ?
En France, confiance en soi et ambitions restent réservées à
l’élite. A ceux qui font partie, depuis X-temps, du « sérail » et des
hauts réseaux ou bien à ceux qui vous écrasent de leurs montagnes intimidantes
de diplômes (la diplômite, vous connaissez ?), ce qui, du reste, va
souvent de pair. Si vous n’êtes pas dans ce cas, l’on vous remet fort prestement
« à votre place ». Il ne saurait y avoir de créneau pour les
autodidactes, les « self-made » ou les surdoués, ces grands
prétentieux !
Dans ce pays d’arrogance (où l’on n’est pas à un paradoxe, à un oxymore près), on vante d’ailleurs à qui
mieux-mieux la « modestie ».
Volontiers fanfaron, le Français, sur ce chapitre, rappelle sans
cesse ses semblables à l’ordre. En particulier, les femmes et les sans-grades
de tous poils…comme c’est curieux ! Culpabiliser les gens pour qu’ils
renoncent à leurs ambitions (toujours trop grandes) semble, ici, une espèce de
tic.
Par ailleurs, les qualités d’accueil laissent assez fortement à
désirer. La France est également une contrée de petites coteries,
d’ « entre-soi » et de morcellements « tribaux », où
l’on a à cœur de se regrouper scrupuleusement « par affinités », ce
qui, on le conçoit bien, ne favorise guère, là encore, l’ouverture de l’esprit
sur l’ailleurs et sur l’inconnu. Effet de la réserve, de la frilosité
congénitales ? Probablement.
Avec cela, on ne peut que constater que la France, ce bloc difficilement
pénétrable, DEMANDE beaucoup. Que l’on vive dans un pays sans forcément l’aimer
avec passion et y adhérer sans réserve est tout de même un droit. Chaque être
humain, que je sache, est (du moins selon les principes démocratiques) libre de
ses sentiments et de ses ressentis, comme il est libre, par exemple, de
s’habiller, de s’exprimer à sa convenance (sous réserve que ses sentiments, ses
désirs personnels, sa façon de vivre ne portent aucune atteinte physique et
morale à autrui). Mais le hic – et cela, Corinne Maier le pointe très bien –
est que la France est un « moule » (qu’elle appelle, sans grand
ménagement, le moule franchouille).
Comme aux temps féodaux, il faut lui prêter allégeance (presque « main sur
le cœur »), se fondre en elle de façon radicale, définitive. « LOVE
IT OR LEAVE IT » selon la fameuse formule (totalitaire) consacrée…Voilà
qui laisse, in fine, assez peu de place au cosmopolitisme. Qui est pourtant une
richesse.
La France, en panne ? La France à bout de souffle, et au bout
du rouleau ?
Finalement, Maier lui répond du tac au tac par un « LEAVE
IT » retentissant et provocateur.
Ce petit livre risque de déplaire à bon nombre de gens, mais
elle assume.
Et nous, du coup, nous nous amusons…autant que nous
réfléchissons. Coup double !
P. Laranco.
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