Cet ouvrage, qui compte 255 pages, est un ouvrage collectif
rassemblant un ensemble de textes écrits par une équipe de chercheurs
spécialistes de la colonisation française (outre les deux auteurs
susmentionnés, y ont participé Olivier BARLET, Gilles BOËTSCH, Sylvie CHALAYE,
Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Eric DEROO, Gilles MANCERON, Alain RUSCIO, Steve UNGAR
et Françoise VERGES).
De ces textes, de ces analyses et de ces recherches, il ressort
clairement que l’identité française est indissociable du fait colonial, et que
c’est autour de celui-ci et grâce à celui-ci qu’à partir de 1830 (conquête de l’Algérie)
et surtout de 1871 (lendemains de la défaite, humiliante, devant la Prusse et
de la perte de l’Alsace-Lorraine), ladite identité a achevé de se cimenter et
de prendre sa forme définitive.
En tant que peuple, le peuple français, de tempérament plutôt « terrien »,
n’a, au rebours de la Grande-Bretagne, jamais éprouvé d’intérêt particulier
pour l’Outre-mer, pas plus qu’il n’a eu de vocation coloniale particulièrement
marquée (mis à part le cas du Québec, il ne fut guère porté à l’émigration
massive et à la colonisation dite « de peuplement »). Telle qu’elle a
été menée aux XIXe et XXe siècles (jusqu’aux années 1930), l’entreprise coloniale française
résulte, de toute évidence, d’une volonté d’état, d’une volonté d’élite, en
lien avec des conditions historiques.
Ainsi s’éclaire le fait (pour le moins mystérieux, paradoxal)
que l’inconscient collectif français soit – et demeure – si attaché à l’idée de
« colonisation positive » ou, lorsque ce n’est pas le cas, soit
frappé par une amnésie coloniale qui
peut paraître étrange.
On réalise, à travers la lecture de cette série d’études, à quel
point, aux XIXe et XXe siècles, la construction d’une véritable (et solide)
légitimité coloniale française s’est officiellement articulée autour des
notions (droit issues de l’esprit des Lumières) de progrès humain, de
civilisation magnifiée (en particulier, par la référence à l’Empire romain et
même à la Grèce antique) et d’humanisme ( l’abolition de l’esclavage ayant
servi, à Madagascar et dans les pays d’Afrique noire musulmane, de prétexte
direct à l’entreprise coloniale).
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en 1931, date de la fameuse Exposition
coloniale de Paris montée au Bois de Vincennes, la totalité de l’opinion
publique française était acquise à l’idée d’Empire colonial, suite à une
véritable entreprise de propagande qui, dans cet ouvrage, est parfaitement mise
au jour (organisation de nombreuses expositions et conférences dans tout l’hexagone,
presse, radio, cinéma, enseignement scolaire, affichage publicitaire, action
déterminante de l’Agence générale des colonies, mais également ethnographie). Nous voyons là combien il
s’agissait de façonner une identité
nationale autour de la foi en une France unique, grande nation civilisée et
propagatrice des idéaux républicains. L’état détournait les hexagonaux de
leurs clivages sociaux, politiques, voire ethniques (Basques, Corses, etc.) en
les tournant vers l’Outre-mer, ce fabuleux projet commun. Tout Français
devenait, de la sorte, un aventurier
potentiel, doublé d’un sauveur et d’un magister.
Il va de soi (en toute logique) qu’en face, la culture du « sauvage »
ne pouvait pas avoir la moindre valeur.
Voilà qui favorisa, bien sûr, l’émergence, en France (dans une France
où l’accès à l’école et à ses manuels scolaires très colonialistes se démocratisait
de plus en plus) d’un racisme populaire
encore entretenu et conforté par les stéréotypes créés au XIXe siècle par l’autorité
scientifique des anthropologues et autres ethnographes ainsi que par les
premiers coloniaux, qui reposaient sur une authentique hiérarchie raciale : le « Jaune » discret et
industrieux, produit de vieilles civilisations raffinées mais à jamais déchues,
l’ « Arabe », lui aussi déchu, agressif, fier et fourbe…et puis le clou du tableau, l’Africain noir, rigolard, bienveillant, sensuel mais
benêt, entre son Y’a bon de brave
tirailleur sénégalais des tranchées et sa ceinture
de bananes façon Joséphine BAKER.
Ici trouve-t-on les fondements de la supériorité et donc, de la suprématie
(incontestable) de la race blanche.
Il est bon d’insister là-dessus : il y eut une taxinomie des populations coloniales, du
Kanak au Kabyle.
En théorie, le devoir du colonisateur était de « civiliser »
et donc, d’assimiler l’indigène, de le « convertir » à son mode de
vie et de pensée. Impératif qui donne lieu à un double discours particulièrement vicieux, puisqu’en même temps, les
colons redoutaient la « bougnoulisation » et le mélange (incarné par
la figure dérangeante du métis, objet de suspicion sommé de s’assimiler le plus
vite possible - enfin, quand il était quarteron
de préférence). L’assimilation devait se faire, elle se ferait, mais « on
avait le temps », « rien ne pressait », en quelque sorte. Il ne
fallait pas qu’elle se fasse trop vite (en dehors d’une petite frange), car cela
aurait automatiquement supprimé la raison même d’être (officielle) de l’occupation
coloniale, et, avec celle-ci, du sentiment
de la puissance, de la supériorité françaises.
En l’Asie, en l’Afrique (qu’elle soit « blanche » ou « noire »)
et en l’Océanie, les Français prétendaient voir des sortes de « réservoirs »
d’obscurantismes (sociaux et religieux) qu’il leur fallait éclairer des
Lumières de la Raison. La colonisation était, dans cette optique, en somme, vue
comme une continuation du combat révolutionnaire de 1789 !
Nous mesurons donc ici à quel degré la colonisation fut vécue, à
cette époque, en France, comme « décomplexée ». Non seulement elle
était présentée comme un « bien », un « service » majeur
que l’on rendait à ces (nombreux) peuples, mais encore, surtout après la Grande
guerre et grâce à l’utilisation croissante des médias de masse, on l’enrichissait
d’une dimension de divertissement, de
rêve ; On pourrait dire que c’est avant tout « innocemment » que se
diffuse l’imaginaire colonial […]. Cela peut probablement éclairer notre propre
embarras à déconstruire aujourd’hui [en
France] cette culture polymorphe […].
Quand on comprend cela, l’on comprend beaucoup de choses tout à
fait actuelles, tels que le refus de toute « repentance », le « devoir
d’ingérence » prôné par le « French doctor » héros de l’action
humanitaire Bernard KOUCHNER, les interventions récurrentes de l’armée
française dans divers pays d’Afrique francophone sous d’innombrables prétextes,
le refus (non assumé) d’ « intégrer » la jeunesse française d’origine
maghrébine, l’extrême crispation sur la « laïcité » couplée à l’extrême
dramatisation du port du voile par des femmes de confession musulmane, la
persistance des stéréotypes et mythes liés à l’aventure et à l’exotisme
(fréquemment érotisé, au reste), toujours aussi véhiculés par les médias…sans
oublier cette hantise (nouvelle venue) du « communautarisme »
assortie d’une exaltation sans précédent du « métissage » et du « Vivre
ensemble » portée principalement par les Bobos et les pouvoirs publics.
Qu’on le veuille ou non, Le
passé colonial colle au présent […].
Sortir du double discours
ne ferait-il pas déjà aux Français un bien immense ?
Un ouvrage tel que celui-ci, en tous les cas, est à saluer.
P. Laranco.
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