Les désirs et les passions déforment le monde.
L’abondance rend les gens orgueilleux, égoïstes. Plus on a, plus
on veut ; plus on se focalise sur ses propres besoins de sécurité et de plaisir ; moins on
supporte les privations, les contraintes et…les partages.
Alexis de Tocqueville ne s’était pas trompé : « Je
vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos
sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils
emplissent leur âme . Chacun d’eux retiré à l’écart, est comme un étranger à la
destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment
pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens,
il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les
sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul […] ».
Quelle analyse prophétique ! En lisant ces mots, je crois
voir, devant moi, le portrait de la foule que je croise dans le métro parisien
chaque jour ; j’identifie la figure du bobo, du « middle-class man »
dans toute son inconscience et dans toute sa « splendeur » nantie,
sécure, naïve, pleine de suffisance plus ou moins affichée.
Il parait que ce serait là la marque du triomphe de la
démocratie ; qu’elle éloignerait, neutraliserait le spectre de la
Révolution ; qu’elle constituerait le fin du fin, l’achèvement de la « sagesse
des peuples ».
Sauf qu’en définitive, la logique de cet idéal d’embourgeoisement
massif, de nivellement par l’abondance finit elle aussi par menacer d’annuler
la démocratie vraie. Comment voter, comment s’engager dans des partis, des
associations dès lors qu’on ne se sent plus concerné par le collectif, par les plus vastes horizons ?
Quelle autre solution que de laisser le pouvoir, la responsabilité, l’ « engagement »
aux mains d’une toute petite caste de « spécialistes de la gouvernance »,
le plus souvent des technocrates ?
Et puis, avec la mondialisation, le problème des oppositions,
des luttes de « classes » ne fait que se reporter. Il prend désormais
la forme d’un contraste, d’une opposition entre pays et continents pauvres (dits
« du Sud ») et pays et continents riches et « développés » (dits « du
Nord »). Entretenir l’abondance idyllique, pléthorique, monstrueuse de certains, de ceux qui ont pu se frayer un
chemin vers ce système proposé en idéal au monde entier pille les ressources de
l’ensemble de la planète. Si l’ensemble de l’humanité accède à un pareil
niveau, qu’en sera-t-il de l’équilibre écologique, déjà fort fragile et fort
mis à mal ? On n’ose, bien sûr, y songer. Sans compter que les besoins et
désirs donnent souvent – si ce n’est
toujours- lieu à un « effet boule-de-neige » : le progrès s’emballe
et ses exigences matérielles avec lui ; la demande devient insatiable…
Les classes moyennes et bourgeoises de tous les pays – et, en
particulier, bien sûr, celle des pays prospères du G8 – vivent comme si tous
ces dangers-là n’existaient pas, en « faisant l’autruche ». C’est
logique : tout ce qui n’apporte pas le bonheur, le plaisir, est à
proscrire, à écarter.
Mais qui paiera la note de tout cet égoïsme, de tout cet
hédonisme ?
Cet individualisme décrit par Tocqueville a quelque chose de malsain,
de dangereux. Il ne fait que rétrécir l’horizon de milliers, de millions de
personnes, qui ont pourtant tout pour « penser », pour être davantage
conscientes, pour se comporter de façon plus « éclairée », plus
adulte. Il contrecarre, voire il annule les effets libérateurs pour l’être que
pourrait (s’il était bien utilisé) avoir le progrès technologique dans sa
dimension de vecteur de circulation de l’information.
On s’ « amuse », oui…mais ne danserait-on pas, en
fait, sur un volcan ?
Chez l’Homme, énormément de choses s’expliquent par son
mimétisme.
Chaque phénomène a une multiplicité d’explications, selon l’angle
que l’on a adopté pour l’aborder et selon la grille d’interprétation qu’on lui
applique.
Exemple : la perception de l’artiste n’est pas celle du
mathématicien et/ou du scientifique, pas plus qu’elle n’est celle du
philosophe, du sociologue ou de l’économiste. La « pensée » humaine a
acquis un caractère foisonnant qui, à présent, fait qu’on en cherche en vain l’unification
ultime.
C’est l’un des facteurs qui font que tout « absolu »
de la connaissance se trouve voué à l’échec.
Plus les neuroscientifiques creusent le fonctionnement de notre
cerveau, plus ils s’aperçoivent que celui-ci « décide » de ce qu’il
va percevoir, et de comment il le percevra. La conscience humaine ne serait
ainsi qu’une question de « sélection », de « volonté » - au
reste inconsciente – de percevoir, de se souvenir, etc.
La gloire rend prétentieux et le pouvoir, mégalomane. Ce sont
tous deux des tours d’ivoire.
Un éducateur, cela a toujours plus ou moins le mauvais rôle,
dans la mesure où ça a souvent la tâche ingrate d’empêcher celui/ceux qu’il
éduque de faire, ou d’avoir tout de suite ce qu’il/ils désire(nt).
L’art est fou. D’une folie qui part dans tous les sens.
Et c’est là la meilleure de ses qualités.
C’est sa complexité qui fait de chaque Homme un être éminemment « précieux ».
En effet, pour connaitre en sa totalité un être humain, une
seule existence, voire peut-être même plusieurs, n’y suffirai(en)t point.
Si l’on y réfléchit bien, nous pourrions, toutes et tous autant
que nous sommes, aisément être comparés à ces montagnes de glace qui flottent
dans les eaux polaires : une partie émergée, ne représentant qu’un seul
tiers de l’ensemble, tout le reste se trouvant immergé au-dessous de la ligne
de flottaison et donc, invisible.
Chaque mort d’un proche est, pour nous, occasion de nous
questionner : « qu’ignorais-je de lui, ou d’elle ? – jusqu’à
quel point le/la connaissais-je dans le plein sens du terme ? – qu’est-ce
qui de lui/d’elle, m’a échappé, m’est resté opaque, impénétrable ? ».
Autre mystère – qui revient, d’ailleurs, au même : lorsque
nous songeons à notre propre « départ » : « quel souvenir
leur laisserai-je ? Dans quelle mesure ne sera-t-il pas distordu,
incomplet, tronqué, réducteur ? ».
Car, tout aussi bien, nous sommes, tout au long de notre vie, les
proies des miroirs déformants que nous sont nos semblables.
L’idée que les femmes rendent le monde plus humain et plus
habitable, développée notamment dans le mythe de La Belle et la Bête, est tout sauf absurde. Un tel
scénario ne s’observe-t-il pas déjà chez deux groupes de grands primates plus « primitifs »
que nous mais très voisins du nôtre, sans doute très proches par leur
organisation et leur mode de vie du mode de vie qui devait être celui de nos
lointains ancêtres – je veux parler des chimpanzés et des bonobos, chez
lesquels les femelles, en sus de leur fonction d’élevage des jeunes, semblent exercer
un rôle marqué dans l’arbitrage des conflits, dans la régulation des tensions
et, donc, dans la pérennité du groupe de singes ?
L’origine de toute société n’est-elle pas à trouver, avant toute
autre chose, dans la force du lien existant entre le jeune primate et sa mère ?
Qu’eut été le monde humain laissé à la seule violence de la testostérone ?
Serions-nous seulement encore là, en ce moment même, pour en parler ?
La misogynie est la manière qu’ont trouvée les jeunes garçons
puis les hommes de se souder entre eux et de se sentir exister collectivement.
Les hommes ne demandent pas aux femmes de participer à la
culture. Ils leur demandent juste de les admirer et de les soutenir. De s’
« oublier » totalement pour eux,
dans une sorte de continuation de ce qu’elles font tout naturellement pour leur
progéniture.
Exactement comme si, somme toute, ils n’avaient pas réussi à
grandir !
Il faut sortir de ce système mental qui associe la femme aux
forces de la nature et l’homme à tout ce qui est d’ordre culturel.
Chacun, désormais, doit s’habituer plus ou moins à vivre dans un
monde où personne ne l’aimera jamais assez pour abdiquer les prérogatives de
son propre moi pour lui.
L’immobilisme d’une
société, ses lourdeurs comme ses consensus, ce n’est souvent qu’une question
toute bête de lâcheté, ou de fatigue.
Œuvrer pour que le monde devienne meilleur, cela demande un
effort. Et non des moindres.
Il y a un mot avec lequel la France, dans le fond de son âme,
semble fâchée, c’est le mot « pluralisme ».
Eradiquer toutes les différences en « éduquant » le
bon peuple à la façon de l’Eglise catholique romaine, de l’Etat royal bâti par
Philippe-Auguste, Louis XI et Louis XIV ainsi que par les Jacobins porteurs de
l’universalisme chauvin (étrange, d’associer ces deux mots-là, n’est-ce pas ?)
des Droits de l’Homme, c’est l’alpha et l’oméga, la raison d’être de la « mystique »
française, dont les piliers sont l’humanisme et une morgue de « peuple élu ».
La France a, en un certain sens, horreur de la démocratie. Ne doit-elle pas sa
naissance à sa sacro-sainte « Histoire », qui fut d’éducation dans l’éradication ?
Des « réactions » telles celles de Napoléon, de Pétain
ou de la « lepénisation » actuelle des esprits hexagonaux n’ont rien
d’étonnant, dans un tel contexte. « Rassurer » les Français, c’est
leur donner ou leur restituer un Etat fort, monolithique, qui maintienne la
rigidité des traditions et des repères bien établis.
A bien des égards, l’identité nationale française repose sur un
lourd substrat royal, bourgeois et catholique, lequel s’accommode très mal des
mutations et bouleversements où se trouve entraîné le monde actuel.
Il y a, incontestablement, un poids d’histoire et de tradition
qui leste ce pays, où la tentation de « faire l’autruche », de jouer
à l’île, de faire retraite vers la nostalgie et autres cultes passéistes (et
dépassés) est toujours étonnamment forte.
Il est tellement difficile de se connaître, de se reconnaître !
Comme nous éprouvons, tout d’abord, l’impérieux besoin de nous
aimer, d’entretenir une bonne opinion de nous-mêmes, nous aimons à penser que
nous sommes au-dessus de toute remise en cause, de toute critique. Nous
détestons, dans notre évaluation de nous-mêmes, avoir à prendre en compte nos
propres travers, nos propres carences.
Nous voulons paraître à notre propre avantage à nos propres
yeux. Aussi minimisons-nous, quand d’aventure, nous y pensons, frénétiquement l’effet
de nos faiblesses, de nos manques, de nos sales habitudes, de nos tendances
défectueuses et négatives de tout poil pour ne garder à l’esprit que les
tendances qui nous flattent, qui sont le plus à notre honneur.
A force de vouloir être parfaits, nous croyons l’être – ce qui
est absurde.
P. Laranco.
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