Chair fongique, molle,
avachie des villes humides. Résistance distribuée par masses, par tumeurs. Par
excroissances, grappes adipeuses qui suintent. Ou lobes d'aspect membraneux,
caoutchouteux.
On creuse. On repousse.
On joue de l'épaule. Sans fin. On avance CONTRE l'inertie, le poids mort.
On se fraye un chemin
dans le papier mâché...dans le carton-pâte ravaudé par la pluie.
On s'asphyxie.
On cherche l'oxygène.
L'air. On ne rencontre jamais au mieux que le feutre.
Fondamentalement, les
villes sont moussues. Leur chair a une odeur viandée de plante carnassière.
Si elles sont
duveteuses, ne vous y trompez pas, c'est à la manière des moisissures bien
charnues.
Elles ont accumulé trop
de vie dans leur chair. Trop d'encre à l'intérieur de leur grand corps de
pieuvre.
Leur gélatine tremble en
un bruit de succion. C'est qu'elles sifflent, aspirent tous les sucs de
l'entropie.
Elles se nourrissent
d'accumulations. D'échouages. De longs sédiments gras successifs, qui
obstruent.
Et cela fait qu'on n'y
trouve pas son chemin. Qu'on y erre...comme pour s'en désenliser. Qu'on y
tatoue de vastes mouvements spiraux qui durent.
Tout y est menacé par
l'encre de la pluie. Par les corps batailleurs des nues groupées par trains
comme autant de cyclopéennes larves ocrées - ou d'éponges pressées qui
dégorgent en fumant.
L'on ne sait pas,
finalement, si la ville est de boue, si la ville est de ciel, si la ville est
d'éther.
L'encre grimace. Entre
bleu-veine et lie-de-vin. La bourbe, la tourbe des villes nous malaxe. Sol,
ciel. Sol et ciel, comme deux lèvres cousues. A la mesure du piétinement. Qui
rôde.
A la faveur de
l'itinérance. Qui force. Comme si elle n'était qu'une paire de forceps.
Matière. Glu. Pluie.
Trains. Masses. Chemin flétri.
Rues au flanc huileux et
trop lisse d'anguille.
Spermatozoïdes
fourmillants du futur.
Ovules ovales emplis de
nutriments qui tonnent.
Veinules où le mercure
va, vient; monte et descend.
Sceaux de néon apposés
drus, sur la peau qui plisse...qui passe. Lasse.
Remous. Frissons.
Puisant leur raison d'être en l'inertie des chairs; en leur résistance effrénée
de viande effondrée sur sa propre pulpe.
Les villes ressemblent
aux lourds lacs de bitume; elles ont les mêmes clapotis. Elles sécrètent,
poussent toujours, à la surface, les mêmes bulles noires, qui éclatent.
Elles sont au point de
contact, de frottement entre deux luttes, antagonistes. Elles drainent la lutte
de la mobilité. Contre le poids. Et celle-ci les sculpte. Celle-ci les macule,
car elles retournent toujours, en dernier ressort, à la glaise grasse. Demeurent toujours fidèles à
la paresse saurienne, originelle des alluvions.
Les villes ont quelque
chose de géologique, de grumeleux, d'organique qui nous damne. Tant leur molle
épaisseur avachie que leurs durs et vilains lambeaux de croûte épars induisent, pour peu qu'on y regarde
plus attentivement, tout un élan, fragile et presque délicat, de
précarité, d'imprévisible vivacité, de
fulgurance. Et cet élan, cet élan réactionnel, ce vif-argent rétif court, se
propage, frétille à travers leur structure la plus intime, en flagelle fou. En
colonne vertébrale secrète, palimpseste que l'on n'arrive pas à suivre...
Patricia Laranco.
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