mardi 4 mars 2014

Un texte de Patricia LARANCO, PIÈGE.

Chair fongique, molle, avachie des villes humides. Résistance distribuée par masses, par tumeurs. Par excroissances, grappes adipeuses qui suintent. Ou lobes d'aspect membraneux, caoutchouteux.
On creuse. On repousse. On joue de l'épaule. Sans fin. On avance CONTRE l'inertie, le poids mort.
On se fraye un chemin dans le papier mâché...dans le carton-pâte ravaudé par la pluie.
On s'asphyxie.
On cherche l'oxygène. L'air. On ne rencontre jamais au mieux que le feutre.
Fondamentalement, les villes sont moussues. Leur chair a une odeur viandée de plante carnassière.
Si elles sont duveteuses, ne vous y trompez pas, c'est à la manière des moisissures bien charnues.
Elles ont accumulé trop de vie dans leur chair. Trop d'encre à l'intérieur de leur grand corps de pieuvre.
Leur gélatine tremble en un bruit de succion. C'est qu'elles sifflent, aspirent tous les sucs de l'entropie.
Elles se nourrissent d'accumulations. D'échouages. De longs sédiments gras successifs, qui obstruent.
Et cela fait qu'on n'y trouve pas son chemin. Qu'on y erre...comme pour s'en désenliser. Qu'on y tatoue de vastes mouvements spiraux qui durent.
Tout y est menacé par l'encre de la pluie. Par les corps batailleurs des nues groupées par trains comme autant de cyclopéennes larves ocrées - ou d'éponges pressées qui dégorgent en fumant.
L'on ne sait pas, finalement, si la ville est de boue, si la ville est de ciel, si la ville est d'éther.
L'encre grimace. Entre bleu-veine et lie-de-vin. La bourbe, la tourbe des villes nous malaxe. Sol, ciel. Sol et ciel, comme deux lèvres cousues. A la mesure du piétinement. Qui rôde.
A la faveur de l'itinérance. Qui force. Comme si elle n'était qu'une paire de forceps.
Matière. Glu. Pluie. Trains. Masses. Chemin flétri.
Rues au flanc huileux et trop lisse d'anguille.
Spermatozoïdes fourmillants du futur.
Ovules ovales emplis de nutriments qui tonnent.
Veinules où le mercure va, vient; monte et descend.
Sceaux de néon apposés drus, sur la peau qui plisse...qui passe. Lasse.
Remous. Frissons. Puisant leur raison d'être en l'inertie des chairs; en leur résistance effrénée de viande effondrée sur sa propre pulpe.
Les villes ressemblent aux lourds lacs de bitume; elles ont les mêmes clapotis. Elles sécrètent, poussent toujours, à la surface, les mêmes bulles noires, qui éclatent.
Elles sont au point de contact, de frottement entre deux luttes, antagonistes. Elles drainent la lutte de la mobilité. Contre le poids. Et celle-ci les sculpte. Celle-ci les macule, car elles retournent toujours, en dernier ressort, à la  glaise grasse. Demeurent toujours fidèles à la paresse saurienne, originelle des alluvions.
Les villes ont quelque chose de géologique, de grumeleux, d'organique qui nous damne. Tant leur molle épaisseur avachie que leurs durs et vilains lambeaux de croûte  épars induisent, pour peu qu'on y regarde plus attentivement, tout un élan, fragile et presque délicat, de précarité,  d'imprévisible vivacité, de fulgurance. Et cet élan, cet élan réactionnel, ce vif-argent rétif court, se propage, frétille à travers leur structure la plus intime, en flagelle fou. En colonne vertébrale secrète, palimpseste que l'on n'arrive pas à suivre...


Patricia Laranco.

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