Ce soir
d’été, je vois un fantôme. Il n’est pas visible et n’a pas de corps. Il ne
porte rien et ne dépose aucun souffle. Il n’a pas de bouche et sans yeux, il ne
me regarde pas. Sa présence est indiscernable de tout ce qui m’entoure.
La porte
est fermée, il ne peut la toucher. Le fantôme ne se déplace pas et ne traverse
aucun mur. Il n’est nulle part.
Ce soir
un fantôme. La nuit est tombée prématurément à cause des nuages et de l’orage
qu’on n’entend pas. Il pleut quelque part au loin, là où le son des gouttes est
réconfortant. Il n’a pas d’odeur, elle est indiscernable des odeurs qui m’entourent.
Le fantôme
est là, en pleine nuit. Le son du drap et de mes mains qui se rencontrent est
comme retransmis par une enceinte. Décalé. Cet espace et le fantôme. Il n’a pas
de taille et ne se mesure en rien.
A l’aube
s’effleure le temps, un lieu d’infini. Entre le regard et la main, le parfum du
tatami est en dehors de lui. Le fantôme se retire. Il n’a pas de couleur, elle
est indiscernable du bleu et il n’est pas bleu.
A l’aube
l’espace s’élargit ; des fleurs apparaissent sur le balcon. Des fleurs
apparaissent si j’ouvre les yeux.
Dans
le noir des paupières, elles sont là, contenues dans le regard.
Le mot
fleur crée une couleur qu’on ne dit pas.
Je
vois un fantôme et l’aube ouvre ma main. Rien d’autre qu’elle-même ne s’en
trouve libéré. Les doigts dépliés et la porte fermée, les nuages sont lents. Le
temps d’une fenêtre dure le temps d’un regard. Dans le noir des paupières, l’espace
se répète confiné. Le fantôme n’y voit pas plus.
L’aube
arrête le temps, le temps arrête l’aube et la porte se rapproche de mon corps
levé.
Un torrent
porté par le son du torrent, je l’entends si je regarde ma main. Ma main porte
le torrent, je l’entends si je regarde mon reflet.
L’eau
parle son chemin, dans les gouttes se sont glissées les couleurs des fleurs de
la rive. Un avion est petit et il fait moins de bruit. Le fantôme ne l’entend
pas.
La fraîcheur
de la cascade s’élargit sans cesse sans aller jamais plus loin. Elle ne touche
pas la cascade et se plaque sur mes joues. L’herbe se plie au moment même où les
pieds s’y posent, le temps s’en accommode. La peau vive a cerné le fantôme. Il
ne peut pas être proche et il n’est pas loin. Sa présence est indiscernable du
vent.
Un monde
plat et paisible, silencieux de nuit. Les vaches et les tracteurs y sont comme
de petits objets posés sur le plateau. Une table sans nappe sur laquelle l’herbe
a poussé et où un personnage solitaire en rouge et bleu marche sur la route. Le
repas est servi dans des assiettes minuscules. Tout a été disposé sans
contrainte : le circuit électrique fonctionne et la nuit les fenêtres
jaunissent et la route est parsemée de formes arrondies et diffuses de lumière.
Tout
se tait. J’imagine en mon corps un cri sans imaginer son bruit. Mon corps ma
maison, mon cœur ma cheminée sans fumée. Le cri contient les organes, une
caresse et toujours pas de bruit. Il emprunte les chemins intérieurs en étoile,
jusqu’aux reculées des mains et des pieds. D’ici coulent les étroites rivières
glacées à leur source. Dans la forêt des cheveux il fait plus sombre que dans l’étable
des songes. Des bribes d’étoiles étincellent au vent. Ici à l’orée du bois, accroché à l’arbre sans tronc, je contemple le vaste monde, la tête du fantôme
sur mon épaule. En lacé de ma solitude, quatre yeux multiplient les lumières,
où sont les autres ?
Laurent HILI.
In revue Les livrets littéraires, N° 3, 2017
Les livrets littéraires,
25 rue des Envierges
75020 Paris (France)
Contact : par courrier, Laurent Hili, à la
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