J’adore la façon dont il regarde notre monde : pour lui,
rien ne va de soi étant donné sa différence, et il interroge tout, sans le
moindre apriori, d’une manière aiguë et particulièrement profonde.
C’est un « autiste Asperger » et, en tant que tel, il
ne « prend pas de gants », arrive très mal à « arranger la
vérité », ce qui ne l’empêche pas d’être subtil.
Il a compris que l’être humain était, d’abord, un être de
mensonge (et d’auto-mensonge), de comédie
et de phobie de toute différence qui, la plupart du temps, parle pour ne pas
dire grand-chose, si ce n’est pour « remuer de l’air ».
Caché derrière son retrait, ses « bizarreries » plus
ou moins prononcées, il surprend tout, analyse tout, et pas grand-chose ne lui
échappe.
Il semble « protégé », autant par son intelligence
brillante que, paradoxalement, par son inadaptation à notre fonctionnement
sociétal, dont (contrairement à ce dont sont convaincus les médecins et autres
soignants, spécialistes), il ne
souffre guère (là-dessus, il est catégorique). Il scrute notre « comment
peut-on être Persan ? », si lourd que celui-ci soit, avec une ironie
non feinte. Il ne se fait d’illusion sur rien, et, bien souvent, son humour,
omniprésent, a le pouvoir de nous désarçonner quelque peu.
Il récuse les définitions, les diagnostics, les certitudes qui,
certes, donnent des balises mais sont, par ailleurs, terriblement réducteurs
et, cela va de soi, partiels, provisoires, incomplets (Je me méfie des théories qui voudraient réduire l’être humain à un
mécanisme d’horlogerie. Je crois que l’être humain est beaucoup plus composite,
en mouvement. Ne l’enfermons pas, ne nous enfermons pas dans une case. Il nous
en manquerait une.). Il se refuse donc totalement à catégoriser son « cas »
et - pas plus que les savants et médecins, d’ailleurs, en dernier ressort - ne
sait vraiment quelle est la nature exacte de « l’autisme » - ni même
s’il existe bel et bien une nature de l’autisme.
Certaines gens, sans être catalogués autistes, même Asperger,
sont porteurs de traits autistiques assez forts (centres d’intérêt
obsessionnels, pédantisme monologueur, focalisation sur le détail, minutie et
perfectionnisme poussés à l’extrême, attachement à une routine stricte, fuite
ou maladresse sociales, difficile compréhension des codes sociaux et de la psychologie courante compensée par une
logique un peu trop développée…).
Au travers de cet ouvrage, de ce témoignage, nous comprenons en tout cas combien la modernité, qui
se veut, à bien des égards, si « humaniste », peut simultanément se
montrer normative, voire normalisatrice.
Certains propos qu’y tient Josef SCHOVANEC me ramènent à la démarche d’un Michel FOUCAULT (Histoire de la folie à l’âge classique, Surveiller et punir). Il est bien vrai
qu’au fil des siècles (très exactement à partir du XVIIe siècle), en Europe
occidentale, le désir d’ordre assorti à l’émergence de la rationalité scientifique
qui a construit l’état moderne s’est mis à « encadrer » de plus en
plus sourcilleusement tous les types de marginalité, qui se virent l’objet d’une
exclusion de mieux en mieux organisée.
Comme on pouvait s’y attendre de la part d’un autiste dit « de
haut niveau », Josef Schovanec, qui passe sa vie dans les livres, est
encyclopédiquement cultivé.
Cependant, à rebours de ce qu’on attribue – un peu trop
systématiquement ainsi qu’il le souligne – aux gens de sa sorte, il est fin
observateur des diverses (et multiples) comédies
humaines et son esprit nous frappe de par l’étendue de sa curiosité, de son
ouverture. Il a une conscience aiguë de la complexité de l’être humain, ainsi
que de la spécificité de chaque individu.
A mes yeux, il fait partie de ces personnes (hélas, trop rares)
que je serais vraiment honorée de rencontrer. Mais ne l’ai-je pas déjà « rencontré »
par l’intermédiaire de cet ouvrage ?
P. Laranco.
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