lundi 22 janvier 2018

Un beau texte du jeune haïtien Peter CENAS.



Pieds nus dans le sable. Un foulard d’étoiles fauves autour de mon cou. Libre. Sans défense. Je m’allonge à travers des épis de rêves brûlés trop tôt. Je m’allonge solitaire dans le noir, tissant le reste de mes espoirs en larmes sur les murs vétustes du ciel. Je ne suis plus moi-même. Mon essence est livrée aux vagues et à la noirceur. 


J’aurais pu être créateur de rêves, courant partout dans les champs féeriques de l’enfance. Je n’aurais pas dû être dispersé aux quatre points cardinaux. Je n’aurais pas dû être cette froideur. Ce soleil terne, cloitré au milieu d’un spectacle de plis. 


Je porte désormais des flocons de neiges dans mes yeux pour noyer les images dont je pense avoir peur. Elles me sont aujourd’hui trop intimes et trop liées à mes blessures. 


Je ne me fais plus de promesse. Je m’allonge simplement dans la brume, ne donnant pas de mes nouvelles à la terre qui semble être en chute libre depuis hier. À travers des passerelles poussiéreuses, je me contente de crier. Simplement. Je crie pour dévêtir le jour, et brûler ses vêtements de flots trop lourds à porter. Je crie à m’en briser les cordes vocales, et les voix des opprimés semblent rejoindre ma complainte. 


Pourtant, je ne danse pas… ne chante pas non plus. C’est l’espoir qui donne à mes cris une allure de musique. Une musique comme ça, n’ayant aucune vibration : vague. Coagulée. 


On m’a dit une fois : pleurer, c’est arroser. Pourquoi arroser l’incertitude ? Le désespoir ? Quand je tente de pleurer, je me sens en baisse. Je n’ai plus d’énergie. Alors que crier, c’est bousculer les angoisses de la vie. Il m’arrive d’arranger quelques fragments de mots. Mais je finis toujours par les éparpiller dans les cheveux de tous les passants, marchant silencieux dans la nuit. 


Je marche aussi. Je monte. Je descends… remonte… redescends aussi. Comme tout le monde. La vie est un long et interminable escalier. C’est un peu comme une queue de dragon : longue, brûlante. Mais personne ne voit rien. Car le jupon du temps balaie tous les jours dans le sable la trace de nos pas. 


Je m’interpelle. Parfois. Mais le feu qui circule dans mes veines me transforme en cris vertigineux. 


Alors je glisse sur la nuque du temps sans même laisser une trace capable de parler de moi après mon passage dans la vie. Mais je m’en fous ! La vie est un cillement d’yeux et la mort, une éternité. Moi, je me contente de flâner au milieu des algues, me racontant mon histoire et celle des autres. 


L’histoire de l’homme n’est que soupirs masqués et quelquefois, sourires déguisés. C’est pourquoi je n’aime pas faire semblant de rire. Je préfère crier quand le soleil se glisse dans ma poche. Le sourire en soi, c’est un aveugle qui cherche son chemin sur mes joues larmoyantes, quand des bribes de tristesse s'entrecroisent dans mes poumons. 


Je n’aime pas parler aux gens non plus, parce que les paroles sont parfois des ballons de larmes. Je préfère le silence. Comme ça, j’entrerai dans la mort en sens inverse. . . 


La mort est un vent solitaire ; elle m’a promis une fois de me ramener à mon enfance. C’est aussi ce voyage qu'on fait dans des vaisseaux d'ondes silencieuses ; un peu comme ce souffle qui voudrait fuir brutalement bien avant qu'on l'ait surpris sur sa langue. Mais fuir n’est rien. Du moins, une façon simple de rejeter la faute. De ne rien assumer. Fuir, c’est parfois oublier. Oublier des visages. Oublier des regards. Oublier des blessures. 


Solitaire dans la nuit. Je marche, versant de l'eau fraîche au fond des pupilles de la terre, à chaque virage, à chaque carrefour, où des ombres se dessinent sur les arbres, sur les murs et sous les ailes du vent. Froid. Salé. Il n'est pas question que je t’oublie. Toi. Vent du Sud. 


Je ne t’oublie pas non plus, ma part d’animal. Tu m’aides à tenir jusque-là. 


Avant, je n'avais qu'une mallette sous mon épaule gauche et un chemin inconnu, longé à mes pieds. J'étais seul. Faible. Errant au milieu des arbres trop vieux pour pleurer. Les adultes n'aiment pas pleurer aux heures trop ensoleillées. Une larme d'adulte a beaucoup trop de choses à dire pour être brûlée au soleil comme ça. Alors je ne pleure pas. Mais je n’oublie pas mes regrets, mes doutes et mes blessures. Tout ça m’aide un peu à faire mine de vivre le jour avec courage, même si la douleur me consume la nuit. C'est une façon de voir les choses. À un certain âge, c'est comme ça : on doit savoir encaisser en silence. Mordre son oreiller et ne pleurer que tout bas dans le silence de sa chambre. 

















Peter NAS 
In  Les insomnies de mon âme. 

















©





2 commentaires:

  1. "À un certain âge, c'est comme ça : on doit savoir encaisser en silence. Mordre son oreiller et ne pleurer que tout bas dans le silence de sa chambre".
    Pourtant je remercie la poesie
    qui donne voix a tes inaudibles cris;
    A la muse qui donne des ailes aux conditions desenchantées de la vie;
    A ce texte qui met en relief les doutes, l'incertitude, le désespoir, les cas déplorables, mais aussi la force de poursuivre, quoiqu'il advienne, surmontant tant bien que mal les vicissitudes qui nous servent de panoplies...

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  2. Merci pour la beauté de votre commentaire !

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