samedi 17 février 2018

Un portrait de L’ÉCRIVAIN COLONISÉ, brossé par le Mauricien Umar TIMOL.



L'écrivain colonisé occupe cet espace de la parole qui est paradoxalement celui du silence. Cette parole, qu'il dompte parfaitement, dont la verve est éblouissante  ( il ne s'agit pas de douter de son talent, il est incontestable ) est une parole mesurée et censurée. Il en est ainsi parce que le colon la cantonne dans cet espace aux frontières précises et bien définies. L'écrivain colonisé sait distinguer, avec beaucoup de perspicacité, entre le permis et l'interdit. Ainsi la parole au-delà de ces frontières freinera radicalement sa carrière sinon le vouera aux gémonies. Il lui est, cependant, permis une posture convenue de la révolte, il peut se faire le porteur de certaines causes ou même critiquer le colon. Mais il sait quand et où s'arrêter. Ce couteau, le sien, effleurera délicatement la chair du colon, y laissera son souffle mais ne s'y enfoncera jamais. On pourrait considérer que l'écrivain colonisé est un clown, ses gesticulations pour critiquer le colon ne font que confirmer l'essentiel, sa dépendance à son égard. Il cherche le désir du colon. Il veut qu'il lui accorde la légitimité d'être. Le colon sait bien ce que valent ses mimiques : elles sont l'expression de son impuissance et du rôle qui lui est dévolu. Et l'écrivain colonisé joue le jeu. Il sait tous les stratagèmes en usage pour lui plaire. Ainsi, nul ne parvient à mieux transmuer la langue du colon, nul ne l'enrichit plus, nul ne raconte mieux la souffrance de son peuple, nul ne sait mieux fabriquer cet autre que réclame le colon. Il est cet autre nécessaire. Non cet autre qui le déstabilise, qui interroge son pouvoir, qui a la faculté de le subvertir sinon de le détruire mais cet autre qui assure ce pouvoir. L'écrivain colonisé a le beau rôle, il est célébré dans les medias des colons, on le reçoit à la radio, à la télévision, il fait la une des magazines, on dit de lui qu'il est un subversif, un révolté, quelqu'un d'authentique, il est cet écrivain qui apporte un nouveau souffle à notre langue, il acquiert une grande réputation, on le voit partout, il est ce personnage remarquable, ce révolté, cet homme ou cette femme de l'ailleurs qui ose déclamer une parole libre. Il n’en est évidemment rien. Certains affirment que c'est un collabo. Ce mot est trop fort. Car il n'a pas tout à fait le choix. Soit il demeure à la périphérie du monde dominant, celui du colon, - loin des vertiges de l'honneur, de l'accès aux medias et aux grandes universités etc.-, autant dire qu'il n'existe pas, qu'il n'est rien, d'autant plus qu'au sein de son pays on ne le prend pas au sérieux, soit il a la possibilité d'être sous les feux de la rampe, d’exister en d’autres mots.  On lui demande, à vrai dire, de choisir entre l'être et le néant. Il est bien plus simple de se taire, de faire sien le flou littéraire, de parler de l'oppression et de l'injustice en des termes vagues, de se révolter mais dans les limites de ce qui est convenu. L'écrivain colonisé est cette créature nichée dans un espace conçu par le colon. Il peut y demeurer toute une vie. Et il sera récompensé pour cela. Il sait qu'il suffit d'un rien pour qu’il le détruise. Un mot de trop, une interrogation des pouvoirs véritables qui structurent la société et ç'en est fini de lui. Et cette destruction peut être brutale, on s'en prend à sa personne, on déniche les éléments troubles de son passé, les mots fusent ou sinon on l'ignore tout simplement, on le détruit autrement, en l'enfermant dans le silence de l'indifférence. Il est cette créature, clown ou fourmi on ne sait trop, qu'on peut démantibuler et écraser à tout moment. Il n'est donc pas un collabo mais celui qui fait le choix d'une lucidité stratégique. Autrement il n'existe pas. Il est le vide, son incarnation. D'autres font le choix contraire, choisissent la vraie révolte, sont authentiques, ils sont hors du champ du colon, ils ne sont plus un objet dans l'axe de son regard mais un sujet à part entière. Un sujet qui le regarde droit dans les yeux, qui l'affronte, empli de son humanité. Ce n'est pas tant un regard de défi qu’un regard qui exige la pleine reconnaissance. Il ne s'agit pas de dire que l'écrivain colonisé est moins humain mais il est le prisonnier du colon. C'est une humanité étouffée, qui vacille, qui a du mal à être. C'est sans doute le prix à payer pour la gloire. Ou peut-être que l'écrivain colonisé préfère oublier toutes ces problématiques. L'ivresse de l'être sait taire les clartés qui l'habitent. La parole de l'écrivain colonisé est donc silence. Sa parole vive, merveilleuse, qui touche les âmes et les cœurs est silence. Sa parole qui titille le colon (mais il en rit au fond) est silence. L'écrivain colonisé est le praticien de cette parole que le colon enferme dans les confins de son pouvoir. Nul lieu n'est plus silencieux.









Umar TIMOL.






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