Spécialiste de l’étude des discriminations et exclusions, déjà
auteur du fameux ouvrage Le Poids des
apparences, le chercheur et conseiller scientifique au ministère français du
Travail Jean-François AMADIEU nous offre ici un livre salutaire, qui est aussi
un véritable cri d’alarme.
Non, les mises à l’écart, les invisibilités, les stigmatisations
courantes ne se contentent pas de porter sur la couleur de la peau, le phénotype, les particularités
culturelles et religieuses, la différence entre les sexes et ce que l’on
désigne par le terme d’homophobie,
bien loin s’en faut.
De plus en plus, depuis déjà pas mal d’années – et à l’échelle
planétaire quoique du fait du « rouleau compresseur » de l’influence
techno-culturelle occidentale – elles se focalisent aussi sur l’âge avancé
(au-delà de 35 ans !), sur les « imperfections » d’ordre
physique (même minimes), parmi lesquelles les plus importantes sont, on le sait
sans même avoir besoin d’ouvrir un traité de sociologie, les « kilos en
trop » (obésité, surpoids), la taille réduite assortie d’un aspect chétif, ou encore ce que l’on juge être
une non-conformité de type vestimentaire ou cosmétique.
La « beauté » et la séduction standards, à présent,
règnent en maîtresses totalitaires sur une société qui se prétend libre alors qu'elle est,
en réalité, subtilement et massivement, abusivement manipulatrice.
Minceur – blondeur – jeunesse – forme olympique (à relier au
sacro-saint dynamisme) – belle gueule…toutes les chances sont de
ce côté-là, et nulle part ailleurs. Chances sexuelles, affectives, récréatives
(la sélection à l’entrée des boîtes de nuit selon le look) – ou avantages
professionnels (tant en termes d’atouts à l’entretien d’embauche que d’écarts
de salaires et de sécurité de l’emploi).
Les responsables, on les connait ; mais notre auteur nous
les rappelle : la pub, la télévision et les journaux, les médecins et
Internet (avec les réseaux sociaux).
Pour être embauché ou être « montré », montrable, il
faut, surtout dans les mégapoles telles que Paris, être aussi lisse que les « models » de
papier glacé des magasines à gros tirage (modèles dans tous les sens du terme).
Résultat : le commun des mortels, le citoyen lambda,
quelconque ou le quidam désargenté, autant dire la grande majorité des membres
de l’espèce humaine se sent exclu, voire « ghettoïsé », car pas assez
photogénique !
Le capital - beauté vient s’ajouter au capital - richesse, au capital
- pouvoir et au capital – diplômes dans la (courte) liste des associés à la
notion d’élite (ce qui, autrefois, n’était pas le cas). Plus que jamais, le paraître, le masque séducteur hyper
peaufiné et forcément superficiel a le dessus sur l’être, et même sur les
compétences d’un individu. Pressés, hédonistes, les gens, en particulier les recruteurs « flashent » comme
des appareils photo, sous l’empire de l’immédiateté et de l’esthétisme « modernes ».
A tel point qu’on commence à prendre la pleine mesure de l’absurdité
presque comique de ce culte de l’image et de son caractère souvent
contre-productif, notamment dans le monde de l’entreprise.
Et l’expérience des séniors ?
Et les aptitudes de certaines personnes, appréhendées comme disgracieuses, si ce n’est affligées d’un
handicap ? BARBARA, Serge GAINSBOURG et Jacques BREL auraient-ils, de nos jours, la moindre chance d'entamer la carrière qui a été la leur (avec tout le talent qu'on connait) ?
D’un point de vue féministe, les femmes ne sont-elles pas
lourdement pénalisées par ce « racisme » anti-kilos obsessionnel et
par ce mascara obligatoire ? Si, les statistiques le prouvent bien, de
même que les testings.
Quant aux gens de couleur ou aux personnes dites « typées »,
n’en auront-ils pas un jour marre de cette injonction qui pèse sur eux d’éclaircir
leur teint, de blondir et de lisser leurs cheveux, de débrider leurs yeux, de
ressembler à tout prix à OBAMA, à ROSELMACK, ou à « la charmante »
Audrey PULVAR ?
Où est la « liberté » si la liberté élémentaire, celle
d’être soi-même en face des yeux de l’autre n’est pas reconnue ? Et où est
l’authenticité ? Jamais la vie sociale n’a été à ce point assimilable à
une comédie.
Et, comme le fait également ressortir l’auteur, où est le Vivre ensemble – où est cette diversité dont on nous rebat tant les
oreilles ? Qu’est-ce que cette société, en un mot ?
Le livre est, certes, un peu austère (nombreuses statistiques,
graphiques), mais son sérieux nous impressionne. Nous ne pouvons, si nous ne l’étions
pas déjà bien avant (ce qui est mon cas) qu’en ressortir nettement convaincus.
P. Laranco.
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