Une langue ? Une culture ? Ce sont aussi des prisons. Ce sont des habitudes tout à fait comparables aux autres; même plus profondément ancrées que les autres, sans aucun doute.
S'y enferrer ne nuit-il pas à notre plasticité cérébrale - dit autrement, à la souplesse dont est capable notre esprit ?
Chaque seconde de notre vie est un jeu avec la mort.
De nos jours, tout tourne autour de l'ego et de la "lutte de tous contre tous" (je reprends là les termes d'un sociologue français, Jean-Claude KAUFMAN si je ne m’abuse). S'occuper de ses affaires, s'affirmer, demeurer soi-même et, si on le peut, monopoliser l'attention pour montrer que l'on est bien là...Il en résulte la monomanie du débat qui tourne vite au vinaigre, étroitement couplée à son antidote : la conversation creuse, sans risque, consensuelle, sur le beau temps et la pluie.
Je ne connais pas de sujet qui s'épuise totalement vraiment. L'exploration, dans la moindre anfractuosité, la moindre alcôve, conserve une place, qui se signale par un appel. Les choses, comme les manières de regarder, d'aborder les choses, sont, en un sens et d'une certaine façon, infinies...et indéfinissables. Et leur richesse, leur potentiel d'interrogation devrait nous surprendre, voire même nous émerveiller, nous ravir. Reste que notre voile de cécité, de limites lui aussi, nous dépasse.
A partir du moment où j'ai pénétré dans le monde de la logique, je me suis mise à voir, à surprendre des paradoxes presque partout.
« Moi aussi ! » : c’est l’une des phrases les plus courantes chez les jeunes enfants. Elle en dit long, beaucoup plus long qu’on ne le croit sur l’être humain. Elle est l’une des plus consubstantielles à la nature humaine et, donc, l’une des plus spontanées.
Elle trahit l’élan qui pousse l’être humain à se mettre à la place de son semblable. L’imitation, l’apprentissage comme l’envie jalouse en procèdent. De même que l’esprit d’égalité qui fonde la philosophie des Droits de l’Homme. Toute sa vie durant, un être humain en sera pétri, imprégné. Pour le meilleur et pour le pire.
Des preuves ? Il suffit extrêmement souvent qu’un autre que lui/elle ait ou lui paraisse avoir en sa possession quelque chose pour que l’Homo sapiens se mette à lorgner sur ladite chose et à la désirer de manière de plus en plus impérieuse et violente. Ou encore l’empathie qui nous étreint au décès d’une autre personne. Ou encore la capacité de solidarité, d’entraide.
L’origine suprême de tout ceci ? Les neurones-miroir, dont le cerveau humain regorge, à ce qu’il semble (c’est là un soupçon des neuroscientifiques) et dont, à ce qu’il semble aussi, la femme serait quelque peu plus dotée que le mâle.
Depuis que la civilisation existe avec sa société complexe, les élites se posent comme modèle au reste de la population des sociétés concernées.
Fortes de leur dominance – et de l’accaparement des richesses, des savoirs, des moyens techniques et militaro-répressifs qui sont les leurs, elles estiment avoir une « mission » d’éducation des masses, plus « incultes » qu’elles, qu’elles abreuvent de leur condescendance plus ou moins discrète.
Depuis que les classes moyennes ont rejoint la minorité traditionnellement gouvernante du fait de leur embourgeoisement, elles partagent avec la bourgeoisie les mêmes idéaux et les mêmes valeurs matérialistes, hyper-hédonistes, libertaires et la même foi en le capitalisme, en l’individualisme et en la rationalité scientifique promus par les philosophes des Lumières occidentales. Le problème, c’est que, comme toute élite, elles ne conçoivent pas que l’on puisse avoir une autre veltrandshauung que celle venue du haut, qu’elle se propose de propager, de magnifier.
A l’instar des aristocrates puis de leurs successeurs en dominance, les grands bourgeois, elles se sont mises à redouter les classes populaires, à voir en elles des « classes dangereuses » qu’il y a lieu soit de reléguer (dans les ban-lieues ban-lieux), soit de convertir. « Fais comme moi, ou bien t’es mort ! ».
L’islamisme extrémiste et sectaire des quartiers où vivent, actuellement, en France, les plus pauvres pourrait – on ne l’a peut-être pas assez vu – constituer (entre autre) une sorte de riposte, bien entendu inappropriée, à leur désir d’intégration paternaliste, souvent motivé par la peur et la méconnaissance.
Craignons-nous la mort parce que nous sommes d’une nature égocentrique ou sommes-nous, à l’inverse, narcissiques à ce point parce que nous redoutons la mort ?
Les classes moyennes nous fabriquent un monde où l’on s’ennuie. A l’instar des petit-bourgeois, leurs lointains ancêtres du XIXème siècle, dont leur idéal de médiocrité heureuse fait les héritiers directs.
Beaucoup de femmes françaises me paraissent être affublées de ce que j’appellerai une « âme de groupie » prête à se dévouer jusqu’à la corde au soutien d’un homme qu’elles admirent. C’est leur côté « mamma latine », marquée par une culture d’origine romaine où le culte de l’Amour et de la séduction tient, de surcroît, une place majeure.
Les images du « patriarche », du « maître » (le Père, tant dans sa dimension divine que dans sa dimension humaine) et/ou du fils (le Christ ?) imprègnent encore, à ce qu’il me semble, assez fortement leur subconscient.
Seuls ceux/celles qui savent et tentent de diversifier au maximum les perspectives, les manières d’envisager telle ou telle chose ont quelque chance (si faire se peut) de « faire avancer le monde ». Les autres, ma foi, s’en tiennent à vivoter leur vie de semi-robots et, tels des ruminants dans un pré, presque inertes, mâchonnent, mâchouillent interminablement leurs idées pré-pensées (et bien arrêtées) qui tiennent de l’automatisme et/ou de la paresse passive, comme si c’étaient des bouchées d’herbe. Ils sont encadrés par des rails bien étroits, bien droits, bien rigides, et toute question qui surgit leur fait l’effet d’une piqûre de taon. Elle les embarrasse, les agresse.
La « liberté » se conquiert toujours contre une contrainte consciente qui gêne. Mais quid des mille et une contraintes intériorisées et hors du champ de la conscience qui sont (obligatoirement) les nôtres ? Celles qui font si intimement, si profondément partie de nous que nous en avons même perdu l’idée ?
Imiter, donner du sens à, interpréter, vouloir connaître ne sont-ils pas, par exemple, des « réflexes » du cerveau humain ? En un sens, les chantres de la « liberté », de l’ « Évasion » me font presque rire.
Nul ne se rend vraiment compte du rôle que joue l’imitation dans la nature et dans la vie humaines.
Des professeurs de poésie ?...Cela n’existera jamais.
Alors, récapitulons…Il y a le péril jaune/brun et le péril musulman (terroriste).
L’Occident (les ethnies de l’Europe du nord et de l’extrême-ouest, en incluant leur extension nord-américaine plus récente) se sent actuellement menacé, pour la première fois depuis la Guerre du Pacifique et, plus anciennement encore, depuis le XVIe siècle, point de départ de la grande expansion ouest-européenne qui se traduisit, entre autres, par les deux vagues majeures d’entreprise coloniale, ainsi que par un « boom » scientifique et technologique exponentiel.
Pour cette sphère ethnoculturelle, signalons-le, la domination est devenue le cœur de son identité même. Elle se perçoit elle-même comme dépositaire de l’essence d’une Civilisation qu’elle se figure devoir à la démocratie et au logos élaborés rien moins que par la Grèce antique.
C’est oublier que, bien avant que le nord-ouest européen ne règne sans partage (matériellement et mentalement) sur le reste du monde, il y a eu l’éclosion de la civilisation (agriculture/élevage, villes, état, métallurgie, écriture, mathématiques) qui, elle, se produisit, sans aucune contestation possible, au Proche-Orient (Croissant fertile, hauts plateaux de l’Iran actuel) et en Afrique (Égypte ancienne), vite relayé par le Bassin méditerranéen d’est en ouest, et, parallèlement, en Chine, en Inde ainsi que dans plusieurs endroits des Amériques peuplées par les Amérindiens (site péruvien de Caral). Beaucoup de choses se sont, par la suite, jouées autour d’une mer presque close sur elle-même, la Méditerranée, confluence entre les trois « continents » en fait reliés entre eux de l’Ancien monde, sur les « restes » de l’Empire romain et, pour une bonne part, par le truchement de la civilisation musulmane et de la fameuse Route de la soie, laquelle permirent de transmettre à l’Occident d’innombrables inventions chinoises et indiennes. Ce sont les mathématiques grecques (elles-mêmes héritières des mathématiques déjà assez avancées de la Mésopotamie et de l’Égypte pharaonique) et donc, méditerranéennes, « levantines », relayées par les Arabo-hispano-persans inventeurs du zéro et de l'algèbre qui furent les points de départ des réflexions d’un Galilée et d’un Copernic. Ce furent les connaissances bien développées des navigateurs arabes qui permirent, par la suite, aux caravelles espagnoles chrétiennes de pouvoir voguer jusqu’aux Amériques (pour l’énorme malheur de leurs indigènes).
La Chine, l’Inde et l’Islam (celui-ci héritier, à des degrés divers, des très vieilles cultures égyptienne, mésopotamienne, ougaritique, phénicienne, hébraïque, persane, indienne et même gréco-romaine) ont leur place, acquise de plein droit, dans le concert des civilisations majeures. Ils ont « fécondé » l’Occident, l’ont rencontré à de multiples reprises, tant par les voies maritimes que par les voies terrestres.
« L’Europe » est loin d’être une île au destin exceptionnel, vouée à diriger le monde.
De toutes façons, l’ « Ancien monde » est constitué de trois pseudo-continents reliés (Afrique, Eurasie, laquelle comprend, tout à l’ouest, l’Europe) entre lesquels, depuis la nuit des temps (au moins depuis la fin du néolithique), il y a toujours eu circulations d’Hommes, rencontres, échanges de produits et autres marchandises comme d’idées dans bien des domaines de la vie.
Pourquoi ne veut-on retenir, par les temps qui courent, que l’idée de « choc » des manières de penser et de vivre ?
La domination sert-elle ou dessert-elle la connaissance de qui/de ce que l’on domine ?
Les sociétés complexes, hiérarchisées (qui virent le jour durant la très longue période néolithique) furent et seront toujours confrontées au caractère instinctivement mimétique de la nature humaine.
Je crois, hélas, qu’on n’empêchera jamais l’Homme de désirer, d’envier ce que possède l’autre Homme, et que lui ne possède point. « Pourquoi lui/elle et pas moi ? » est une question qui peut paraître très mesquine, mais qui n’en est pas moins de l’ordre d’un automatisme sans doute aussi ancien que notre espèce, voire même que les espèces d’hominidés disparues qui lui furent cousines ou ancestrales.
Or, à présent, nous voici, sur Terre, au nombre énorme de quelques huit milliards.
Par le passé, les premières civilisations d’Homo sapiens, à ce qu’il semble, utilisèrent massivement les aspirations spirituelles et « le religieux » (lesquels, probablement, trouvent leur source première en l’angoisse de la finitude) pour faire barrage à cette mimésis (*) aussi spontanée qu’irrépressible, toujours potentiellement menaçante. On créa des tabous qu’on institutionnalisa et l’on déifia les rois (Pharaon en est un bel exemple), qu’on entoura de collèges de prêtres qui prétendirent que l’ordre social (fortement inégalitaire) était l’image en miroir de l’ordre cosmique, de façon à ce que les personnages dominants restent « intouchables ».
Ce système perdura, en gros, sous toutes sortes de formes, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle après Jésus-Christ.
Mais, sans justification d’ordre sacré, sans plus de lien fort entre l’humain et le cosmique, la mimésis se réveille, en prenant notamment la forme de revendications égalitaires de plus en plus brûlantes (les philosophes des Lumières, Robespierre, Marx puis les idéologies socialistes, anarchistes, soviétique et maoïste du XXe siècle).
L’aspiration à un nivellement par le bas ou par le milieu hante nos sociétés démocratiques et rationnelles. Dans la société mondialisée qui est en train de se construire, une minorité de nantis (les pays dits « du Nord ») domine toujours outrageusement une imposante majorité de personnes qui se trouvent en-dessous du seuil de pauvreté, quand elles ne sombrent pas quelquefois dans la franche malnutrition ou même la famine.
Le communisme a été mis K.O, mais la nature humaine n’en reste pas moins, en son tréfonds, la même. De plus, l’accès, de plus en plus facile, rapide et massif à l’information, par le truchement des médias numériques ou autres, attise les volontés farouches de se procurer ce dont jouit le « modèle » hyper-nanti triomphateur (pléthore matérielle, liberté). Moins que jamais, l’être humain sait se contenter de ce qu’il a; d’autant que le capitalisme, non content de prétendre exaucer les moindres désirs (sic), renchérit encore et encore en en créant d’autres de toute pièce. Le capitalisme n’a d’autre but, d’autre sens que de s’auto-entretenir.
« Tous pareils, et tous heureux dans le "Toujours plus" ! » ! » : chacun devrait savoir que ce rêve est irréalisable. C’est une utopie d’ordre mimétique, totalement dénuée d’idées, de justifications réelles et par avance vouée à l’échec (compte tenu de la situation qui est celle de l’humanité contemporaine), tout autant (peut-être même plus) que pouvaient l’être les malencontreuses expériences de Lénine, de Staline et successeurs, ou encore de la Révolution culturelle.
Pour autant, il faut aussi prendre en compte le sens de la justice, dont la voix puissante, légitime à nos yeux, ne peut pas ne pas nous parler.
Conclusion : nous voici devant une sorte de quadrature du cercle que nul dirigeant ne veut plus, ne peut plus regarder en face !
(*) La mimésis est au centre des thèses du philosophe français René GIRARD.
(Texte écrit en 2018)
P. Laranco.
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