Démographe et historien, Hervé LE BRAS, chiffres à l'appui, analyse, raconte, compare, essaie de raisonner en se basant sur les données - concrètes, statistiques - qu'il a à sa disposition...et sa conclusion toute entière tient dans le titre de son ouvrage; il démonte les rouages d'une dangereuse manipulation politique (et médiatique) qui a, hélas, le malheur de "parler aux tripes", aux points sensibles, à l'immédiat des émotions les plus simplistes, les plus mesquines (car liées à la peur, à l'irruption de l'"Autre", à la gestion d'une altérité vécue comme irrémédiablement autre, opaque et donc menaçante) et qui, aujourd'hui même, se solde par une entrée potentielle, par le biais des urnes, de l'extrême-droite française dans les antichambres du pouvoir suprême (du jamais vu depuis Vichy !).
Une crise ? L'émergence de restrictions, de limitations, de frustrations dans un pays à très haut niveau de vie (mais, dans l'ensemble, assez peu tourné vers le monde extérieur tant il est imbu de sa culture, de son "modèle", de ses dominations passées) où l'on tolère de moins en moins l'inconfort et la contrainte ? Où victimisation, intolérance et indifférence à qui n'est pas le semblable rôdent toujours, contre toute attente, dans le tréfonds des âmes peureuses ?...Et voilà; le bon vieux réflexe du bouc-émissaire se ravive. A la faveur d'une exaspération qu'ont su, avec un opportunisme forcené, exploiter certaines forces politiques.
La colère et la peur réagissent. Mais réfléchissent-elles ? Lisent-elles ? Savent-elles prendre du recul ? On peut ainsi se demander à fort bon droit qui, dans "la masse", dans ce qu'il est convenu d'appeler le "grand public", sera porté à lire ce livre (hormis, peut-être, deux ou trois étudiants ou une poignée d'autres esprits déjà largement "conscientisés"). Il en va de même, d'ailleurs, pour un tas d'autres ouvrages du même acabit, écrits par des chercheurs, penseurs vulgarisateurs de la recherche. On se demande qui les lit, à part un public très restreint.
Pourtant, les librairies, en France, ne manquent pas, et il y a les bibliothèques, elles totalement gratuites...auxquelles "les gens", cependant, continuent de préférer les émissions de téléréalité. Est-ce là le résultat d'un peu plus d'un siècle de scolarisation gratuite, obligatoire, massive ? De l'émergence - longtemps saluée comme un marqueur de "développement"- des classes moyennes devenues pléthoriques autant qu'hyperconsuméristes ?
Formaté par les médias, par l'individualisme hédoniste propre à la modernité et par les habitudes qu'ont induites, plusieurs décennies durant, la douce prospérité protégée qui marqua ce qu'on appelle "les Trente glorieuses" et la révolution des mœurs, très libertaire, de leurs soixante-huitards babyboomers, ce peuple de classes moyennes se sent à présent menacé par le spectre de l'"appauvrissement", du "déclassement" et complètement "lâché" par ses élites, qui ne comprennent plus ni ses rêves, ni ses besoins (pourtant simples). Il développe une méfiance de plus en plus marquée envers tout discours qui lui apparait "officiel" et même, parmi ces discours, envers celui des universitaires, des scientifiques et des livres "d'experts" forcément "condescendants" que ces derniers produisent. Voici qui fait l'affaire de "penseurs" d'extrême-droite tels Renaud CAMUS ou Eric ZEMMOUR, guère très favorables à la science, à sa rigueur, aux efforts qu'elle nécessite, à l'aridité de ses chiffres, à laquelle, manifestement, ils préfèrent le seul pouvoir du verbe, plus aisément, plus immédiatement accessible.
Ainsi le peuple français se retrouve-t-il induit en erreur, pris en otage par un véritable édifice fantasmatique, par une sorte de délire paranoïde assez comparable à celui qu'en son temps, un Adolf HITLER se mit à développer à l'encontre des Juifs.
Un délire qui, par ailleurs, ne date nullement d'hier puisque, ainsi que le souligne l'auteur de ces pages, il remonte à L'invasion prussienne de 1870.
Je ne saurais assez vivement conseiller la lecture de ce petit livre, aussi incisif que précis (surtout, avant de mettre, ce dimanche, les pieds dans le bureau de vote.).
P. Laranco.
Le 28 Juin 2024.