jeudi 3 avril 2014

Lecture (sociologie, histoire) : Michel WINOCK : « PARLEZ-MOI DE LA FRANCE », Perrin, 2010.


Un pays profondément marqué par la religion catholique, par Louis XIV et l’ « étiquette de Versailles », par Napoléon et par Charles De Gaulle.
En bref, par le poids – passablement écrasant – de son Histoire.
Un pays frondeur, mais voué à la hantise des divisions et  donc, conservateur, plus ou moins secrètement attaché à la figure-objet de culte du chef-père et aux hiérarchies, au marquage tatillon des « rangs ». Un pays cependant égalitariste, avec son idéal très petit-bourgeois du  «  petit propriétaire », du « petit commerçant », du « petit paysan » (mon dieu, que de « petits » !) qui s’en tient à son propre « jardin » et le « cultive », mais en y tenant comme à la prunelle de ses yeux.
Un pays où les gens entretiennent, communément, des rapports très conflictuels : Les Français ne s’aiment pas entre eux, mais ils aiment la France. Ils n’ont souvent qu’une médiocre considération pour leurs voisins, ils se dénigrent, ils se livrent des guerres cruelles, mais tout le mal qu’ils peuvent penser les uns des autres ne les empêche pas de vénérer cette substance platonicienne appelée « France », comme si elle était une personne à la fois vivante et immatérielle.
Un pays d’ « intellos » rigides, qui se signalent par un très grand attachement aux principes et aux « idées », aux abstractions qui sont, selon eux, susceptibles de faire plier le monde (la France n’est-elle pas déjà, en elle-même,  une idée ?).
Un pays au passé substantiellement guerrier,  façonné par l’épée  autant qu’il le fut par la volonté.
Un pays qui, au fond, peine à accommoder la démocratie à sa propre sauce viscéralement étatique, centralisatrice et méfiante à l’endroit de toutes les formes de la pluralité.
Un pays à l’idéal autarcique, centré sur lui-même et sur sa propre culture au point d’oublier volontiers que le reste du monde existe – ou de le rejeter de façon passablement xénophobe :   Nos habitudes mentales sont encore terriblement francocentristes, alors que l’interdépendance des états et des peuples se renforce chaque jour.
Un pays néanmoins  missionnaire  dans l’âme, hautement convaincu de sa vocation universaliste de vecteur de civilisation, laquelle valut au monde tant les Guerres napoléoniennes que l’  entreprise coloniale  telle qu’elle fut pensée par un Jules Ferry, ainsi que par toute une « pensée de gauche ».
Historien de formation, convaincu que qui ignore l’Histoire (même ancienne), qui ignore la pesanteur du substrat et du terreau qu’elle représente, ignore le monde tel qu’il existe sous nos yeux, en ce moment même, Michel WINOCK nous « explique » la France, son pays, en long, en large et en travers. Il nous aide à mieux comprendre l’essence, l’âme du peuple français.
Le portrait qu’il dresse, souvent contradictoire et ambigu (mais cela ne nous étonnera pas…), balancé entre réelles idées généreuses et réflexes « terriens » millénaires d’hostilité, de repli, de fermeture à l’autre, est celui d’une vieille contrée où le passé et le présent, encore aujourd’hui, semblent sans cesse s’entrecroiser, se répondre et qui, au plus intime, au plus profond d’elle parait bouillir de colère, ou, quand ce n’est pas ça, s’abandonner à la sinistrose la plus totale du fait de sa  splendeur perdue .
Car il faut bien en convenir, la France est à l’heure qu’il est un peu à la croisée des chemins.  Et sa  mémoire lourde , tout autant que son incorrigible  dolorisme  érigé quasiment au rang de tic, l’handicapent singulièrement :  En prenant du recul, nous pouvons parler d’un pessimisme historique, nourri par une réalité plus ou moins consciente, un sentiment de dégradation nationale. S’il fallait en fixer un repère chronologique,  sans doute faudrait-il remonter aux journées noires de mai-juin 1940. Une défaite militaire d’autant plus cruelle qu’inattendue : ne disait-on pas que l’armée française était la meilleure du monde ? Ce fut un traumatisme […]. Le régime rétrograde de Pétain, la collaboration d’Etat avec l’Allemagne nazie, la guerre entre Français au cœur de la guerre mondiale, toute cette phase tragique de notre histoire a laissé des traces profondes : les Français ont pris conscience que leur pays était devenu une puissance de second rang. La comparaison entre le passé éclatant d’une France qui dominait ou faisait jeu égal avec les grandes puissances et le pays vaincu et humilié de 1940 a instillé durablement le doute dans la conscience nationale […] De Gaulle avait tenté, au prix de quelques mensonges par omission, de remettre la France sur la selle de la grandeur […]. Après 1958, un embellie dura quelques années : la fin de la décolonisation, la croissance renouvelée [ des « Trente glorieuses »] et le nouveau franc, l’armement nucléaire, l’indépendance de la diplomatie, la modernisation accélérée du vieux pays…Oui, « c’est beau, c’est grand, c’est généreux, la France ». Mais ces mots-là sont vite devenus obsolètes et incongrus.
Outre ces événements, la guerre d’Indochine et Diên Biên Phu, la guerre d’Algérie et le fiasco politique de l’expédition de Suez en 1956, l’exil des pieds-noirs, le lâchage des harkis, un autre facteur a certainement contribué à alimenter le pessimisme : l’échec répété de la gauche, qui portait l’espérance socialiste [ plus ou moins « révolutionnaire » ]. L’effondrement du Parti communiste, si puissant au lendemain de la Libération, l’échec du socialisme. Dans les pays socio-démocrates, on n’avait pas promis la « rupture avec le capitalisme » ; en France, la tradition révolutionnaire avait entretenu l’espoir du « monde meilleur ». Il a fallu s’y résigner, surtout après la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS […]. 
En effet. L’identité française, c’est celle du « Pays de la Révolution ». Cela donne seul à la France une légitimité à se poser en « instituteur universel », à se donner pour modèle, à se revendiquer en tant que l’ « exception française ».
Terrienne par nature, la France est aussi lourde à bouger que les sillons de sa glèbe. Excessivement attachée aux principes, aux dogmes et autres idéaux (c’est là son héritage catholique), elle se montre en général, assez modérément portée au pragmatisme.
A l’instar de maints autres ouvrages publiés actuellement, ce livre pointe, en définitive, chez elle,  le malaise de la conscience nationale d’un pays emporté dans le torrent de la mondialisation , et dépouillé par cette dernière de son rôle, donc de ses repères traditionnels.
Il est toujours très difficile de descendre d’un quelconque piédestal. Et il est encore plus difficile, peut-être, de réagir convenablement aux grandes mutations.
Alors, la France s’enfonce dans l’insatisfaction et dans la plainte. De plus en plus, elle donne l’image d’un pays à vif, et plutôt aigri. Avec, à la clé, le risque de voir resurgir de bien vieux, de bien archaïques démons.
Comment passer d’une mentalité de peuple dominant, avec l’autosatisfaction voire la morgue que cela comporte, à un état d’esprit plus en rapport avec ce qu’est à l’heure qu’il est le monde réel à savoir un monde régi par une « mondialisation » qui n’est pas, qui n’est plus française, par un processus que la France ne contrôle plus, ni n’initie plus, sur lequel elle n’imprime désormais plus, de quelque façon que ce soit, sa marque  ?
Dur devoir de reprogrammation !



P. Laranco.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire