Un pays profondément marqué par la religion catholique, par
Louis XIV et l’ « étiquette de Versailles », par Napoléon et par
Charles De Gaulle.
En bref, par le poids – passablement écrasant – de son Histoire.
Un pays frondeur, mais voué à la hantise des divisions et donc, conservateur, plus ou moins secrètement
attaché à la figure-objet de culte du chef-père et aux hiérarchies, au marquage
tatillon des « rangs ». Un pays cependant égalitariste, avec son
idéal très petit-bourgeois du « petit
propriétaire », du « petit commerçant », du « petit
paysan » (mon dieu, que de « petits » !) qui s’en tient à
son propre « jardin » et le « cultive », mais en y tenant
comme à la prunelle de ses yeux.
Un pays où les gens entretiennent, communément, des rapports
très conflictuels : Les Français ne
s’aiment pas entre eux, mais ils aiment la France. Ils n’ont souvent qu’une
médiocre considération pour leurs voisins, ils se dénigrent, ils se livrent des
guerres cruelles, mais tout le mal qu’ils peuvent penser les uns des autres ne
les empêche pas de vénérer cette substance platonicienne appelée
« France », comme si elle était une personne à la fois vivante et immatérielle.
Un pays d’ « intellos » rigides, qui se signalent
par un très grand attachement aux principes et aux « idées », aux
abstractions qui sont, selon eux, susceptibles de faire plier le monde (la France
n’est-elle pas déjà, en elle-même, une
idée ?).
Un pays au passé substantiellement guerrier, façonné par l’épée autant qu’il le
fut par la volonté.
Un pays qui, au fond, peine à accommoder la démocratie à sa
propre sauce viscéralement étatique, centralisatrice et méfiante à l’endroit de
toutes les formes de la pluralité.
Un pays à l’idéal autarcique, centré sur lui-même et sur sa
propre culture au point d’oublier volontiers que le reste du monde existe – ou
de le rejeter de façon passablement xénophobe : Nos habitudes mentales sont encore
terriblement francocentristes, alors que l’interdépendance des états et des
peuples se renforce chaque jour.
Un pays néanmoins missionnaire
dans l’âme, hautement convaincu de sa vocation universaliste de vecteur de
civilisation, laquelle valut au monde tant les Guerres napoléoniennes que
l’ entreprise coloniale
telle qu’elle fut pensée par un Jules Ferry, ainsi que par toute une
« pensée de gauche ».
Historien de formation, convaincu que qui ignore l’Histoire (même ancienne), qui
ignore la pesanteur du substrat et du terreau qu’elle représente, ignore le
monde tel qu’il existe sous nos yeux, en ce moment même, Michel WINOCK nous
« explique » la France, son pays, en long, en large et en travers. Il
nous aide à mieux comprendre l’essence, l’âme du peuple français.
Le portrait qu’il dresse, souvent contradictoire et ambigu (mais
cela ne nous étonnera pas…), balancé entre réelles idées généreuses et réflexes
« terriens » millénaires d’hostilité, de repli, de fermeture à
l’autre, est celui d’une vieille contrée où le passé et le présent, encore aujourd’hui, semblent sans cesse s’entrecroiser, se répondre et qui, au plus
intime, au plus profond d’elle parait bouillir de colère, ou, quand ce n’est
pas ça, s’abandonner à la sinistrose la plus totale du fait de sa splendeur perdue .
Car il faut bien en convenir, la France est à l’heure qu’il est un
peu à la croisée des chemins. Et sa mémoire lourde , tout autant que son incorrigible dolorisme érigé quasiment au rang de tic, l’handicapent
singulièrement : En prenant du
recul, nous pouvons parler d’un pessimisme historique, nourri par une réalité
plus ou moins consciente, un sentiment de dégradation nationale. S’il fallait
en fixer un repère chronologique, sans
doute faudrait-il remonter aux journées noires de mai-juin 1940. Une défaite
militaire d’autant plus cruelle qu’inattendue : ne disait-on pas que
l’armée française était la meilleure du monde ? Ce fut un traumatisme […].
Le régime rétrograde de Pétain, la collaboration d’Etat avec l’Allemagne nazie,
la guerre entre Français au cœur de la guerre mondiale, toute cette phase
tragique de notre histoire a laissé des traces profondes : les Français
ont pris conscience que leur pays était devenu une puissance de second rang. La
comparaison entre le passé éclatant d’une France qui dominait ou faisait jeu
égal avec les grandes puissances et le pays vaincu et humilié de 1940 a
instillé durablement le doute dans la conscience nationale […] De Gaulle avait
tenté, au prix de quelques mensonges par omission, de remettre la France sur la
selle de la grandeur […]. Après 1958, un embellie dura quelques années :
la fin de la décolonisation, la croissance renouvelée [ des « Trente glorieuses »] et le nouveau franc, l’armement nucléaire, l’indépendance de
la diplomatie, la modernisation accélérée du vieux pays…Oui, « c’est beau,
c’est grand, c’est généreux, la France ». Mais ces mots-là sont vite
devenus obsolètes et incongrus.
Outre
ces événements, la guerre d’Indochine et Diên Biên Phu, la guerre d’Algérie et
le fiasco politique de l’expédition de Suez en 1956, l’exil des pieds-noirs, le
lâchage des harkis, un autre facteur a certainement contribué à alimenter le
pessimisme : l’échec répété de la gauche, qui portait l’espérance
socialiste [ plus ou moins « révolutionnaire » ]. L’effondrement du
Parti communiste, si puissant au lendemain de la Libération, l’échec du
socialisme. Dans les pays socio-démocrates, on n’avait pas promis la
« rupture avec le capitalisme » ; en France, la tradition
révolutionnaire avait entretenu l’espoir du « monde meilleur ». Il a
fallu s’y résigner, surtout après la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS
[…].
En effet. L’identité française, c’est celle du « Pays de la
Révolution ». Cela donne seul à la France une légitimité à se poser en «
instituteur universel », à se donner pour modèle, à se revendiquer en tant
que l’ « exception française ».
Terrienne par nature, la France est aussi lourde à bouger que
les sillons de sa glèbe. Excessivement attachée aux principes, aux dogmes et
autres idéaux (c’est là son héritage catholique), elle se montre en général,
assez modérément portée au pragmatisme.
A l’instar de maints autres ouvrages publiés actuellement, ce
livre pointe, en définitive, chez elle, le malaise de la conscience nationale d’un pays emporté dans le torrent
de la mondialisation , et dépouillé par cette dernière de son rôle,
donc de ses repères traditionnels.
Il est toujours très difficile de descendre d’un quelconque
piédestal. Et il est encore plus difficile, peut-être, de réagir convenablement
aux grandes mutations.
Alors, la France s’enfonce dans l’insatisfaction et dans la
plainte. De plus en plus, elle donne l’image d’un pays à vif, et plutôt aigri.
Avec, à la clé, le risque de voir resurgir de bien vieux, de bien archaïques
démons.
Comment passer d’une mentalité de peuple dominant, avec
l’autosatisfaction voire la morgue que cela comporte, à un état d’esprit plus
en rapport avec ce qu’est à l’heure qu’il est le monde réel à savoir un monde
régi par une « mondialisation » qui n’est pas, qui n’est plus
française, par un processus que la France ne contrôle plus, ni n’initie plus,
sur lequel elle n’imprime désormais plus, de quelque façon que ce soit, sa marque ?
Dur devoir de reprogrammation !
P. Laranco.
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