jeudi 17 avril 2014

Philosophons un peu...

La "mission" du monde, c'est de s'auto-dévorer et de se recréer. De se maintenir, oui, mais au prix d'une refonte qui n'a pas de cesse.



La lucidité naît presque à tout coup de la désillusion.





Regarder les choses en face…c’est parfois aussi douloureux que de verser du jus de citron sur une plaie vive. Cela fait parfois plus mal que l’application à même la chair d’un fer rouge.
Cela implique un deuil, une sorte d’arrachement, une manière de perte. Voilà pourquoi les gens préfèrent se « défiler »  dans le déni. Voilà pour quelle raison la mauvaise foi leur tient si souvent lieu de refuge, de trou pour tête d’autruche dans lequel ils s’engouffrent comme un seul homme ou bien de nid d’aigle qu’ils enrichissent à la longue de fortifications si  imposantes qu’elles finissent par devenir proprement inviolables et inexpugnables.





Jamais, jusqu’alors, on n’a été moins à l’écoute de l’autre, moins disposé à s’impliquer dans une réelle relation d’intimité, d’échange avec lui.
Et jamais nous n’avons été, parallèlement, plus  « branchés psy » -alors même que la relation psy est d’abord une relation d’écoute…n’est-ce pas pour le moins paradoxal ?





L’Homme ? Ni ange, ni démon.
Bêtement, simplement égoïste.





Les Hommes seront volontiers indifférents aux pires misères vécues par d’autres Hommes si, d’aventure, ces dernières échouent à éveiller  en eux quelque « écho », quelque résonance de nature totalement  personnelle.





Nous sommes tous en transit…en transit dans l’instant.





L’instant n’est qu’un sursaut, un appel d’air qui joue entre deux portes ouvertes. Il n’est pas. Il ne fait qu’agir. Que s’engouffrer. Que se métamorphoser à mesure qu’il coulisse. Il ne fait que promener son instabilité chronique, angoissante  que l’on chevauche. Nomade par nature, il distord notre pâte molle, comme il déforme, martèle tout le reste dans son éternelle tension vers l’avenir, qui fait, défait, combine, recombine, fluidifie ; grand maître du flou et de la mobilité, il ne peut qu’entretenir l’incertitude, le doute.





Tous,  nous sommes des marguerites qu’une force mystérieuse effeuille. Nous naissons tous dotés d’une multitude, d’une foison de rayonnants pétales. Mais peu à peu, sournoisement, le travail d’entropie se met à l’œuvre : il élague, retranche, dégrade ; il amoindrit, comme s’il voulait remettre les compteurs à zéro. Sempiternel et éternel retour à la merde, à la boue, à l’informe. La plénitude n’est jamais que quelque chose de fragile, de transitoire, d’obtenu, provisoirement, de haute lutte. Mais comme nous aimons nous laisser « accrocher » par cette illusion ! Comme nous aimons subir son hypnose, dont le charme puissant, sur le coup, nous endort et nous berce !





Regarder, ce n’est jamais, au final, que faire acte d’approximation ; on ne s’y ouvre guère  l’accès qu’à la possibilité d’une chose ; qu’à la probabilité que cette chose – que l’on observe – existe bel et bien.





Il est infiniment plus dur et plus malcommode d’être pauvre en société d’hyper-abondance qu’en société de pénurie.





Et si le temps n’était qu’un éternuement de l’éternité ?





Le culte de l’individu, cela donne, à terme,  des sociétés  creuses, sans but, molles, fortement infantiles et de surcroît de plus en plus mesquines. Où l’on ne peut plus guère construire ENSEMBLE de desseins qui tiennent la route et le cap. Où le rapport à l’autre finit par se résumer à une attitude « paranoïde » de suspicion et d’hostilité tout juste compensée, de temps en temps, par quelques menues ondes de « séduction » toute superfielle.





Nous tâtonnons. Funambulons. La vie est tellement légère !
Nos corps sont tellement plumeux : toujours en suspens. Dans l'apesanteur du doute.




Les gens se parlent, mais ils campent sur leurs positions et n’en continuent pas moins de suivre et de défendre leur idée.
C’est ce qu’en d’autres termes, plus succincts, l’on nomme un « dialogue de sourds », et c’est fabuleusement riche en contresens, en malentendus de tous ordres, en querelles potentielles. Cela est inutile, absurde, et de la dernière imbécillité. Mais cela se produit souvent lorsque chacun croit détenir une « vérité » ou cherche à dominer son interlocuteur. Ou encore lorsque, secrètement assez peu sûrs d’eux, « tenus » par une sorte d’obsession de s’affirmer coûte que coûte, les êtres se raidissent. Cela tient, sans nul doute, aux méfaits de l’entêtement, de l’orgueil et des relations de domination. Sans compter ceux  liés à ce qu’on pourrait appeler la « surdité à l’autre ».





Les deux caractéristiques majeures de l’instant présent ?
Il est plein et il est fluide.





Les dominants se targuent volontiers de ne pas être des « losers », des « faibles » et, à ce titre, de mériter l’admiration. Mais leur ambition, leur volonté même de dominer et de contrôler tout, si l’on va au fond des choses, ne signe-t-elle pas en réalité un désir obsessionnel  d’exorciser ou de compenser leurs doutes sur eux-mêmes, leur peur, précisément, de « manquer », de n’être pas « complet » ni « plein », de se voir dominés par les autres, de ne pas être « reconnus », de tomber malades, de « tomber pauvres », de perdre leur (au demeurant superficielle et illusoire) indépendance, de décliner puis de mourir après avoir été, en somme, inexistant ?
L’Homme – même Napoléon, même César, même un « monsieur nerfs d’aciers » comme, par exemple, Neil Armstrong – est, en son fond le plus secret, rempli à ras-bord de peur et de faiblesse, de misérables scories infantiles, toutes choses dont il aspire ardemment à se délivrer. Et souvent, plus il "angoisse", plus il a tendance à forcer la dose dans le registre du besoin d’emprise et d’action sur ce qui l’entoure, ainsi que dans celui du désir de monopoliser l’attention.





A suivre les raisonnements des maîtres de la science physique, la réalité, dans ce qu’elle a de plus concret, de plus mesurable, de plus tangible et de plus sensible, finit toujours par se dissoudre, en dernier ressort, dans l’univers de la mathématique, qui est – du moins à nos yeux – l’abstraction la plus complète, la plus totale, la plus absolue.
Qu’est-ce à dire ?





Les peurs des animaux se rapportent à leur conservation, à leur survie en tant qu’individus et en tant qu’espèce. A ces peurs, l’Homme  seul  ajoute une peur nouvelle, une peur à ce jour  totalement inédite : la peur liée aux sophistications, aux complications de sa conscience, au fonctionnement de cette elle aussi totalement inédite  "machine pensante" (machine à traiter la surinformation) qu’est son cerveau, qui, sans cesse, peut dégénérer en une menace de dérèglement, de folie.
Chez l’Homme  seul, l’insécurité extérieure se double d’une insécurité intérieure, souvent obsédante.





Les êtres humains dits « à haut potentiel intellectuel » sont anxieux, hyperactifs et très fragiles.
Est-ce à dire que créativité et intelligence ont partie liée avec l’angoisse ? Il semblerait, hélas, que oui.
Comme le notait déjà le philosophe Edgar MORIN dans l’un de ses ouvrages, L’homme et la mort, l’Homme possède une double nature : sapiens/demens.
Peut-on dire, en ce cas, que dieu nous ait fait un si beau cadeau ?
Et ne peut-on pas souligner tout aussi vigoureusement, à ce compte, que, pour ce qu’il nous donne d’une main, il nous retire autant de l’autre ?





Il n’est peut-être pas, pour nous, de plus opaque énigme, de plus dense mystère que notre propre façon de fonctionner.





La mécanique de notre cerveau est aussi précise, compliquée, sophistiquée qu’elle est fragile. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’elle disjoncte pour un rien.





Connaître, c’est, d’abord, s’éloigner.
Pas d’étude sans mise à distance préétablie, préalable de ce qu’on veut connaitre.




C’est, toujours, de l’extérieur – à partir d’une point distant - qu’on en vient à mieux connaître les choses. D’où un constat, qui s’impose : on a un mal fou à faire de soi-même son propre objet d’étude.





L’Homme n'est qu'un animal qui n’a fait que se compliquer la vie. Sans doute a-t-il été victime de sa grande monomanie : la question.





Le problème, avec  la colère, est qu'une fois qu’elle s’est incrustée dans l’être tel un animal féroce que l'on a "serré" dans une cage, elle aura toujours, tôt ou tard, l'inextinguible tentation de "reprendre du poil de la bête", de recommencer à s'exprimer; pour ce faire, elle s'efforcera aussi toujours de trouver le moyen de dénicher une échappatoire, de se diriger vers une cible, de se retourner contre quelqu’un, en bref de se libérer, sous peine de faire imploser l'être qu'elle étouffe.
Et que, souvent, cela tombe sur quelqu’un qui n’était en rien responsable de sa cause et qui, de surcroît, était mille fois trop faible pour s'en défendre.





L’Homme est, fondamentalement, une créature de LIEN et un être qui a besoin de créer du SENS.
C’est ce qui explique, en lui, la présence de la science, de l’art et du religieux (plus généralement, du sacré).
Enlevez-lui le LIEN et le SENS, et le voilà qui, dangereusement, vacille, devient capable de tout.





On prétend souvent que tout a été, en matière d’art, conté, exprimé, dit. Je prétends, au contraire, que l’on en aura jamais fini d’observer, et de décrire. Car le monde change tout le temps, et ce jusqu’au cœur de la moindre nanoseconde. Dans son moindre pan de détail, il est un somptueux chaos kaléidoscopique de prismes, de  facettes mobiles et versatiles au plus haut point. Innombrables sont ses visages. Imprévisibles ses chatoiements. Sa richesse est telle qu’on ne peut même pas se la représenter. Multiple et fuyant à l’infini chaque tronçon, chaque parcelle du réel qui nous environne et qui, sans cesse, nous crée, nous recrée sous de multiples formes, de multiples  « variantes », toutes plus inattendues les unes que les autres. Le Temps, l’Univers en expansion lui donnent une nature dynamique. La notion d’ « avatar » créée par les Hindous se trouve amplement vérifiée. La réalité est un dieu qui possède  mille bras dansants. Et, à ce compte-là, observateurs, conteurs ont encore, je crois, maints beaux jours devant eux.
Mais ceci est, peut-être, d’un autre côté, dur à admettre. Car si le monde a un tel magnifique chatoiement, c’est que rien ne dure. Et ces faits sont aussi un douloureux rappel de l’omniprésence de la mort. Chaque phénomène, chaque être sont, dans leur essence, uniques, irremplaçables, « émergents ». Chaque disparition est une irréparable perte, et notre propre mort, quant à elle, signe brutalement, trop  brutalement à notre gré la fin de notre démarche d’accompagnement du réel dans sa somptueuse et indomptable marche. La fin d’un être – surtout quand il observe, décrit, conte – est la fin d’une chambre d’écho sans nul équivalent.





Le monde est un étrange mixte de rigidité et de souplesse ; une bizarre combinaison de chamboulement et d’ « éternel retour », de règles strictes.












P.Laranco.


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