Aqiil GOPEE.
Nous sommes le samedi 22 mars 2014, en
plein après-midi, au SALON DU LIVRE DE PARIS qui se tient, comme chaque année,
au Parc des Expositions de la Porte de Versailles.
Le tout jeune écrivain mauricien Aqiil
GOPEE, 16 ans, vient à peine de recevoir, en mains propres, son PRIX DU JEUNE ECRIVAIN DE L’ORGANISATION
INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE, lors d’une table ronde réunissant, au stand
P76, quatre jeunes espoirs de la littérature francophone mondiale. Bien sûr, il
rayonne de bonheur.
Si j’ai tenu à
l’interroger, à obtenir de lui cette « interview », c’est que ce
jeune surdoué de la littérature, auteur de nouvelles et de textes poétiques,
est l’un des représentants les plus prometteurs de l’avenir de la littérature
mauricienne.
PL :
Comment, Aqiil, le « virus » de
l’écriture vous est-il venu?
AG :
A l’âge de 11 ans, je lisais déjà
beaucoup. Essentiellement de la littérature fantastique, toujours en langue
française. J’aimais particulièrement ce
qu’écrivait R. L STYNE. Tout cela m’a donné l’envie de
raconter une histoire, et de publier.
PL :
De publier, d’emblée ?
AG :
Oui.
En premier, j’ai écrit une petite nouvelle, restée inédite,
La créature des neiges. C’était une
histoire fantastique.
PL :
Avez-vous, dans votre démarche d’écriture, été encouragé,
soutenu par votre milieu familial ?
AG :
Oh, oui, mes parents m’ont beaucoup encouragé, surtout mon
père. Mon père m’a introduit à la lecture. Il m’achetait beaucoup de livres.
PL :
Et ensuite ? Quelle a été la suite de votre
cheminement ?
AG :
Eh bien, à 14 ans, j’ai appris, par Umar TIMOL, l’existence
de L’Atelier d’Ecriture, de Barlen PYAMOOTOO,
qui se tenait à l’Institut Français de Rose-Hill…et
je me suis mis à le fréquenter chaque samedi, de 10h à 12h. Barlen m’a apporté
énormément de conseils, d’ordre littéraire ; pour le reste, je recevais
aussi certains conseils, d’ordre éditorial, de Umar.
Je travaillais toujours à mes textes chez moi, puis, le
samedi, j’apportais ma production à l’Atelier,
où Barlen me la corrigeait. Il y avait aussi des lectures communes des textes
de tous les participants, par conséquent beaucoup d’échanges, et c’est une
chose qui a été très importante pour moi. Ça m’a apporté beaucoup, je dois dire
que je me suis senti pris en charge, et que ça m’a aidé. Grâce à cette
« école » qu’a été pour moi
l’Atelier – et qui a duré deux ans – j’ai le sentiment d’avoir beaucoup
progressé dans mon travail d’écriture.
PL :
A côté de ça, y-a-t-il eu, pour vous, d’autres sources
d’encouragement ?
AG :
Oui, j’ai été encouragé, aussi, par l’un de mes
professeurs. C’était un professeur de Français de l’Alliance française, qui me
donnait des cours particuliers.
PL :
Que s’est-il passé, après tout ça ?
AG :
En 2011, j’ai participé au prix du LIVRE D’OR, un prix
mauricien ; il était présidé par ANANDA DEVI. En fait, le jury était
composé de Ananda Devi, Issa ASGARALLY, Vèle PUTCHAY, BERTHELOT, des gens assez
conséquents…J’ai obtenu, à ce concours, une mention spéciale.
Ensuite, j’ai cherché, tout seul, un éditeur en ligne, et
j’en ai trouvé un : EDILIVRE. J’ai pu, ainsi, publier pour la première
fois, en version e-book et en version papier classique, une histoire
fantastique que j’avais écrite, La Pièce.
PL :
Quel en était le thème ?
AG :
Un grenier vivant….mais je n’étais pas vraiment satisfait
de ce texte.
Parallèlement, je continuai à lire. Beaucoup.
Parallèlement, je continuai à lire. Beaucoup.
PL :
Donc ?...
AG :
J’ai fini, au bout d’un certain temps, par aller de nouveau
voir Barlen, et je lui ai proposé un autre manuscrit, intitulé Fantômes ; il a accepté de le
publier. Le livre est paru aux Editions de L’Atelier d’Ecriture.
PL :
Parlez-moi un peu de ce livre…
AG :
Fantômes, c’est un
recueil de nouvelles.
PL :
Mais encore ? Pourquoi le choix de ce titre ?
AG :
Eh bien…parce que je considère qu’on a tous des fantômes en
nous ; mes personnages principaux sont tous hantés, d’une manière ou d’une
autre.
PL :
Comment ce livre a-t-il été reçu du public ?
AG :
Bien. Le recueil a été tiré à 400 exemplaires. La
publication a été relayée de façon satisfaisante à Maurice, que ce soit en
librairie ou par la presse. Elle était en rayons, notamment, à la librairie L’Atelier littéraire, et elle s’est bien
vendue.
La même année, celle de la parution de Fantômes, les Editions de l’Atelier ont fait paraître une seconde
publication : un recueil de poèmes, cette fois. Il porte sur le thème du
désir, de l’amour impossible, et son titre est Orgasmes.
PL :
Orgasmes ! C’est un
titre audacieux. Quelles réactions a-t-il provoqué, surtout venant d’un tout
jeune homme, dans une île où les mentalités restent tout de même passablement
puritaines ? N’y a –t-il pas eu des gens choqués ?
AG :
Non, les gens, dans l’ensemble, n’ont pas été choqués
négativement. Les mentalités évoluent. Les jeunes, maintenant, à Maurice,
parlent de « ces choses » de façon de plus en plus libre. Du reste,
les textes contenus dans ce recueil, en eux-mêmes, n’ont rien de choquants, de
trop érotique. J’ai éprouvé le besoin d’écrire moi-même la préface de ce livre.
PL :
Pourquoi ?
AG :
Parce que j’ai vu là un excellent moyen de m’exprimer.
PL :
Qu’est-ce qui, subitement, vous a donné l’envie d’écrire de
la poésie ?
AG :
Eh bien, je suis venu à la poésie, assez étrangement, par
la prose…en lisant Le non-désir,
d’Ananda Devi. Ananda Devi a une écriture en prose fortement marquée de poésie.
PL :
Qu’est-ce que la poésie représente pour vous ?
AG :
Une évacuation de tout ce qui m’habite, de tout ce qui est
négatif : les frustrations, les doutes, également une certaine
colère…Voilà, pour moi, la poésie, ça sert à ça.
PL :
Ce recueil a-t-il le même écho que Fantômes ?
AG :
Oui. En tout cas il est diffusé exactement de la même manière :
il est en rayons à la librairie L’Atelier
littéraire et à la librairie Le Cygne.
PL :
Et maintenant ? Quels sont actuellement vos
projets ?
AG :
Actuellement, je travaille sur un projet de roman. Un vieux
projet, qui était un peu en sommeil. Mais j’ai eu la chance de rencontrer Jean-Noël SCHIFANO au dernier SALON
CONFLUENCES, à Maurice ; il travaille chez Gallimard ; nous avons
parlé, et il m’a encouragé à reprendre le projet. Je m’y suis donc remis, avec
une sorte de sentiment de pression. J’ai le ferme espoir de finir ce roman
cette année.
PL :
Quel en est le thème ?
AG :
Cela tourne autour de trois femmes, qui ont un point de vue
chacune sur la même affaire. Une vieille femme, qui fait plus ou moins partie
de leur voisinage commun, s’est fait violer. Ce que je cherche à étudier, à
creuser, ce sont leurs réactions…
PL :
Parlez-moi maintenant de votre manière concrète de vivre
l’écriture… quand, et comment écrivez-vous ?
AG :
J’écris tous les deux ou trois jours. Sur ordinateur, chez
moi. Surtout la nuit, lorsqu’il n’y a que le vide. Lorsque je suis tranquille.
Pour le reste, je laisse venir. J’ai une idée, des
personnages qui me viennent, qui s’imposent à moi, puis je les laisse vivre.
PL :
Quelles sont vos références littéraires ?
AG :
Ananda Devi. J’ai lu la presque totalité de ses livres. De
plus, j’ai eu la chance de la rencontrer.
PL :
De quoi vous a-t-elle parlé, au cours de ces
rencontres ?
AG :
Du doute de l’écrivain, du mirage et du caractère éphémère
du succès, de la déception qui suit un refus d’éditer, de la frustration.
PL :
De quelle manière voyez-vous votre avenir ?
AG :
L’écriture n’est pas mon but principal dans la vie.
Cependant, sur le plan professionnel, je ne sais pas encore ce que je vais
faire. Je dois avouer que l’avenir m’angoisse un peu. Rien n’est jamais acquis.
PL :
Comment voyez-vous le milieu littéraire mauricien ?
AG :
Je le vois de manière très positive, car il est de haut
niveau. Il recèle beaucoup de talents d’envergure internationale. C’est un
petit cercle. Mais beaucoup ont le potentiel pour le rejoindre. C’est pourquoi
c’est le plus souvent possible que j’encourage les plus jeunes à croire qu’ils
ont une voie dans l’écriture, et à ne pas se laisser étouffer par ce que les adultes
veulent pour eux.
PL :
Comment définiriez-vous, en ce moment même, votre état
d’âme ?
AG :
AG :
Je suis heureux, mais j’ai aussi pas mal de doutes, pas mal
d’angoisses : je me demande souvent, par exemple, si, en tant qu’écrivain,
je vais être à la hauteur de ce qu’on attend de moi. Et je me méfie des
compliments !
PL :
Aqiil, vous écrivez actuellement uniquement en langue
française. Avez-vous envisagé d’écrire, un jour, dans une autre langue ?
AG :
Oui. Il est possible qu’un jour, j’écrive en Anglais, ou en
Kreol.
Voici quelques questions complémentaires,
que j’ai posées à Aqiil par courrier électronique, quelques huit jours après la
rencontre que nous avons eue au Salon du Livre :
PL :
Comment réagissez-vous à
l’obtention de votre prix ?
AG :
Ce n’est que du bonheur. C’est pour
moi la confirmation que j’ai réussi à m’élever jusqu’à la plateforme
internationale, que mes écrits peuvent être reconnus autant à Maurice
qu’ailleurs. Évidemment, ça me motive à fond pour continuer, pour ne pas
m’arrêter maintenant.
PL :
Est-ce que vous vous sentez
« différent » des autres jeunes de votre âge, du fait de votre
précocité ?
AG :
Sur certains points, oui,
forcément, mais en gros je pense suivre la même « culture » qu’eux,
car je suis un jeune avant tout. J’ai juste peut-être une perception plus
réfléchie du monde.
PL :
Quel souvenir garderez-vous de
votre séjour à Paris ?
AG :
Il m’arrive de pleurer en y
repensant. Cette semaine a été la meilleure de ma vie, pas à cause de
l’obtention du prix mais à cause des personnes extraordinaires que j’ai
rencontrées, en particulier les autres lauréats, qui venaient de la république
démocratique du Congo, du Liban, de France, de Suisse, du Burkina-Faso, du
Québec, de la France ou de la Belgique. Nous avons partagé ensemble des moments
inoubliables, et leur souvenir restera à jamais là, dans mon cœur.
Patricia Laranco.
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