mardi 24 novembre 2015

Lecture (psychologie/sociologie) : Annik HOUEL : RIVALITÉS FÉMININES AU TRAVAIL – L’INFLUENCE DE LA RELATION MÈRE-FILLE, Odile Jacob, 2014.

En se servant de la grille de lecture psychanalytique classique, Annik HOUEL, dans ce livre, décortique ce qu’elle appelle, assez justement, la misogynie d’appoint, à savoir la misogynie qui ternit si souvent – quand elle ne les empoisonne pas – les relations entre les femmes dans le cadre de l’entreprise et de  l’espace public français.
En cela, elle s’attaque à un sujet encore assez tabou, du fait des grands credos qui furent ceux du mouvement féministe dans la seconde moitié du XXe siècle.
Que l’on soit « freudo-sceptique » ou non, il faut bien se livrer à ce triste constat : c’est bien l’ensemble de notre société qui est misogyne, et pas seulement ses mâles. Les femmes – instinctivement – ont toujours une sainte horreur que l’une d’entre elles « se détache du rang », notamment si c’est pour exercer une quelconque forme d’autorité sur elles. D’où le phénomène si souvent signalé des « Dames de fer ». Autorité, pouvoir, aplomb, poigne, ambition, énergie, sérieux, valeur sont toujours, dans l’inconscient collectif, largement associés au masculin.
Les hommes sont pénétrés, on le sait, de leur fameux « chauvinisme mâle », et les femmes, mesquines, personnelles, frileusement « timides » restent, au fond – malgré les grands principes et les grands mots qui les accompagnent dans un pays où l’on aime à se gargariser de solennités et de paroles – très attachées, voire agrippées aux rôles et stéréotypes traditionnels liés au genre, lesquels les coupent les unes des autres. Qu’elles travaillent ou non, à l’intérieur de leur tête même, l’essentiel de leur investissement social demeure de nature familiale, amoureuse, maternelle.
« Maternelle », nous l’avons lâché : le problème central est la mère, la Grande Mère des origines qui écrase complètement et obligatoirement le jeune enfant du fait de la situation de dépendance très étendue qui est la sienne et, en conséquence, ancre en lui, pour la vie et  chez les deux sexes, des sentiments hautement ambivalents, hautement passionnels, quelquefois volcaniques.
Annik Houel dénonce le maternalisme et le familiarisme qui imprègnent fortement cette société latine et, ma foi, conservatrice qu’est la société hexagonale. Elle prône la constitution, entre femmes, de réseaux qui feraient pendant aux fameux réseaux masculins, vecteurs de solidarité virile et, de la sorte, commenceraient à rééquilibrer un peu les choses.
Le moins qu’on puisse dire est qu’en France, il y a encore beaucoup de pain sur la planche. Le « camp des femmes », c’est, encore, celui de la sphère familiale, privée, vécue, en quelque sorte, comme une forme de « cocon protecteur » - le « camp des mères ». Toute femme qui, de quelque façon que ce soit, prend ses distances avec ce camp trahit le camp des femmes et occupe la place d’un homme, par conséquent une place qui n’est pas légitimement sienne. Curieuse tournure d’esprit si l’on y pense – mais c’est elle qui nous habite. Et « Dames de fer » ou, à des échelons plus modestes et autrement plus communs, « reines des abeilles » et autres « chipies » s’en donnent à cœur-joie.
Inconscient freudien ou, tout simplement, poids des conditionnements, empreintes précoces et millénaires habitudes, le fait est là : l’ « entre-femmes » demeure une sorte d’enfer sur terre où l’on tourne en rond et où pas grand-chose ne nous stimule, ni au plan de l’action, ni au plan de la créativité culturelle. Cependant que le plafond de verre masculin, même s’il recule avec une lenteur géologique, demeure bien en place.
A la limite, après avoir lu cet ouvrage, on serait presque tenté de penser et d’avancer, en mode mi sérieux, mi boutade : « les hommes n’ont pas besoin d’être misogynes ; les femmes le sont pour eux ». Ce qui, on n’en doutera pas, leur facilite grandement les choses.
Malgré quelques réserves, je ne peux que recommander vivement la lecture de ce livre.




P. Laranco.

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